Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler l'arrêté du 26 décembre 2017 par lequel la préfète du Cher l'a mis en demeure de régulariser sa situation administrative pour la réalisation de travaux sur la Marmande et la création d'un plan d'eau au lieu-dit " Les Forges " sur le territoire de la commune de Charenton-du-Cher, ainsi que la décision du 9 mars 2018 rejetant son recours gracieux.
Par un jugement no 1801410 du 30 avril 2020, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 juillet 2020 et le 29 mars 2021, M. B..., représenté par la SELARL Cornet, Vincent, Segurel, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 26 décembre 2017 de la préfète du Cher et la décision du 9 mars 2018 rejetant son recours gracieux ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il ne comporte pas les signatures requises par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;
- l'arrêté contesté est illégal dès lors qu'aucune autorisation n'était requise pour cet ouvrage disposant d'un droit de prise d'eau fondé en titre ; ce droit fondé en titre n'a pas disparu ;
- il méconnaît le principe non bis in idem et le principe de sécurité juridique ;
- il méconnaît l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration dès lors qu'il retire une décision créatrice de droits.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 janvier 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Bréchot,
- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,
- et les observations de Me Migault, représentant M. B....
Une note en délibéré a été produite pour M. B... le 19 octobre 2021.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 26 décembre 2017, la préfète du Cher a mis en demeure M. B... de régulariser sa situation administrative pour la réalisation, entre 2002 et 2005, puis en 2016, de travaux sur la rivière de la Marmande et la création d'un plan d'eau au lieu-dit " Les Forges ", implanté sur la parcelle cadastrée section F no 135 à Charenton-du-Cher, en déposant soit un dossier de demande d'autorisation au titre de la législation sur la police de l'eau, soit un dossier présentant le projet de remise en état du site. Le recours gracieux, daté du 19 février 2018, présenté par M. B... à l'encontre de cet arrêté a été rejeté par une décision de la préfète du Cher du 9 mars 2018. M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté de mise en demeure du 26 décembre 2017 et de la décision du 9 mars 2018 rejetant son recours gracieux.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".
3. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été signé conformément aux prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Par suite, le moyen tiré de ce que ce jugement serait irrégulier faute de comporter les signatures requises doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'existence d'un droit de prise d'eau fondé en titre :
4. Aux termes de l'article L. 214-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions des articles L. 214-2 à L. 214-6 les installations, les ouvrages, travaux et activités réalisés à des fins non domestiques par toute personne physique ou morale, publique ou privée, et entraînant des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, restitués ou non, une modification du niveau ou du mode d'écoulement des eaux, la destruction de frayères, de zones de croissance ou d'alimentation de la faune piscicole ou des déversements, écoulements, rejets ou dépôts directs ou indirects, chroniques ou épisodiques, même non polluants. " Selon le II de l'article L. 214-6 du même code : " Les installations, ouvrages et activités déclarés ou autorisés en application d'une législation ou réglementation relative à l'eau antérieure au 4 janvier 1992 sont réputés déclarés ou autorisés en application des dispositions de la présente section. Il en est de même des installations et ouvrages fondés en titre ". Aux termes de l'article L. 214-10 du même code, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 : " Les décisions prises en application des articles L. 214-1 à L. 214-6 et L. 214-8 peuvent être déférées à la juridiction administrative dans les conditions prévues aux articles L. 181-17 à L. 181-18 ". En vertu de l'article L. 181-17 du même code, ces décisions sont soumises à un contentieux de pleine juridiction.
5. Sont regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale les prises d'eau sur des cours d'eaux non domaniaux qui, soit ont fait l'objet d'une aliénation comme bien national, soit sont établies en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux. Une prise d'eau est présumée établie en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux dès lors qu'est prouvée son existence matérielle avant cette date. La preuve de cette existence matérielle peut être apportée par tout moyen, notamment par sa localisation sur la carte de Cassini datant du XVIIIème siècle.
6. Il est constant que la " grosse forge de Charenton ", dont l'existence est attestée pour la première fois en 1635, comprenait avant 1789 une forge et une fenderie alimentées par une retenue d'eau sur la Marmande, qui figurent sur la carte de Cassini. Dès lors, la prise d'eau attachée à la forge de Charenton-du-Cher existait matériellement sur le cours d'eau non domanial de la Marmande avant l'abolition des droits féodaux.
7. Le droit d'eau fondé en titre ne se perd pas par l'absence d'exercice du droit d'usage. Sa disparition ne peut résulter que de la constatation que la force motrice du cours d'eau n'est plus susceptible d'être utilisée du fait de la ruine ou du changement d'affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume du cours d'eau. En revanche, ni la circonstance que ces ouvrages n'aient pas été utilisés en tant que tels au cours d'une longue période de temps, ni le délabrement du bâtiment auquel le droit d'eau fondé en titre est attaché, ne sont de nature, à eux seuls, à remettre en cause la pérennité de ce droit. L'état de ruine, qui conduit en revanche à la perte du droit, est établi lorsque les éléments essentiels de l'ouvrage permettant l'utilisation de la force motrice du cours d'eau ont disparu ou qu'il n'en reste que de simples vestiges, de sorte qu'elle ne peut plus être utilisée sans leur reconstruction complète.
8. Il résulte de l'instruction, notamment de plans de 1793, 1813 et 1830 et d'une note de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) du 17 juin 2002, que les moulins de la Grosse forge de Charenton-du-Cher, utilisés pour le fonctionnement d'une forge et d'une fenderie, étaient alimentés en eau par des coursiers maçonnés surmontés d'une chaussée et reliés à un plan d'eau ou bief, lui-même constitué grâce à une retenue d'eau sur la Marmande.
9. M. B... soutient que les ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume du cours d'eau, à savoir les coursiers, le déversoir, l'emplacement de l'étang, le pont d'accès la forge et les seuils de ce pont, ont subsisté en dépit de leur dégradation. Il est constant que subsistent le déversoir et les coursiers maçonnés de l'ancienne forge, lesquels relèvent des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume du cours d'eau, contrairement au pont d'accès à la forge. Cependant, il résulte de l'instruction, notamment d'un procès-verbal de manquement administratif de 2005, que ne subsistait en janvier 2005, avant les travaux de reconstruction menés par M. B..., qu'un " seuil en mauvais état " sous l'arche en rive droite du pont sur la Marmande, tandis que celui situé sous l'arche de sa rive gauche n'était plus visible. En outre, l'étang alimentant les moulins, qui a été supprimé en 1837 selon la note précitée de la DRAC, ou à tout le moins asséché avant 1948 selon M. B..., n'a été reconstitué qu'à la suite d'importants travaux de creusement et d'aménagements des berges de la Marmande et de la parcelle de l'ancien étang, qui ont été effectués entre 2002 et 2005. Quant aux coursiers qui alimentaient en eau les moulins de la fenderie, ils ne subsistaient en 2002 qu'à l'état de " vestiges " selon la note précitée de la direction générale des affaires culturelles, avant leur rénovation par M. B.... Enfin, comme le fait valoir le ministre en défense, les fosses d'emplacement des moulins ont disparu. Dès lors, au début des années 2000, la plupart des éléments essentiels de l'ouvrage permettant l'utilisation de la force motrice du cours d'eau avaient disparu ou ne subsistaient qu'à l'état de simples vestiges, et devaient donc être regardés comme ruinés.
10. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que la Grosse forge de Charenton a cessé son activité en 1845 et que l'ancien étang a été comblé de terre et affecté à l'usage de prairie, jusqu'à sa remise en eau par M. B... en 2005 à la suite d'importants travaux de creusement et d'aménagement des berges. Ainsi, le terrain utilisé initialement pour constituer un plan d'eau ayant pour objet d'alimenter les moulins de la Grosse forge a changé d'affectation entre le milieu du XIXème siècle et la fin du XXème siècle, sans qu'ait d'incidence à cet égard le fait que le sol de la parcelle cadastrée section F no 135 ait fait l'objet, en 2002, d'une inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques au motif qu'il correspondait " en grande partie " à l'ancien étang de la forge.
11. Enfin, la circonstance que, par un courrier du 21 mai 2013, la direction départementale des territoires du Cher ait demandé à M. B... de mettre en conformité ses ouvrages avec la législation environnementale sur la continuité écologique à la suite du classement de la Marmande sur la liste 2 des cours d'eau, tronçons de cours d'eau ou canaux classés au titre de l'article L. 214-17 du code de l'environnement du bassin Loire-Bretagne, alors que les dispositions de cet article ne prévoient une telle obligation de mise de conformité qu'au profit des ouvrages existants régulièrement installés, n'est pas de nature à établir que le droit fondé en titre n'aurait pas précédemment disparu.
12. Par conséquent, le droit d'eau fondé en titre attaché aux moulins de la Grosse forge de Charenton-du-Cher a disparu. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que les ouvrages hydrauliques du requérant sont autorisés en vertu d'un droit de prise d'eau fondé en titre doit être écarté.
En ce qui concerne les autres moyens :
13. En premier lieu, il découle du principe général du droit selon lequel une autorité administrative ne peut sanctionner deux fois la même personne à raison des mêmes faits qu'une autorité administrative qui a pris une première décision définitive à l'égard d'une personne qui faisait l'objet de poursuites à raison de certains faits, ne peut ensuite engager de nouvelles poursuites à raison des mêmes faits en vue d'infliger une sanction. Cette règle s'applique tant lorsque l'autorité avait initialement infligé une sanction que lorsqu'elle avait décidé de ne pas en infliger une.
14. D'une part, l'arrêté contesté du 26 décembre 2017 par lequel la préfète du Cher a mis en demeure M. B... de régulariser sa situation administrative pour la réalisation de travaux sur la Marmande et la création d'un plan d'eau au lieu-dit " Les Forges " ne constitue pas une sanction administrative. Dès lors, le requérant ne peut utilement invoquer la méconnaissance du principe non bis in idem.
15. D'autre part, et en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration aurait, à la suite du procès-verbal de constatation d'infraction no 2004-57 du 10 mai 2005 dressé à l'encontre de M. B... en raison de l'exécution sans autorisation de travaux nuisibles au débit des eaux ou au milieu aquatique sur la Marmande, décidé de ne pas infliger de sanction au requérant. En particulier, la circonstance que l'administration se soit abstenue de prendre des mesures à l'encontre de M. B..., entre ses courriers des 30 novembre 2005 et 3 mai 2006 l'invitant à régulariser la situation des travaux et de l'étang réalisés en 2005 et ceux des 21 septembre 2016 et 3 novembre 2016 ayant le même objet, n'est pas de nature à démontrer qu'elle aurait, dans cet intervalle de temps, pris une décision de ne pas sanctionner l'irrégularité des travaux réalisés sur la Marmande et la création du plan d'eau. Il en va de même de la circonstance que, par un courrier du 21 mai 2013, la direction départementale des territoires du Cher ait demandé à M. B... de mettre en conformité ses ouvrages avec la législation environnementale sur la continuité écologique à la suite du classement de la Marmande sur la liste 2 des cours d'eau, tronçons de cours d'eau ou canaux classés au titre de l'article L. 214-17 du code de l'environnement du bassin Loire-Bretagne. Enfin, la circonstance que le Procureur de la République de Bourges n'ait pas engagé de poursuites pénales à l'encontre du requérant à l'issue de la transmission du procès-verbal du 10 mai 2005 est sans incidence sur les éventuelles sanctions administratives susceptibles d'être prononcées à l'encontre de M. B..., en raison du principe de l'indépendance des poursuites pénales et administratives, rappelé désormais par l'article L. 171-7 du code de l'environnement. Au demeurant, il résulte de l'instruction que le requérant a réalisé au cours de l'été 2017 de nouveaux travaux qui ont conduit à un agrandissement du plan d'eau de 1 100 mètres carrés par rapport à sa surface de 2016, pour une surface totale de 8 000 mètres carrés, et que ces travaux réalisés sans déclaration ni autorisation pouvaient à eux seuls justifier l'arrêté contesté de mise en demeure.
16. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du principe non bis in idem doit être écarté, de même que celui tiré de ce que la décision contestée est contraire au principe de sécurité juridique.
17. En second lieu, aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. "
18. Comme il a été dit au point 15, ni l'inertie de l'administration pendant près de dix ans à la suite de ses courriers des 30 novembre 2005 et 3 mai 2006 l'invitant à régulariser la situation des travaux et de l'étang réalisés en 2005, ni le courrier de la direction départementale du territoire du Cher du 21 mai 2013, cité au point 11, n'ont eu pour effet de donner naissance à une décision de ne pas sanctionner M. B... pour les travaux réalisés irrégulièrement en 2005. Dès lors, le requérant ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration.
19. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que le requérant demande au titre des frais exposés par lui à l'occasion du litige soumis au juge.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la ministre de la transition écologique.
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, présidente-assesseure,
- M. Bréchot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 novembre 2021.
Le rapporteur,
F.-X. BréchotLe président,
A. Pérez
La greffière,
A. Lemée
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 20NT01833