Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au magistrat désigné du tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 20 décembre 2022 par lequel le préfet du Calvados l'a obligé à quitter le territoire sans délai, a fixé le pays de renvoi en cas d'éloignement d'office et lui a interdit le retour en France pendant une durée d'un an.
Par un jugement nos 2202875, 2202876 du 6 janvier 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Caen a annulé cet arrêté.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 février 2023, le préfet du Calvados demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 6 janvier 2023.
Il soutient que :
- l'arrêté litigieux ne méconnaît pas l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'obligation de quitter le territoire français étant légale, la légalité des décisions portant interdiction de retour et assignation à résidence devra être confirmée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mars 2023, M. B... C..., représenté par Me Wahab, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté litigieux méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision lui refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, le risque de fuite n'étant pas suffisamment établi ;
- elle est entachée d'erreur de droit en ce qu'elle est fondée sur les dispositions des 4° et 8° de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'existent pas ;
- elle est entachée d'une erreur dans la qualification juridique des faits en ce qu'elle retient un risque qu'il se soustraie à la mesure d'éloignement ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- les décisions fixant le pays de renvoi et portant interdiction de retour en France doivent être annulées par voie de conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français ;
- l'interdiction de retour est entachée d'une erreur d'appréciation et méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un courrier du 5 juin 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de procéder d'office à une substitution de base légale en substituant aux dispositions du 1° de l'article
L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sur lesquelles est fondée la décision d'obligation de quitter le territoire français litigieuse, les dispositions du 2° de ce même article.
Par un mémoire, enregistré le 14 juin 2023, le préfet du Calvados a présenté des observations en réponse au moyen d'ordre public.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-634 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lellouch,
- et les observations de Me Wahab, représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... C..., né en 1975, est entré en France en dernier lieu en septembre 2017 sous couvert d'un visa de court séjour touristique, au-delà de la durée de validité duquel il s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire français. Interpellé le 20 décembre 2022 dans le cadre d'un contrôle URSSAF de lutte contre le travail illégal, il a été placé en retenue administrative et par arrêté du même jour, le préfet du Calvados l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour en France. M. C... a présenté un recours en annulation devant le tribunal administratif de Caen contre cet arrêté. Par jugement du 6 janvier 2023, le magistrat désigné du tribunal a annulé l'arrêté préfectoral du 20 décembre 2022 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour en France. Le préfet du Calvados relève appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ; ".
3. Il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qu'indiquent les motifs de l'arrêté litigieux, M. C... est entré en France sous couvert d'un visa d'entrée et de court séjour le 18 septembre 2017. Ainsi, il justifie être entré régulièrement en France. Par suite, la décision d'obligation de quitter le territoire français ne pouvait être prise sur le fondement des dispositions précitées du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Toutefois, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.
5. La décision attaquée, motivée par l'irrégularité du séjour de M. C..., trouve son fondement légal dans les dispositions du 2° du même article L. 611-1 qui peuvent être substituées à celles du 1° dès lors, en premier lieu, que, s'étant maintenu sur le territoire français plus de trois mois après son entrée sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré, M. C... se trouvait dans la situation où, en application du 2° de cet article, le préfet pouvait l'obliger à quitter le territoire, en deuxième lieu, que cette substitution de base légale n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie et, en troisième lieu, que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions.
Sur le moyen retenu par le tribunal administratif de Caen :
6. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. Il ressort des pièces du dossier que M. C... est entré en France en septembre 2017 sous couvert d'un visa de court séjour touristique et qu'il s'y est maintenu irrégulièrement
au-delà de la validité de ce visa, sans avoir saisi les services préfectoraux compétents afin de régulariser sa situation administrative. En dépit de sa situation irrégulière, il a conclu un contrat à durée indéterminée avec le gérant de la boucherie populaire d'Hérouville en juin 2021 et occupait dans ce cadre un emploi de boucher préparateur non cadre dont il tirait une rémunération d'environ 1 300 euros par mois. Il ressort des pièces du dossier, en particulier de son audition dans le cadre de la retenue administrative dont il a fait l'objet, que M. C..., divorcé avec deux filles non à charge résidant en Algérie, n'a pour toute attache familiale en France que des oncles résidant en région parisienne qu'il ne côtoie pas et dont il ne connaît pas l'adresse. Compte tenu des conditions de séjour en France de M. C... et de sa situation personnelle et familiale, les circonstances qu'il soit titulaire d'un contrat à durée indéterminée conclu sans autorisation de travail, au mépris des règles en vigueur, sur un emploi en tension et qu'il ait une relation d'amitié avec son employeur ne permettent pas de considérer qu'en l'obligeant à quitter le territoire français où il séjournait irrégulièrement depuis cinq ans, le préfet du Calvados aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et aurait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ainsi, c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Caen s'est fondé sur ce motif pour annuler la décision portant obligation de quitter le territoire français.
8. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... en première instance et en appel.
Sur les autres moyens invoqués par M. C... :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
9. En premier lieu, par un arrêté du 27 avril 2022, publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture n° 14-2022-084 du même jour et consultable sur le site internet de la préfecture, le préfet du Calvados a donné délégation à M. F... A..., adjoint au chef du bureau de l'asile et de l'éloignement, à l'effet de signer, en cas d'empêchement de M. E... D..., les arrêtés relevant des attributions de la section éloignement. Celles-ci comprennent, en application de l'article 3-4-3 de l'arrêté préfectoral du 30 août 2021 portant organisation des services de la préfecture du Calvados, publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture n° 14-2021-158 du même jour et consultable sur le site internet de la préfecture, la rédaction et l'exécution des obligations de quitter le territoire, ainsi que la rédaction des décisions fixant le pays de destination et des interdictions de retour sur le territoire français. Il n'est pas établi que M. D... n'aurait pas été empêché le jour de la signature de l'arrêté attaqué. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte doit être écarté.
10. En deuxième lieu, l'obligation de quitter le territoire français comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle est dès lors suffisamment motivée.
11. En troisième lieu, M. C... justifie être entré régulièrement en France sous couvert d'un visa d'entrée et de court séjour. La décision d'obligation de quitter le territoire français litigieuse est dès lors entachée d'une erreur de fait. Toutefois, compte tenu de la substitution de base légale opérée au point 5, cette erreur relative aux conditions de son entrée en France est sans incidence sur la légalité de la mesure litigieuse, dès lors que la situation irrégulière de M. C... qui la motive est caractérisée non plus sur son entrée irrégulière mais sur ce qu'il s'est maintenu en France au-delà de la durée de validité de son visa sans régulariser sa situation administrative.
En ce qui concerne le refus d'accorder un délai de départ volontaire :
12. Aux termes des dispositions de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; / 2° L'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse ; / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) 4° L'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français ; (...) 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité. "
13. Si le préfet fait valoir que M. C... a déclaré lors de l'audition réalisée dans le cadre de la retenue administrative qu'il n'a pas envie de quitter la France, qu'il travaille et qu'il souhaite rester, il n'a pas ce faisant explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à une mesure d'éloignement si une telle mesure était prise. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite du rejet de sa demande d'asile en 2002 et de la mesure d'obligation de quitter le territoire français prise consécutivement à ce refus, M. C... est retourné en Algérie en exécution de cette mesure d'éloignement. Si le requérant n'avait pas régularisé sa situation administrative à la date de la décision litigieuse, il ressort des pièces du dossier qu'il a déclaré annuellement sa situation aux services fiscaux depuis 2018, qu'il avait pris à bail un logement quelques mois avant l'arrêté litigieux et qu'il avait constitué un dossier d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié qu'il allait selon ses déclarations déposer à la préfecture. En outre, il justifie ainsi qu'il a été dit d'une entrée régulière en France et d'un passeport en cours de validité. Dès lors, le risque de fuite dont se prévaut le préfet n'est pas suffisamment établi. Il s'ensuit que le préfet du Calvados a fait une inexacte application des dispositions du 3° de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant d'accorder à M. C... un délai de départ volontaire. La décision lui refusant un délai de départ volontaire doit dès lors être annulée.
En ce qui concerne l'interdiction de retour en France et l'assignation à résidence :
14. L'interdiction de retour en France pendant un an qui lui a été opposée, prise sur le fondement de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et l'arrêté portant assignation à résidence, pris sur le fondement de l'article L. 730-1 du même code, doivent être annulées par voie de conséquence de l'annulation de la décision refusant à l'intéressé un délai de départ volontaire.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Calvados est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Caen a annulé l'arrêté du 20 décembre 2022 en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi.
Sur les frais liés à l'instance :
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Caen est annulé en tant seulement qu'il a annulé la décision obligeant M. C... à quitter le territoire français et celle fixant le pays de renvoi contenues dans l'arrêté du 20 décembre 2022.
Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... C....
Une copie en sera adressée, pour information, au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 15 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président
- Mme Brisson, présidente-assesseure,
- Mme Lellouch, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juin 2023.
La rapporteure,
J. Lellouch
Le président,
D. Salvi
Le greffier,
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23NT00285