Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... et M. A... B... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes à leur verser respectivement et à titre provisionnel les sommes de 50 372,25 euros et de 3 000 euros en réparation des préjudices que leur a causé l'intervention chirurgicale subie par Mme B... le 2 février 2006.
Par une ordonnance n° 1902158 du 26 novembre 2019, le président du tribunal administratif de Rennes a condamné le CHU de Rennes à verser les sommes provisionnelles de 50 372,25 euros à Mme B... et de 1 000 euros à M. B.... Il a également condamné la société Zimmer Gmbh à garantir le CHU de Rennes de ces condamnations.
Procédure devant la cour avant cassation :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 février et 11 août 2020, la société Zimmer Gmbh, représentée par Me Jaïs, demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du président du tribunal administratif de Rennes du 26 novembre 2019 en tant qu'elle l'a condamnée à garantir le CHU de Rennes des condamnations prononcées à son encontre ;
2°) de mettre à la charge du CHU de Rennes la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il n'entrait pas dans l'office du juge des référés d'apprécier l'existence ou non d'une faute au sens de l'article 1245-15 du code civil ;
- en application des dispositions de l'article L. 1245-16 du même code, le CHU de Rennes était forclos à rechercher sa responsabilité ;
- la prothèse défectueuse ayant été acquise le 6 septembre 2003 par le CHU de Rennes, le délai de prescription de dix ans fixé par les dispositions de l'article L. 1245-15 du code civil était expiré lorsque les époux B... ont introduit leur recours indemnitaire ;
- aucun lien de causalité direct et certain n'est établi entre la pose de la prothèse défectueuse et la symptomatologie douloureuse de Mme B..., de sorte que l'existence de l'obligation est sérieusement contestable.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 avril 2020, le CHU de Rennes, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société Zimmer Gmbh la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Zimmer Gmbh ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 10 juin 2020 M. et Mme B..., représentés par
Me L'Hostis, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour de mettre à la charge de la société Zimmer Gmbh la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par la société Zimmer Gmbh ne sont pas fondés.
Par un arrêt n° 20NT00460, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé l'ordonnance du président du tribunal administratif de Rennes du 26 novembre 2019 en tant qu'elle a condamné la société Zimmer Gmbh à garantir le CHU de Rennes des condamnations prononcées à son encontre et a rejeté les conclusions présentées par le CHU de Rennes devant le tribunal administratif de Rennes tendant à ce que la société Zimmer Gmbh soit condamnée à le garantir des conclusions prononcées à son encontre.
Par une décision n° 446692 du 25 mai 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt en tant qu'il omet de statuer sur la responsabilité pour faute de la société Zimmer Gmbh et a renvoyé dans cette mesure l'affaire devant la cour, où elle a été enregistrée sous le n° 22NT01608.
Procédure devant la cour après cassation :
Par deux mémoires, enregistrés les 5 septembre et 21 décembre 2022, le CHU de Rennes, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête d'appel de la société Zimmer et demande à la cour de mettre à la charge de la société Zimmer Gmbh une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- ses conclusions relatives à son action récursoire sur le terrain de la responsabilité pour faute avait déjà été présentées devant le tribunal administratif et ne sont pas nouvelles en appel ;
- le conditionnement défectueux des prothèses Wallaby est constitutif d'une faute qui engage la responsabilité de la société Zimmer Gmbh à son égard ;
- il en va de même du défaut d'information du caractère défectueux des prothèses à partir du moment où le fabricant en a eu connaissance, soit au 6 août 2010.
Par un mémoire, enregistré le 10 octobre 2022, Mme C... B..., représentée par Me L'Hostis, demande à la cour de rejeter la requête d'appel de la société Zimmer Gmbh et de mettre à sa charge une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la défectuosité de la prothèse implantée n'est pas contestable ;
- la problématique de l'emballage de ces prothèses résulte également du rapport d'expertise ;
- l'utilisation de cette prothèse défectueuse est à l'origine d'une usure prothétique prématurée, d'épanchements de synovie récidivants et de douleurs persistantes ;
Par un mémoire, enregistré le 13 décembre 2022, la société Zimmer Gmbh, représentée par Me Jaïs, demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du président du tribunal administratif de Rennes du 26 novembre 2019 en tant qu'elle l'a condamnée à garantir le CHU de Rennes des condamnations prononcées à son encontre ;
2°) de mettre à la charge du CHU de Rennes une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande du CHU fondée sur la responsabilité pour faute est irrecevable car nouvelle en cause d'appel ;
- les fautes invoquées par le CHU, que ce soit le défaut de conditionnement ou le défaut d'information de ce défaut, se rattachent à un défaut de sécurité de la prothèse et sont insusceptibles d'engager sa responsabilité sur le fondement du droit commun ;
- à titre subsidiaire, le caractère inapproprié de l'emballage des prothèses d'une part est imputable à une société tierce mandatée par la société Sulzer/Centerpulse et d'autre part, ne saurait suffire à caractériser une faute susceptible d'engager sa responsabilité ;
- en toute hypothèse, il n'existe pas de lien de causalité entre l'oxydation précoce de la prothèse et les douleurs rencontrées par Mme B... ;
- en l'absence de stipulation contractuelle expresse, il n'existe aucune obligation d'information à la charge des fabricants envers les professionnels de santé sur le caractère défectueux de l'emballage prothétique de sorte que ce défaut n'est pas fautif ervaultHer ; elle a informé les autorités sanitaires compétentes qui ont pris seules la décision de ne pas informer les chirurgiens français ;
- en toute hypothèse, ce défaut d'information ne présente pas de lien de causalité avec le dommage dont Mme B... se prévaut ; lorsque le chirurgien a été informé de la problématique de l'usure prématurée, il a seulement mis en place un suivi renforcé et a attendu près d'un an avant de remplacer la prothèse.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 ;
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lellouch,
- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,
- et les observations de Me Falhun, représentant la société Zimmer Gmbh, et de Me Gilbert, représentant le CHU de Rennes.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... a subi en 2006 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes une intervention chirurgicale consistant en la pose d'une prothèse totale du genou droit. Faisant état de douleurs résiduelles importantes et de troubles fonctionnels, qui ont conduit au remplacement de sa prothèse en juin 2013, elle a, ainsi que son époux, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier au versement d'une provision. Par une ordonnance du 26 novembre 2019, le président du tribunal administratif de Rennes a condamné le CHU de Rennes à verser aux requérants diverses sommes provisionnelles et a, en outre, condamné la société Zimmer Gmbh, venant aux droits de la société fabricante de la prothèse, à garantir le centre hospitalier de cette condamnation. Sur appel de la société Zimmer Gmbh dirigé contre cette dernière partie de l'ordonnance, la cour administrative d'appel de Nantes a, par l'arrêt du 6 novembre 2020, annulé l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif en tant qu'elle condamne cette société à garantir le CHU de Rennes des condamnations prononcées à son encontre. Par décision du 25 mai 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt du 6 novembre 2020 en tant qu'il a omis de statuer sur la responsabilité pour faute de la société Zimmer Gmbh et a renvoyé l'affaire dans cette mesure devant la cour.
2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie.
3. En premier lieu, il est constant que l'usure prématurée de la prothèse tibiale de type Wallaby I, fabriquée en polyéthylène, et implantée à Mme B..., résulte de son conditionnement inapproprié, dans un emballage dépourvu de barrière anti-oxygène. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction, et notamment pas des mentions du rapport d'expertise, que le risque lié à l'utilisation de tels emballages, existant pour les prothèses stockées une longue période avant d'être implantées, était connu à la date à laquelle la prothèse a été implantée à Mme B.... Il résulte par ailleurs de l'instruction qu'après avoir été informée du problème par la société Zimmer Gmbh, l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS), devenue l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, a pris la décision de ne pas alerter les chirurgiens français, estimant que le problème affectant les conditionnements des inserts Wallaby I ne représentait pas un risque suffisamment important d'usure prématurée pour justifier la diffusion de cette information. Ainsi, la créance qui résulterait de la faute du producteur inhérente au conditionnement de la prothèse de type Wallaby I implantée à Mme B... ne présente pas, en l'état de l'instruction, un caractère non sérieusement contestable.
4. En second lieu, il résulte de l'instruction que la société Zimmer GMBH a alerté dès le mois d'août 2010 l'AFSSAPS du défaut affectant les prothèses de type Wallaby commercialisées avant 2005 et qu'à la suite de cette alerte, l'AFSSAPS a obtenu de la société requérante, dans le cadre d'échanges de courriels intervenus entre le 2 et le 30 août 2010, toutes les précisions qu'elle lui a demandées sur ce point. Si l'expert a conclu dans son rapport que la société Zimmer GMBH n'avait pas informé les établissements de santé concernés, et en particulier le CHU de Rennes, du risque d'usure prématurée lié à l'emballage du produit, il résulte des dispositions alors en vigueur de l'article L. 5311-1 du code de la santé publique qu'il entrait dans les missions de l'AFSSAPS d'assurer la mise en œuvre des systèmes de vigilance et donc d'informer les professionnels de santé du problème de sécurité dont elle avait été alertée par la société requérante. Au demeurant, et ainsi qu'il a été dit au point 3, l'AFSSAPS a estimé qu'il n'était pas nécessaire d'informer les professionnels de santé français. Dans ces conditions, aucune faute tenant à un défaut d'information sur le caractère défectueux de la prothèse " Wallaby " ne peut être retenue à l'encontre de la société Zimmer GMBH. Il s'ensuit qu'en l'état de l'instruction, la créance qui résulterait de cette faute alléguée par le CHU de Rennes ne présente pas un caractère non sérieusement contestable.
5. Il résulte de tout ce qui précède que l'obligation de la société Zimmer GMBH envers le CHU de Rennes ne présente pas un caractère non sérieusement contestable. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir qu'elle a opposée aux conclusions d'appel en garantie du CHU présentées sur le terrain de la faute ainsi que ses autres moyens, la société Zimmer GMBH est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée du 26 novembre 2019, le président du tribunal administratif de Rennes l'a condamnée à garantir le CHU de Rennes des condamnations prononcées contre lui à titre provisionnel.
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Zimmer GMBH, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que le CHU de Rennes et Mme B... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge du CHU de Rennes une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Zimmer GMBH et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 1902158 du président du tribunal administratif de Rennes du 26 novembre 2019 est annulée en tant qu'elle a condamné la société Zimmer GMBH à garantir le CHU de Rennes des condamnations prononcées à son encontre.
Article 2 : Les conclusions présentées par le CHU de Rennes devant le tribunal administratif de Rennes et tendant à ce que la société Zimmer Gmbh soit condamnée à le garantir des condamnations prononcées à son encontre sont rejetées.
Article 3 : Le CHU de Rennes versera à la société Zimmer Gmbh une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le CHU de Rennes et Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Zimmer Gmbh, au centre hospitalier universitaire de Rennes, à M. A... B..., à Mme C... B... et à la caisse de mutualité sociale agricole d'Ille-et-Vilaine.
Une copie en sera adressée, pour information, à l'expert.
Délibéré après l'audience du 29 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président,
- Mme Brisson, présidente-assesseure,
- Mme Lellouch, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juillet 2023.
La rapporteure,
J. Lellouch
Le président,
D. Salvi
La greffière,
A. Martin
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT01608