Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... E... et Mme F... E... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours dirigé contre les décisions du 21 février 2020 de l'autorité consulaire française à Dakar (Sénégal) refusant un visa d'entrée et de long séjour aux enfants C... E... et A... E... en qualité d'enfants étrangers d'un ressortissant français.
Par un jugement n° 2009125 du 30 avril 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 juillet et 8 octobre 2021, M. D... E... et Mme F... E..., représentés par Me Demba, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 30 avril 2021 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours dirigé contre les décisions du 21 février 2020 de l'autorité consulaire française à Dakar (Sénégal) refusant un visa d'entrée et de long séjour aux enfants C... E... et A... E... en qualité d'enfants étrangers d'un ressortissant français ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de condamner l'Etat à leur verser une somme de 2 000 euros en réparation des préjudices subis ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il a méconnu le principe du contradictoire ; le mémoire en défense du ministre a été produit après la clôture de l'instruction ; ils n'ont pas disposé d'un délai raisonnable pour pouvoir y répondre ; le ministre a déposé une note en délibéré qui a été prise en compte par les premiers juges, et qui n'a pas été communiquée ;
- la décision contestée est entachée d'erreur d'appréciation, les liens familiaux invoqués étant établis par les documents d'état civil produits et par les éléments de possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 août 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... E... est un ressortissant français né le 16 février 1967. Le 18 février 2020, ses enfants allégués, C... E... et A... E..., ressortissants sénégalais nés le 14 octobre 2003, ont sollicité un visa de long séjour en qualité d'enfants étrangers d'un ressortissant français. Par décisions du 21 février 2020, l'autorité consulaire française à Dakar (Sénégal) a rejeté leurs demandes. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté les recours dirigés contre ces décisions. M. D... E... et Mme F... E... relèvent appel du jugement du 30 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande d'annulation de la décision de la commission de recours.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, devant les juridictions administratives et dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Par suite, en décidant de verser au contradictoire après la clôture de l'instruction le mémoire en défense du ministre qui a été produit après celle-ci, le président de la formation de jugement du tribunal administratif, qui doit être regardé comme ayant rouvert l'instruction, n'a pas entaché le jugement attaqué d'irrégularité.
3. En deuxième lieu, le juge, auquel il incombe de veiller à la bonne administration de la justice, n'a aucune obligation de faire droit à une demande de délai supplémentaire formulée par une partie pour produire un mémoire et peut, malgré cette demande, mettre au rôle l'affaire, hormis le cas où des motifs tirés des exigences du débat contradictoire l'imposeraient. Il n'a pas davantage à motiver le refus qu'il oppose à une telle demande. Aucune disposition du code de justice administrative ne lui impose de viser cette demande de délai supplémentaire.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme E... ont reçu, le 15 mars 2021, communication du mémoire en défense du ministre de l'intérieur, alors que son affaire était mise au rôle de l'audience du tribunal administratif du 2 avril 2021. Contrairement à ce qu'ils soutiennent, ils ont ainsi disposé d'un délai raisonnable pour en prendre connaissance et, le cas échéant, y répondre. Dès lors, si M. et Mme E... ont formulé devant le tribunal, le 30 mars 2021, une demande visant à obtenir un délai supplémentaire pour produire un mémoire ainsi que le renvoi de l'affaire à une audience ultérieure, aucun motif tiré des exigences du débat contradictoire n'imposait au président de la formation de jugement d'y faire droit. Dans ces conditions, M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière, en méconnaissance du principe du contradictoire, en raison de l'impossibilité de répondre au mémoire en défense produit par le ministre.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 731-1 du code de justice administrative : " A l'issue de l'audience, toute partie à l'instance peut adresser au président de la formation de jugement une note en délibéré ". Lorsqu'il est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, le juge administratif doit dans tous les cas en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision. S'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire, à peine d'irrégularité de sa décision, que si cette note contient, soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit l'exposé d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office.
6. Il ressort des pièces du dossier que la note en délibéré produite par le ministre de l'intérieur à l'issue de l'audience du 2 avril 2021, qui a été visée par les premiers juges, ne comporte l'exposé d'aucune des circonstances de fait ou de droit énoncées au point 5. D'autre part, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne ressort pas des mentions du jugement attaqué que les premiers juges se seraient fondés sur d'autres éléments que ceux déjà en leur possession avant la réception de cette même note pour apprécier la légalité de la décision contestée. Par suite, le moyen tiré de l'atteinte au principe du caractère contradictoire de la procédure en raison de la production, par le ministre, d'une note en délibéré, doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment du mémoire en défense du ministre présenté en première instance, que, pour refuser de délivrer les visas sollicités, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motif tiré de ce que le lien de filiation des demandeurs avec M. D... E... n'étaient établis ni par les actes produits ni par la possession d'état.
8. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, prévoit par ailleurs, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
9. Pour justifier du lien de filiation entre les demandeurs et M. D... E..., ont été produits, devant l'autorité consulaire et la commission de recours, les copies littérales des actes de naissance de Daouda et Papa E... dressés le 31 décembre 2003 par l'officier d'état civil du centre de Niomré, respectivement numérotés n°197 et n°455, faisant état des naissances des enfants le 14 octobre 2003 de l'union de M. D... E... et de Mme F... E.... Ont ensuite été produits, devant le tribunal administratif, deux extraits du registre de l'état civil du centre de Niomré délivrés le 24 juillet 2011, deux actes de reconnaissance d'enfant naturel par M. D... E... en date du 28 février 2011, établis par Me Edmond Badji, notaire titulaire de la charge de Louga (Sénégal), deux copies intégrales d'actes de reconnaissance français faisant état d'une reconnaissance des enfants par M. D... E... le 28 novembre 2011 ainsi que les cartes d'identité et passeports des intéressés. Il ressort toutefois des pièces du dossier que les actes de naissance du 31 décembre 2003 font état de ce que M. D... E... est le père des enfants, alors que les autres documents produits, ainsi que la demande des requérants, mentionnent une reconnaissance des enfants par ce dernier au cours de l'année 2011. En outre, la numérotation de ces mêmes documents du 31 décembre 2003 comporte un écart important, alors que les enfants sont nés le même jour et à la même heure. Par ailleurs, les extraits d'actes de naissance du 24 juillet 2011 sont dépourvus de certaines mentions figurant sur les actes du 31 décembre 2003, alors que l'article 47 du code sénégalais de la famille prévoit que " (...) Les copies sont la reproduction intégrale de l'acte original tel qu'il a été dressé ou rectifié et des mentions marginales. (...) ". Ainsi que le fait valoir le ministre, les actes du 31 décembre 2003 ne comportent pas la mention de la déclaration tardive de la naissance des intéressés, en méconnaissance des dispositions de l'article 51 du code sénégalais de la famille. La mention des actes de reconnaissance dressés le 28 février 2011 ne figure pas sur les extraits d'actes de naissance établis postérieurement, le 24 juillet 2011, en méconnaissance des dispositions de l'article 46 du code sénégalais de la famille. M. E... n'apporte aucune explication précise et circonstanciée sur la multiplicité des actes présentés, non plus que sur leur production tardive. Par ailleurs, les attestations de tiers ne suffisent pas à établir l'existence du lien de filiation par la possession d'état, et alors au demeurant que M. E... n'a pas mentionné les enfants lors de sa demande d'acquisition de la nationalité française, formulée au cours de l'année 2008. Dans ces conditions, et eu égard aux nombreuses anomalies démontrant notamment le caractère irrégulier des actes produits, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a pu, sans faire une inexacte application des dispositions précitées, rejeter les demandes de visa en litige au motif que l'identité et le lien de filiation des enfants C... E... et A... E... à l'égard de M. D... E... n'étaient pas établis.
10. En second lieu, le lien de filiation n'étant pas établi, ainsi qu'il vient d'être dit, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme doit être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande. Doivent être rejetées par voie de conséquence les conclusions à fin d'injonction sous astreinte présentées par les requérants, ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par ailleurs, et ainsi qu'il a été dit aux points 7 à 10, M. et Mme E... n'établissent pas l'existence d'une illégalité de nature à fonder l'annulation de la décision contestée. Par suite, et en tout état de cause, en l'absence de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, les conclusions tendant à la condamnation de celui-ci à indemniser le préjudice subi du fait de cette décision ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E..., à Mme F... E... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer
Délibéré après l'audience du 30 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 octobre 2022.
Le rapporteur,
A. B...Le président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 21NT01912