Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 5 février 2023 par lequel le préfet du Calvados l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il serait reconduit et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an.
Par un jugement n° 2300288 du 10 mars 2023, le tribunal administratif de Caen a annulé l'arrêté du 5 février 2023.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 mars 2022 et un mémoire enregistré le 7 juillet 2023, le préfet du Calvados demande à la cour d'annuler ce jugement du 10 mars 2023 du tribunal administratif de Caen et de rejeter la demande de M. A....
Il soutient que c'est à tort que le tribunal administratif a jugé que l'arrêté contesté méconnaissait l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juillet 2023, M. C... A..., représenté par Me Balouka, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'État sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il fait valoir que le moyen soulevé par le préfet du Calvados n'est pas fondé.
M. C... A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 avril 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Catroux a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant albanais, a déclaré être entré en France irrégulièrement depuis environ 7 ans. Sa demande d'asile a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 24 novembre 2016 puis par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), le 9 octobre 2017. Par une décision du 16 janvier 2018, l'OFPRA a rejeté, comme irrecevable, sa demande de réexamen de sa demande d'asile. Il a fait l'objet, le 16 avril 2018, d'un arrêté portant obligation de quitter le territoire français. Par un arrêté du 5 février 2023, le préfet du Calvados l'a obligé à nouveau à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il serait reconduit et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. M. A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler cet arrêté. Par un jugement du 29 novembre 2022, dont le préfet du Calvados relève appel, le tribunal a fait droit à cette demande.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.
3. Il ressort des pièces du dossier que l'intimé est accompagné en France de son épouse, une compatriote en situation irrégulière, et de leurs deux enfants mineurs scolarisés dans une école primaire et un établissement régional d'enseignement adapté. La mesure d'éloignement en litige n'a ni pour objet, ni pour effet de séparer les enfants de leurs parents. Il ne ressort d'aucune pièce du dossier, de plus, que ces enfants ne pourraient poursuivre leur scolarité ailleurs qu'en France et notamment en Albanie. Par suite, et alors même que la décision en litige interromprait en cours d'année la scolarité des enfants déjà en engagée en France, le préfet n'a pas méconnu les stipulations citées au point précédent.
4. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Caen s'est fondé sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 pour annuler l'arrêté contesté. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif.
Sur les autres moyens soulevés contre l'arrêté contesté :
5. En premier lieu, l'arrêté contesté a été signé par M. B... D..., sous-préfet de Bayeux, en sa qualité de sous-préfet de permanence, qui bénéficiait de la part du préfet du Calvados d'une délégation consentie le 27 avril 2022, régulièrement publiée, à effet de signer, dans le cadre de ses permanences, comme en l'espèce, notamment les décisions portant obligation de quitter le territoire français, octroi d'un délai de départ volontaire, désignation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté ne peut, dès lors, qu'être écarté.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. Eu égard à ce qui a été dit au point 3, l'arrêté contesté ne fait pas obstacle au maintien de la cellule familiale dont se prévaut l'intimé. Il ne ressort, de plus, d'aucune pièce du dossier que ce dernier aurait noué, par ailleurs, en France, où il se trouve sans logement ni ressources, des liens personnels d'une particulière intensité ou qu'il y serait intégré, notamment au plan professionnel. Enfin, les enfants majeurs du couple ne bénéficient pas, en France, d'un droit au séjour. Dans ces conditions, en prenant l'arrêté contesté, le préfet d'Ille-et-Vilaine n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé, dont la durée du séjour en France découle principalement d'un maintien en situation irrégulière. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
8. En troisième lieu, pour les mêmes raisons que celles exposées au point précédent, l'obligation de quitter le territoire français en litige n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.
9. En quatrième lieu, l'obligation de quitter le territoire français contestée n'étant pas annulée, le moyen tiré de ce que la décision fixant le délai de départ volontaire devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
10. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. / L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. (...) ".
11. La seule circonstance que M. A... et les membres de sa famille vivent en France depuis sept ans ne justifie pas à elle seule qu'un délai de départ volontaire supérieur à trente jours lui soit accordé à titre exceptionnel. Le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation ainsi soulevé ne peut, dès lors, qu'être écarté.
12. En sixième lieu, l'obligation de quitter le territoire français contestée n'étant pas annulée, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
13. En septième lieu, si M. A..., dont, par ailleurs, la demande d'asile et de réexamen de cette demande ont été rejetées, soutient que lui-même et les membres de sa famille et notamment sa fille seraient exposés à des traitements dégradants et inhumains en cas de retour en Albanie, il n'étaye cette allégation d'aucune précision ni d'aucun élément probant. Le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation ainsi soulevé ne peut, dès lors, qu'être écarté.
14. En huitième lieu, l'obligation de quitter le territoire français contestée et la décision fixant le délai de départ volontaire n'étant pas annulées, le moyen tiré de ce que la décision lui interdisant le retour sur le territoire français devrait être annulée par voie de conséquence doit être écarté.
15. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français.
Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ".
16. En égard à ce qui a été dit aux points 3 et 7 du présent arrêt, ainsi qu'à la circonstance que M. A... avait déjà fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, le préfet a fait une exacte application de ces dispositions en prenant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Calvados est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé son arrêté du 5 février 2023.
Sur les frais d'instance :
18. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'une somme soit mise, sur leur fondement, à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 10 mars 2023 du tribunal administratif de Caen est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Caen est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de l'avocat de M. A..., présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera adressée, pour information, au préfet du Calvados.
Délibéré après l'audience du 14 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président,
- Mme Lellouch, première conseillère,
- M. Catroux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 septembre 2023.
Le rapporteur,
X. Catroux
Le président,
D. Salvi
La greffière,
A. Martin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT007762