Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 1er février 2018 par laquelle le préfet du Val d'Oise a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation, ainsi que la décision du 5 décembre 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté le recours préalable formé contre cette décision.
Par un jugement n° 1808105 du 29 janvier 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 5 décembre 2019 du ministre de l'intérieur, a enjoint au ministre de procéder au réexamen de la situation de M. B..., a mis à la charge de l'Etat le versement à M. B... E... la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 5 mars et 19 avril 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 29 janvier 2021 du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a annulé sa décision du 5 décembre 2019, lui a enjoint de réexaminer la demande de naturalisation de M. B... et a mis à la charge de l'Etat le versement à M. B... E... la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter les conclusions de la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes en tant qu'elles sont dirigées contre la décision du 5 décembre 2019.
Il soutient que la décision du 5 décembre 2019 n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et que les autres moyens soulevés à l'appui de la demande ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 mars 2020, M. B..., représenté par Me Msika, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête d'appel est tardive et, par suite, irrecevable ;
- aucun des moyens soulevés par le ministre de l'intérieur n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code civil ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frank,
- et les observations de Me Msika, pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 29 janvier 2021 du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a annulé, à la demande de M. B..., sa décision du 5 décembre 2019 ajournant à deux ans la demande de naturalisation présentée par l'intéressé.
Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête d'appel :
2. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été notifié le 29 janvier 2021 au ministre de l'intérieur. Dès lors, sa requête d'appel, enregistrée le 5 mars 2021 au greffe de la cour, a été présentée dans le délai prescrit par l'article R. 811-2 du code de justice administrative. La fin de non-recevoir tirée de sa tardiveté opposée par M. B... ne peut donc qu'être écartée.
Sur la légalité de la décision du 5 décembre 2019 du ministre de l'intérieur :
4. Aux termes de l'article 21-15 du code civil : " L'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger. ". Aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 susvisé : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration dans la nationalité sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions ". En vertu de ces dispositions, il appartient au ministre de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la naturalisation à l'étranger qui la sollicite. Dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte les renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant.
5. Il est constant que M. B... a été interpellé, le 18 juin 2014, par les services du commissariat de police d'Herblay pour des faits de violences suivies d'une incapacité supérieure à huit jours. Le ministre produit une fiche d'antécédents judiciaires mise à jour le 4 mai 2015 mentionnant l'interpellation de l'intéressé ainsi qu'une fiche navette du 12 décembre 2017 faisant apparaitre l'existence d'une procédure en cours à son encontre à la date de la décision contestée. M. B... se borne à soutenir que les faits remontent à plusieurs années, qu'il n'a pas été convoqué devant un tribunal et que " s'il a pu exercer des violences, il a agi uniquement dans le cadre de la légitime défense ". Dans ces conditions, le ministre de l'intérieur a pu, sans entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, ajourner à deux ans la demande d'acquisition de la nationalité française présentée par M. B... pour des motifs de faits de violences suivies d'une incapacité supérieure à huit jours commis le 16 août 2014 faisant l'objet d'une procédure en cours.
6. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que, pour annuler la décision du 5 décembre 2019, le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur ce que le ministre de l'intérieur a commis une erreur manifeste d'appréciation en ajournant pour le motif susmentionné la demande d'acquisition de la nationalité française présentée par M. B....
7. Il appartient, toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes.
8. En premier lieu, par une décision du 30 août 2018 publiée le 2 septembre suivant au Journal officiel de la République française, la directrice de l'accueil, de l'accompagnement des étrangers et de la nationalité, compétente à cet effet en vertu de l'article 3 du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement, a donné délégation à Mme C... D..., attachée principale d'administration de l'État, adjointe à la cheffe du bureau des affaires juridiques, du précontentieux et du contentieux, à l'effet de signer, au nom du ministre de l'intérieur, tous actes, arrêtés et décisions relevant des attributions du bureau des affaires juridiques, du précontentieux et du contentieux parmi lesquelles figurent les recours dirigés contre les décisions préfectorales intervenant en matière de naturalisation. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision litigieuse manque en fait et doit être écarté.
9. En deuxième lieu, la décision du 5 décembre 2019 du ministre de l'intérieur comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de son insuffisance de motivation doit être écarté comme manquant en fait.
10. En troisième lieu, aux termes des stipulations de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l'Union ". Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que cet article s'adresse uniquement aux institutions et organes de l'Union. Il suit de là que le moyen tiré de sa violation par une autorité d'un Etat membre est inopérant. En tout état de cause, la décision du ministre de l'intérieur a été rendue le 5 décembre 2019 sur une demande de l'intéressé du 5 mars 2018, date de réception de son recours préalable formé le 1er février 2018 contre la décision du préfet du Val d'Oise. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision en cause méconnaît son droit à voir traiter sa demande dans un délai raisonnable, tel qu'il est notamment garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, applicable à la date de la décision en litige : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure préalable. ".
12. La décision litigieuse ajournant la demande de naturalisation a été rendue sur demande de l'intéressé. Dès lors, l'administration n'était pas tenue de mettre le demandeur à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, des observations orales. Dans ces conditions, M. B... ne peut utilement soutenir que cette décision a été prise au terme d'une procédure irrégulière et a méconnu le principe du respect des droits de la défense.
13. En cinquième lieu, les circonstances que M. B... remplirait les autres conditions prévues aux articles 21-23 et 21-27 du code civil pour prétendre à l'obtention de la nationalité française, qu'il résiderait en France depuis plus de dix ans en situation régulière, que sa femme disposerait d'un titre de séjour et que cinq de ses enfants seraient nés en France, sont sans incidence sur la légalité de la décision en litige, eu égard au motif sur lequel elle se fonde.
14. En sixième et dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision d'ajournement du ministre de l'intérieur ne répondrait pas aux fins d'intérêt général en vue desquelles elle pouvait légalement être prise selon la procédure retenue. Dès lors, le moyen tiré du détournement de pouvoir, à le supposer soulevé, ne peut qu'être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé sa décision du 5 décembre 2019, lui a enjoint de réexaminer la demande de naturalisation de M. B... et a mis à la charge de l'Etat le versement à M. B... E... la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. B... demande en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 29 janvier 2021 du tribunal administratif de Nantes est annulé en tant qu'il a annulé la décision du 5 décembre 2019 du ministre de l'intérieur, lui a enjoint de réexaminer la demande de naturalisation de M. B... et a mis à la charge de l'Etat le versement à M. B... E... la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 2 : Les conclusions de la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes en tant qu'elles sont dirigées contre la décision du 5 décembre 2019 du ministre de l'intérieur ainsi que les conclusions d'appel de l'intéressé tendant au bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 1er avril 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de la formation de jugement,
- M. Frank, premier conseiller,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 avril 2022.
Le rapporteur,
A. FRANKLa présidente de la formation
de jugement,
C. BUFFET
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
No 21NT00615