Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. I... D... et Mme H... A... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 3 décembre 2019 de l'ambassadeur de France en Ethiopie refusant de délivrer à Mme B... un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2103991 du 4 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme H... A... B... un visa d'entrée et de long séjour en France dans un délai de deux mois, sous astreinte, passé ce délai, de 100 euros par jour retard.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er décembre 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 4 octobre 2021 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D... et Mme B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, la décision contestée de la commission de recours n'est pas entachée d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les documents produits ne permettant pas d'établir l'identité de Mme B... et la qualité de conjoint de M. D... dont elle se prévaut.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 janvier 2022, M. I... D... et Mme H... A... B..., représentés par Me Le Roy, concluent au rejet de la requête et, en outre, à ce qu'une somme globale de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils font valoir que :
- la décision implicite de la commission de recours contestée méconnaît les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 janvier 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E... ;
- et les observations de Me Le Roy, représentant M. D... et Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. M. I... D..., ressortissant éthiopien né en 1994, a obtenu, par une décision du 6 juillet 2018 de la Cour nationale du droit d'asile, la reconnaissance de la qualité de réfugié en France. Mme H... A... B..., qui se présente comme son épouse, a sollicité, le 19 juin 2019, auprès de l'ambassade de France en Ethiopie la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale. Par une décision du 3 décembre 2019, l'ambassadeur de France a refusé de lui délivrer le visa sollicité. M. D... a alors saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Le silence gardé par la commission sur ce recours a fait naître une décision implicite de rejet à l'expiration d'un délai de deux mois. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 4 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. D... et de Mme B..., cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / (...) / II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...). ". Lorsque la venue d'une personne en France a été sollicitée au titre de la réunification des membres de la famille d'un réfugié statutaire, l'autorité consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère probant des actes d'état-civil produits pour justifier de l'identité et, le cas échéant, du lien familial de l'intéressé avec le réfugié.
3. D'autre part, l'article L. 111-6 du même code, alors en vigueur, prévoit que : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". L'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors applicable, dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Il ressort de la requête du ministre de l'intérieur que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé le refus de visa opposé à Mme B... au motif que les documents produits ne permettaient pas d'établir son identité, ni la qualité de conjoint de M. D... dont elle se prévaut.
5. Pour justifier de son identité, Mme B... a produit à l'appui de sa demande de visa un acte de naissance, dressé le 16 août 2011, par l'officier d'état civil de la ville d'Adaba, mentionnant qu'elle est née le 11 février 1993, à Adaba, de la relation de M. A... G... et de Mme C... F..., tous deux de nationalité éthiopienne. Le ministre de l'intérieur ne conteste pas l'authenticité de cet acte de naissance, dont les énonciations sont d'ailleurs concordantes avec les mentions du passeport de l'intéressée ainsi qu'avec les informations renseignées à son sujet par M. D... lors de l'établissement de sa fiche familiale de référence. Mme B... a également produit, pour justifier de sa qualité de conjoint de M. D..., un certificat de mariage religieux, daté du 8 juin 2014, faisant état de la célébration de leur union ce même jour ainsi que le document d'enregistrement du mariage dans les registres de l'état civil précisant que la date de mariage des intéressés est le 8 juin 2014. Si le ministre relève que ce mariage n'a été enregistré par les autorités civiles locales que le 8 mai 2019, cette circonstance n'est pas de nature à remettre en cause la réalité du lien marital unissant M. D... à Mme B.... Par ailleurs, le ministre de l'intérieur ne saurait, en l'absence de dispositions en ce sens, opposer aux intéressés l'absence de production d'un certificat de mariage établi par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Dans ces conditions, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant que l'identité de Mme B... et le lien marital l'unissant à M. D... n'étaient pas établis et en refusant de délivrer, pour ce motif, à l'intéressée le visa sollicité.
6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. D... et de Mme B..., la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les frais liés à l'instance :
7. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate, Me Le Roy, peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Le Roy, avocate de M. D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Le Roy de la somme de 1 200 euros.
D É C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Le Roy une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Le Roy renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Me Le Roy et à M. I... D... et Mme H... A... B....
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Le Brun, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 février 2023.
Le rapporteur,
Y. E...
La présidente,
C. BUFFET
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT03363