Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Résidence des Prés à Chatillon-sur-Loire (45) a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la restitution des cotisations de taxe sur les salaires auxquelles il a été assujetti au titre des années 2014, 2015 et 2016, à hauteur de la somme totale de 242 696 euros.
Par un jugement n° 1801914 du 17 mars 2020, le tribunal administratif d'Orléans a accordé la restitution à l'EHPAD Résidence des Prés de la taxe sur les salaires des années 2014, 2015 et 2016, à hauteur du montant excédant l'application d'un rapport d'assujettissement des rémunérations versées de 32,83 % au titre de 2014, 33 % au titre de 2015 et de 28,66 % au titre de 2016 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 23 juillet 2020, 3 juin 2021 et
18 juin 2021 le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour :
1°) au besoin après avoir transmis une demande d'avis au Conseil d'Etat sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, d'annuler l'article 1er de ce jugement ;
2°) d'ordonner le remboursement de la taxe sur les salaires restituée à l'EHPAD Résidence des Prés, pour les années 2014, 2015 et 2016, respectivement à hauteur de
83 054 euros, 81 649 euros et 89 813 euros.
Il soutient que :
- l'EHPAD Résidence des Prés agit en tant qu'autorité publique ;
- cette activité ne crée pas de distorsion de concurrence d'une certaine importance ;
- en conséquence, l'activité d'hébergement de l'EHPAD n'est pas assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée ; dès lors, c'est à tort que le tribunal administratif d'Orléans a estimé que cette activité n'entrait pas dans le champ d'application de la taxe sur les salaires.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 novembre 2020 l'EHPAD Résidence des Prés, représenté par Me Rozant, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- les moyens soulevés par le ministre de l'économie, des finances et de la relance ne sont pas fondés ;
- à titre subsidiaire, si l'EHPAD devait être regardé comme agissant en tant qu'autorité publique, la seconde condition tenant à l'absence de distorsion de concurrence d'une certaine importance n'est pas remplie.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Brasnu,
- et les conclusions de Mme Chollet, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. L'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Résidence des Prés, établissement public de la ville de Châtillon-sur-Loire, a sollicité, par une réclamation contentieuse du 4 décembre 2017, la restitution partielle de la taxe sur les salaires acquittée au titre des années 2014 à 2016. Après le rejet de sa réclamation, l'établissement a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer cette restitution. Par un jugement du 17 mars 2020, le tribunal administratif d'Orléans a fait droit à sa demande. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance relève appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article 13 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, qui reprend les dispositions du paragraphe 5 de l'article 4 de la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 : " 1. Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques, même lorsque, à l'occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions. / Toutefois, lorsqu'ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance. (...) / 2. Les États membres peuvent considérer comme activités de l'autorité publique les activités des organismes de droit public, lorsqu'elles sont exonérées en vertu des articles 132 (...) ". Aux termes du g du 1 de l'article 132 de cette directive, les États membres exonèrent " les prestations de services et les livraisons de biens étroitement liées à l'aide et à la sécurité sociales, y compris
celles fournies par les maisons de retraite, effectuées par des organismes de droit public ou par d'autres organismes reconnus comme ayant un caractère social par l'État
membre concerné ; ".
3. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (...) ". Aux termes de l'article 256 A du même code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au troisième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. / (...) Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services (...) ". Aux termes de l'article 256 B du même code : " Les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non-assujettissement n'entraîne pas de distorsions dans les conditions de la concurrence (...)".
4. Il résulte des dispositions citées au point 2, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 29 octobre 2015 (C-174/14) Saudaçor - Sociedade Gestora de Recursos e Equipamentos da Saúde dos Açores SA, que le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée prévu en faveur des personnes morales de droit public énumérées au paragraphe 1 de l'article 13 de la directive du Conseil du
28 novembre 2006, qui déroge à la règle générale de l'assujettissement de toute activité de nature économique, est subordonné à deux conditions cumulatives tenant, d'une part, à ce que l'activité soit exercée par un organisme agissant en tant qu'autorité publique et, d'autre part, à ce que le non-assujettissement ne conduise pas à des distorsions de concurrence d'une certaine importance.
5. La condition selon laquelle l'activité économique est réalisée par l'organisme public en tant qu'autorité publique est remplie, selon la jurisprudence de la Cour de justice, lorsque l'activité en cause est exercée dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public. Ainsi, l'activité en cause doit être exercée dans des conditions juridiques différentes de celles des opérateurs économiques privés, notamment, lorsque sont mises en œuvre des prérogatives de puissance publique, lorsque l'activité est accomplie en raison d'une obligation légale ou dans le cadre d'un monopole ou encore lorsqu'elle relève par nature des attributions d'une personne publique. Cette condition peut également, si la législation de l'Etat membre le prévoit, être regardée comme remplie lorsque l'activité exercée est exonérée en application, notamment, de l'article 132 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006. Si cette condition n'est pas remplie, la personne morale de droit public est nécessairement assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de cette activité économique, sans préjudice des éventuelles exonérations applicables.
6. Il résulte des dispositions de l'article 256 B du code général des impôts que la France a fait usage de la possibilité, ouverte par le dernier alinéa de l'article 13 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006, de regarder comme des activités effectuées en tant qu'autorité publique les services à caractère sociaux rendus par les personnes morales de droit public. A cet égard, le 6° du I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles prévoit que sont des établissements et services sociaux et médicaux sociaux les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale. L'EHPAD Résidence des Prés doit ainsi être qualifié d'établissement à caractère social. En outre, l'intégralité des places de cet EHPAD sont habilitées à l'aide sociale.
Ce dernier a ainsi vocation à accueillir des personnes âgées à faibles ressources. Par conséquent, cet établissement offre un service à caractère social au sens de l'article 256 B du code général des impôts. Dès lors, cette activité d'hébergement doit être regardée comme exercée par un organisme agissant en tant qu'autorité publique.
7. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'activité d'hébergement de personnes âgées n'était pas exercée par un organisme agissant en tant qu'autorité publique. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par l'EHPAD Résidence des Prés devant le tribunal administratif et devant la cour.
8. Par un arrêt du 16 septembre 2008 (C-288/07) Commissioners of Her Majesty's Revenue et Customs contre Isle of Wight Council et autres, la Cour de justice a dit pour droit que les distorsions de concurrence d'une certaine importance auxquelles conduirait le non-assujettissement des organismes de droit public agissant en tant qu'autorités publiques doivent être évaluées par rapport à l'activité en cause, en tant que telle, indépendamment de la question de savoir si ces organismes font face ou non à une concurrence au niveau du marché local sur lequel ils accomplissent cette activité, ainsi que par rapport non seulement à la concurrence actuelle, mais également à la concurrence potentielle, pour autant que la possibilité pour un opérateur privé d'entrer sur le marché pertinent soit réelle, et non purement hypothétique. Par un arrêt du 19 janvier 2017 (C-344/15) National Roads Authority, la Cour de justice a précisé que les distorsions de concurrence d'une certaine importance doivent être évaluées en tenant compte des circonstances économiques et que la seule présence d'opérateurs privés sur un marché, sans la prise en compte des éléments de fait, des indices objectifs et de l'analyse de ce marché, ne saurait démontrer ni l'existence d'une concurrence actuelle ou potentielle ni celle d'une distorsion de concurrence d'une certaine importance.
Les distorsions de concurrence mentionnées au paragraphe 1 de l'article 13 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 s'apprécient à la fois au regard de l'activité en cause et des conditions d'exploitation de cette activité. L'existence de telles distorsions ne saurait, dès lors, résulter de la seule constatation que des prestations réalisées par un organisme de droit public sont identiques à celles réalisées par un opérateur privé, sans examen de l'état de la concurrence réelle, ou à défaut potentielle, sur le marché en cause.
9. En l'espèce, il résulte de l'instruction que l'intégralité des places de l'EHPAD Résidence des Prés sont habilitées au dispositif d'aide sociale à l'hébergement, alors que, pour les autres établissements, qu'ils soient à but lucratif ou non, les lits habilités à l'aide sociale ne représentent qu'une faible part du nombre total de lits. L'EHPAD Résidence des Prés ne peut par conséquent, contrairement aux établissements privés, fixer librement ses tarifs et a ainsi vocation à accueillir un public à plus faibles ressources, et ce indépendamment du nombre de places effectivement occupées par les bénéficiaires de l'aide sociale à l'hébergement.
Les établissements privés existants, qui proposent des prestations supérieures à celles des établissements publics, et à des prix supérieurs, ne sont donc pas en concurrence directe avec cet établissement public. Enfin, aucun élément ne permet de démontrer qu'un opérateur privé serait empêché d'entrer sur ce marché spécifique ou d'y subir un désavantage du seul fait de son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée. Dans ces conditions, le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée de l'EHPAD concerné ne génère pas de distorsion de concurrence d'une certaine importance.
10. L'activité d'hébergement de personnes âgées étant exercée par une autorité publique, et n'entraînant pas de distorsion de concurrence d'une certaine importance, elle ne peut pas être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée. Elle doit en conséquence être assujettie à la taxe sur les salaires.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a prononcé la restitution partielle de la taxe sur les salaires, pour les années 2014 à 2016.
Sur les frais liés au litige :
12. L'Etat n'étant pas partie perdante, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par l'EHPAD Résidence des Prés au titre des frais exposés.
DECIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1801914 du 17 mars 2020 du tribunal administratif d'Orléans est annulé.
Article 2 : La taxe sur les salaires restituée à l'EHPAD Résidence des Prés au titre des années 2014, 2015 et 2016 est remise à sa charge.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'EHPAD Résidence des Prés au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à l'EHPAD Résidence des Prés.
Délibéré après l'audience du 27 janvier 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, présidente de chambre,
- M. Geffray, président-assesseur,
- M. Brasnu, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2022.
Le rapporteur
H. BrasnuLa présidente
I. PerrotLa greffière
A. Marchais
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
No 20NT022022