Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... A..., agissant tant en son nom personnel qu'au nom des enfants D... A..., E... A... et F... E... A..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 12 janvier 2018 par laquelle le président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté comme manifestement mal fondé le recours formé contre la décision du 6 novembre 2017 de l'ambassadeur de France en Guinée et Sierra Léone refusant de délivrer à chacun des enfants un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 1803151 du 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 novembre 2021, et deux mémoires complémentaires, enregistrés tous le 2 juillet 2022, Mme E... A..., agissant tant en son nom personnel qu'au nom des enfants E... A... et F... E... A..., ainsi que M. D... A..., représentés par Me Diallo, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 14 octobre 2021 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 12 janvier 2018 du président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités à M. D... A... ainsi qu'aux enfants E... A... et F... E... A... ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la décision contestée est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mars 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 décembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... A..., ressortissante guinéenne née en 1982, a obtenu, par une décision du 3 mars 2014 de la Cour nationale du droit d'asile, la reconnaissance de la qualité de réfugié en France. Le 2 décembre 2015, elle a sollicité, pour le compte des enfants D... A..., E... A... et F... E... A..., dont elle déclare être la mère, auprès de l'ambassade de France en Guinée et Sierra Léone la délivrance pour chacun d'eux d'un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale. Par une décision du 6 novembre 2017, l'ambassadeur de France a refusé de leur délivrer les visas sollicités. L'intéressée a alors saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par une décision du 12 janvier 2018, le président de la commission de recours a rejeté ce recours comme manifestement mal fondé. Mme A... relève appel du jugement du 14 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...). ". Lorsque la venue d'une personne en France a été sollicitée au titre de la réunification des membres de la famille d'un réfugié statutaire, l'autorité consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère probant des actes d'état-civil produits pour justifier de l'identité et, le cas échéant, du lien familial de l'intéressé avec le réfugié.
3. D'autre part, l'article L. 111-6 du même code, alors en vigueur, prévoit que : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". L'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors applicable, dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Enfin, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
5. Le président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé les refus de visa opposés aux enfants D... A..., E... A... et F... E... A... au motif que les documents d'état civil produits à l'appui de leurs demandes de visa ne permettaient pas d'établir leur identité et, partant, le lien de filiation les unissant à Mme A....
6. Pour justifier de l'identité des demandeurs de visa et du lien de filiation les unissant à elle, Mme A... a produit, successivement devant le tribunal et la cour, pour chacun des demandeurs, plusieurs jugements supplétifs d'actes de naissance dont les énonciations quant à l'identité des intéressés et leur lien de filiation sont toutes concordantes entre elles et correspondent, en outre, aux informations renseignées par l'intéressée au sujet de sa situation familiale à l'occasion de sa demande d'asile. La seule circonstance, relevée par le ministre de l'intérieur, que certains de ces jugements supplétifs comportent la mention selon laquelle ils ont été rendus " à la requête de M. B... A... ", présenté comme le père des demandeurs, alors que celui-ci était déjà décédé, n'est pas de nature, par elle-même, à remettre en cause leur force probante. Dès lors, le président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ne pouvait pas, sans méconnaître les dispositions précitées, rejeter le recours de Mme A....
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 12 janvier 2018 du président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Eu égard à ses motifs, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance des visas sollicités à M. D... A... et aux enfants E... A... et F... E... A.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat, Me Diallo, peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Diallo, avocat de Mme A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Diallo de la somme de 1 200 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 14 octobre 2021 du tribunal administratif de Nantes et la décision du 12 janvier 2018 du président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à M. D... A... et aux enfants E... A... et F... E... A... des visas d'entrée et de long séjour en France dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Diallo une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Diallo renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... A..., à M. D... A..., à Me Diallo et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Le Brun, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 février 2023.
Le rapporteur,
Y. C...
La présidente,
C. BUFFET
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT03218