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06/05/2022 | FRANCE | N°21NT00567

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 06 mai 2022, 21NT00567


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... F... D... a, pour le compte de ses parents, M. C... D... F... et Mme G... A... épouse D..., demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre les décisions du 6 décembre 2017 des autorités consulaires françaises en poste à Douala refusant de délivrer à M. C... D... F... et Mme G... A... épouse D... des visas de court séjour pour visite

familiale.

Par un jugement n° 1803155 du 29 janvier 2021, le tribunal admini...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... F... D... a, pour le compte de ses parents, M. C... D... F... et Mme G... A... épouse D..., demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre les décisions du 6 décembre 2017 des autorités consulaires françaises en poste à Douala refusant de délivrer à M. C... D... F... et Mme G... A... épouse D... des visas de court séjour pour visite familiale.

Par un jugement n° 1803155 du 29 janvier 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 février 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- la demande de première instance a été introduite par le fils des demandeurs de visa, lequel n'avait pas qualité pour agir en leur nom ;

- les demandeurs n'ont pas mandaté leur fils pour contester les refus de visa devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

- la " présente requête " qui ne comporte pas de signature méconnaît les dispositions des articles R. 431-2 et R. 431-4 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 avril 2021, M. C... D... F... et Mme G... A... épouse D..., représentés par Me Dujoncquoy, concluent au rejet de la requête et demandent, en outre, à la cour, par la voie de l'appel incident, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de leur délivrer des visas de court séjour dès la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- le ministre de l'intérieur n'a pas, en première instance, opposé de fin de non-recevoir avant la clôture de l'instruction ;

- ils ont, à la demande du tribunal, régularisé leur demande en ce qui concerne le défaut de qualité pour agir de leur fils ;

- le tribunal ne les a pas invités à régulariser leur demande en ce qui concerne le défaut de signature de sorte que cette irrecevabilité ne saurait leur être opposée ;

- ils ont mandaté leur fils pour agir en leur nom ;

- les refus de visa qui leur sont, de manière répétée, opposés leur causent un grand préjudice moral et méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les motifs de refus que le ministre ne défend même pas en appel sont illégaux.

Vu :

- l'arrêt n° 21NT0568 du 21 mai 2021 prononçant le sursis à exécution du jugement attaqué ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

­ le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

­ le code des relations entre le public et l'administration ;

­ le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... D... F... et Mme G... A... épouse D..., ressortissants camerounais, ont sollicité la délivrance de visas de court séjour afin de rendre visite à leur fils, titulaire du statut de réfugié en France. Les autorités consulaires françaises en poste à Douala ont, le 6 décembre 2017, opposé un refus à ces demandes. Le recours formé contre cette décision a été implicitement rejeté par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 29 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 431-2 du code de justice administrative : " Les requêtes et les mémoires doivent, à peine d'irrecevabilité, être présentés soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, lorsque les conclusions de la demande tendent au paiement d'une somme d'argent, à la décharge ou à la réduction de sommes dont le paiement est réclamé au requérant ou à la solution d'un litige né de l'exécution d'un contrat. / (...) ". L'article R. 431-4 du même code dispose : " Dans les affaires où ne s'appliquent pas les dispositions de l'article R. 431-2, les requêtes et les mémoires doivent être signés par leur auteur et, dans le cas d'une personne morale, par une personne justifiant de sa qualité pour agir. ". Aux termes de l'article R. 431-5 de ce code : " Les parties peuvent également se faire représenter : / 1° Par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2 ; / (...) ". Enfin, l'article R. 431-6 rappelle les dispositions de l'article R. * 200-2 du livre des procédures fiscales qui régissent, en matière fiscale, la représentation du contribuable devant le tribunal.

3. Il résulte de ces dispositions que, dans les litiges pour lesquels le ministère d'avocat n'est pas obligatoire devant les tribunaux administratifs et en dehors du cas particulier des recours mentionnés à l'article R. 431-6 du code de justice administrative, le demandeur ne peut être représenté devant ces juridictions que par un avocat ou par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.

4. Il s'ensuit que le fils de M. C... D... F... et de Mme G... A... épouse D..., M. B... F... D..., qui était dépourvu d'un intérêt propre lui donnant qualité pour agir contre les refus de visa opposés à ses parents, et n'avait pas davantage qualité pour agir en leur nom, n'a pu régulièrement introduire, pour le compte de ces derniers, un recours contentieux devant le tribunal.

5. Il ressort du dossier de procédure que, par un courrier du 24 novembre 2020, le tribunal a invité M. B... F... D... à régulariser la demande " soit en faisant signer la requête par M. C... D... F... et Mme G... A... épouse D..., avec l'indication qu'ils déclarent tous deux s'en approprier les conclusions et les moyens ; / soit en versant au dossier un pouvoir par lequel M. C... D... F... et Mme G... A... épouse D... donnent pouvoir à leur fils, M. B... F... D..., pour agir en leur nom dans la présente instance. ". En réponse à cette invitation, une " procuration " datée du 10 décembre 2020 et comportant les signatures personnelles de M. D... F... et de Mme A... épouse D... a été produite devant les premiers juges. Par ce document, les intéressés déclarent donner " tous pouvoirs " à leur fils pour les " représenter devant le tribunal administratif de Nantes à l'audience du 08/01/2021, d'effectuer toutes démarches nécessaires, tant orales qu'écrites, en [leur] nom et pour [leur] intérêt ".

6. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 du présent arrêt que, même muni d'un telle " procuration ", M. B... F... D... n'a pu valablement agir en qualité de mandataire devant le tribunal.

7. Toutefois, M. C... D... F... et Mme G... A... épouse D... ont produit devant la cour un courrier par lequel ils indiquent s'approprier les conclusions présentées par leur fils tant devant le tribunal que la cour. Ce courrier est accompagné de la copie de la demande de première instance sur laquelle ils ont apposé leurs signatures personnelles précédées de la mention " lu et approuvé ". Cette production a eu pour effet de régulariser la demande de première instance.

8. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article D. 211-5 recodifié à l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l'immigration est chargée d'examiner les recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de cette commission est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier. ". Il résulte des dispositions du second alinéa de l'article D. 211-6 recodifié à l'article D. 312-4 du même code que cette commission est régulièrement saisie soit par une personne justifiant d'un intérêt lui donnant qualité pour contester la décision de refus de visa soit par un " mandataire dûment habilité ". D'autre part, aux termes des dispositions du premier alinéa de l'article L. 114-6 du code des relations entre le public et l'administration : " Lorsqu'une demande adressée à une administration est affectée par un vice de forme ou de procédure faisant obstacle à son examen et que ce vice est susceptible d'être couvert dans les délais légaux, l'administration invite l'auteur de la demande à la régulariser en lui indiquant le délai imparti pour cette régularisation, les formalités ou les procédures à respecter ainsi que les dispositions légales et réglementaires qui les prévoient. ". En application de ces dispositions, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France est tenue d'inviter les demandeurs à régulariser les recours qui seraient entachés d'un vice de forme tel que l'absence de production du mandat prévu par l'article D. 211-6 recodifié à l'article D. 312-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. Si le ministre de l'intérieur affirme, sans toutefois verser aux débats la demande soumise à la commission de recours, que M. B... F... D... n'a pas été mandaté par ses parents pour former un recours devant cette commission, il n'est ni établi ni même allégué que cette dernière l'aurait, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 114-6 du code des relations entre le public et l'administration, invité à justifier de l'habilitation prévue au second alinéa de l'article D. 211-6 recodifié à l'article D. 312-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, l'irrecevabilité du recours préalable obligatoire formé par M. B... F... D... ne saurait, en tout état de cause, être opposée aux intéressés.

10. Il suit de là que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que la demande de M. C... D... F... et Mme A... épouse D... était irrecevable.

11. Le ministre de l'intérieur a indiqué devant les premiers juges que la décision contestée était fondée sur l'insuffisance des ressources des demandeurs. Ce motif de refus a été jugé illégal par le tribunal administratif de Nantes sans que le ministre de l'intérieur ne conteste en appel le bien-fondé de cette censure ni ne se prévale de considérations d'intérêt général autres.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur les conclusions incidentes aux fins d'injonction et d'astreinte :

13. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

14. Les requérants soutiennent sans être contredits qu'alors que leur fils a quitté le Cameroun en 2007 et est réfugié en France depuis 2008, leurs demandes de visas pour visite familiale se heurtent systématiquement à des refus. Ils n'ont pas vu leur fils depuis son départ en 2007 ni pu rencontrer la famille que ce dernier a fondée en France, en particulier leurs deux petits enfants nés en 2013 et 2016. Ils font également valoir que, eu égard à leur âge avancé, leurs chances de voyager s'amenuisent. Dans ces conditions, les refus de visa en litige portent au droit au respect de la vie privée et familiale de Gustave D... F... et Mme G... A... épouse D... ainsi qu'à celui de leur fils une atteinte à leur vie privée et familiale disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.

15. Par suite, il y a lieu de faire droit aux conclusions incidentes des intimés et d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, des visas de court séjour à M. C... D... F... et Mme G... A... épouse D.... Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

16. Il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. C... D... F... et Mme G... A... épouse D... de la somme de 1 000 euros, au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

D É C I D E:

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer des visas de court séjour à M. C... D... F... et Mme G... A... épouse D... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... D... F... et Mme G... A... épouse D... la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions incidentes à fin d'astreinte présentées par M. C... D... F... et Mme G... A... épouse D... sont rejetées.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. C... D... F... et Mme G... A... épouse D... et à M. B... F... D....

Délibéré après l'audience du 29 mars 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme Douet, présidente-assesseure,

- Mme Bougrine, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 mai 2022.

La rapporteure,

K. E...Le président,

A. PEREZ La greffière,

A. LEMEE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT00567


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT00567
Date de la décision : 06/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Karima BOUGRINE
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : DUJONCQUOY

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-05-06;21nt00567 ?
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