VU la requête, enregistrée le 16 août 1996 au greffe de la cour administrative d'appel, présentée pour M. et Mme Z..., demeurant ... à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), par Me X..., avocat ; M. et Mme Z... demandent à la cour :
1 ) de réformer le jugement n 9305734/7 en date du 6 mars 1996 par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné la société SIDECO'94 à leur verser une indemnité de 1.315.057 F, qu'ils estiment insuffisante, en réparation des préjudices qu'ils ont subis du fait de l'illégalité de la décision en date du 28 novembre 1990 par laquelle ladite société a exercé son droit de préemption sur l'ensemble immobilier leur appartenant ;
2 ) de condamner la société SIDECO'94 à leur verser la somme de 8.044.127 F, sous déduction de la provision déjà versée ;
3 ) de prononcer la capitalisation des intérêts au 16 mars 1994, au 17 mars 1995 et à la date de la présente requête ;
4 ) de condamner la société SIDECO'94 à leur payer la somme de 150.000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU les autres pièces produites et jointes au dossier ;
VU le code de l'urbanisme ;
VU le code civil ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 1er décembre 1999 :
- le rapport de Mme HELMLINGER, premier conseiller,
- les observations du cabinet X..., avocat, pour M. et Mme Z... et celles du cabinet DS PARIS, avocat, pour la société SIDECO'94,
- et les conclusions de M. BARBILLON, commissaire du Gouvernement ;
Sur la responsabilité :
Considérant que, par un jugement en date du 11 juin 1992, devenu définitif, faute d'avoir été frappé d'appel, le tribunal administratif de Paris a annulé pour insuffisance de motivation et incompétence de l'auteur de l'acte, la décision en date du 28 novembre 1990 par laquelle la société d'ingénierie et de développement économique (SIDECO'94) avait exercé son droit de préemption sur l'ensemble immobilier sis ... à Champigny-sur-Marne dont M. et Mme Z... sont propriétaires ; que, contrairement à ce que soutient la société SIDECO'94 par la voie de l'appel incident, l'illégalité de cette décision constitue une faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de M. et Mme Z..., sans que celle-ci puisse utilement se prévaloir d'avoir exercé ce droit en vertu de la délégation qui lui avait été consentie par une délibération du conseil municipal de la commune de Champigny-sur-Marne en date du 13 décembre 1989 ;
Considérant que le droit de préemption urbain institué au profit des collectivités publiques sur les aliénations d'immeubles ne peut être exercé que dans un but d'intérêt général ; que la société SIDECO'94 n'apporte au dossier aucun élément de nature à démontrer qu'elle a exercé ce droit dans un tel but ; que, dès lors, le préjudice subi par M. et Mme Z... du fait de l'impossibilité dans laquelle ils se sont trouvés, par l'effet de la décision de préemption, de donner suite à l'engagement exprès qu'avait contracté la société anonyme Etablissements Georges Y... d'acquérir l'ensemble de l'entreprise de récupération de ferraille et de vieux métaux qu'ils exploitaient sur le site des biens préemptés, est la conséquence directe de l'illégalité de cette décision ; que la société SIDECO'94 n'est, par suite, pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif l'a condamnée à réparer le préjudice ainsi subi par M. et Mme Z... ;
Sur le préjudice :
En ce qui concerne l'immobilisation du capital :
Considérant, que, ainsi que cela vient d'être rappelé, M. et Mme Z... disposaient, à la date de la décision de préemption illégale, d'un engagement exprès de la société Etablissements Georges Y... d'acquérir leur entreprise pour un montant de 12.900.000 F correspondant à la valeur des terrains, des immeubles bâtis, des matériels immobiliers et mobiliers ainsi que du fonds de commerce, engagement auquel ladite société a finalement renoncé apr s l'annulation de la décision de préemption illégale ; que l'illégalité de cette décision a causé aux requérants un préjudice certain tenant exclusivement en l'esp ce, en l'absence de réalisation de la transaction, l'impossibilité dans laquelle ils se sont trouvés de percevoir et de faire fructifier la somme stipulée dans l'engagement pris par les Etablissements Georges Y... ;
Considérant que ce préjudice doit, en premier lieu, tre indemnisé par l'allocation d'intér ts au taux légal calculés par référence au prix auquel la société Etablissement Georges Y... s'était engagée, sur une assiette comprenant non seulement les biens immobiliers objets de préemption, mais également la valeur des éléments d'actif, et notamment du fonds de commerce, qui n'étaient pas, en l'esp ce, négociables séparément compte tenu de la nature de l'activité de l'entreprise dont l'exploitation est, en particulier, soumise autorisation au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement ; qu'il y a lieu, en revanche, de ne pas inclure la valeur des équipements mobiliers négociables séparément que les requérants évaluent, sans être contestés, à la somme de 400.000 F ; que les intér ts dus M. et Mme Z... doivent ainsi tre calculé sur la base d'une assiette de 12.500.000 F ; que les requérants sont, par suite, fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a retenu, pour évaluer ce chef de préjudice, une assiette constituée par les seuls biens qui faisaient l'objet de la préemption, savoir les terrains et les immeubles bâtis, pour un montant de 8.400.000 F ;
Considérant que l'allocation de ces intérêts n'est due que jusqu'au terme de la période pendant laquelle M et Mme Z... ont été privés par l'effet de la préemption illégale de la liberté d'aliéner leurs biens, soit jusqu'à la date à laquelle est devenu exécutoire le jugement annulant cette décision, à savoir non pas la date de sa lecture, comme l'a décidé à tort le tribunal administratif, mais celle de sa notification laquelle peut en l'espèce être fixée au 22 juin 1992 ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il sera fait une exacte appréciation des intérêts dus à M. et Mme Z... au titre de l'immobilisation de leur capital du 1er janvier 1991, date fixée comme point de départ de leur demande par les requérants, au 22 juin 1992, en les arrêtant, compte tenu du taux légal, à la somme de 1.858.340 F ;
Mais, considérant, en second lieu, que l'annulation d'une décision de préemption, si elle permet, en principe, au propriétaire du bien illégalement préempté de recouvrer immédiatement sa liberté d'aliéner, ne met pas nécessairement fin, dans le même temps, aux conséquences dommageables qu'il subit à raison de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de percevoir le prix convenu avec l'acheteur évincé par l'effet de la préemption ; qu'en l'espèce, la société Etablissements Georges Y... n'ayant été légitimement en mesure de faire connaître à M. et Mme Z... la suite qu'elle entendait donner à sa promesse d'achat que le 15 octobre 1992, il sera fait une juste appréciation du surplus des conséquences dommageables ainsi directement subies par les intéressés du fait de l'illégalité de la préemption en évaluant leur réparation à la somme de 350.000 F ;
Considérant, en revanche, que la circonstance qu'à la suite de la renonciation de la société Etablissements Georges Y..., aucune transaction n'a pu aboutir en dépit des nombreuses démarches engagées par les intéressés, ne peut être regardée comme directement imputable à la faute commise par la société SIDECO'94 ; que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à demander une indemnisation, à ce titre ;
Considérant, enfin, qu'il résulte de l'instruction que la poursuite de l'exploitation de leur entreprise par M. et Mme Z... puis par une société gérante a dégagé, pendant la période susdéfinie, un résultat qui peut être évalué à la somme de 250.000 F ; que cette somme doit, en conséquence, être déduite de l'indemnité due aux intéressés au titre de l'immobilisation de leur capital ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner la société SIDECO'94 à verser à M. et Mme Z... une somme de 1.958.340 F en réparation de l'ensemble du préjudice subi au titre de l'immobilisation de leur capital ;
En ce qui concerne les autres chefs de préjudice :
Considérant, en premier lieu, que le préjudice financier consécutif à l'achat par M. et Mme Z... d'une nouvelle résidence, auquel ils ont d'ailleurs procédé avant tout engagement d'acquisition de l'ensemble immobilier de Champigny-sur-Marne, est dépourvu de lien direct avec la décision de préemption annulée ; que c'est, par suite, à bon droit, que le tribunal a rejeté sur ce point la demande des requérants ;
Considérant, en deuxième lieu, que le montant des impôts locaux et des cotisations d'assurances que M. et Mme Z... ont dû acquitter au titre des biens qui ont, certes, été illégalement immobilisés mais dont ils ont conservé la disponibilité, ne présente pas de lien direct avec la faute commise par la société SIDECO'94 ; que, par suite, cette dernière est fondée à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif l'a condamnée à verser à M. et Mme Z... une somme de 45.075 F, au titre de ce chef de préjudice ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature subis par les requérants dans leurs conditions d'existence, y compris les nouvelles démarches qu'ils ont dû engager en vue de la vente de leur bien à la suite de la renonciation de la société Etablissements Georges Y..., en leur accordant une indemnité de 60.000 F pour ce chef de préjudice ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme Z... sont fondés à demander la réformation du jugement du tribunal administratif de Paris du 6 mars 1996 afin que l'indemnité que la société SIDECO'94 est condamnée à leur verser, en réparation du préjudice subi à raison de l'illégalité de la décision de préemption du 28 novembre 1990, soit portée à la somme de 2.018.340 F ;
Sur les intérêts :
Considérant que M. et Mme Z... ont droit aux intérêts au taux légal afférents à l'indemnité qui leur est due à compter du 9 novembre 1992, date de réception de leur demande par la société SIDECO'94, jusqu'au paiement effectif de chaque fraction de cette indemnité ;
Sur la capitalisation des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 21 mars 1994, 20 mars 1995 et 16 août 1996 ; qu'à la première et à la troisième de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; qu'en revanche, une année ne s'était pas écoulée à la deuxième de ces dates ; que dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit aux première et troisième demandes des requérants et de rejeter leur deuxième demande ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que la société SIDECO'94 succombe dans la présente instance ; que sa demande tendant à ce que M. et Mme Z... soient condamnés à lui verser une somme au titre des frais qu'elle a exposés doit, en conséquence, être rejetée ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions précitées, de condamner la société SIDECO'94 à payer à M. et Mme Z... la somme de 15.000 F ;
Article 1er : La somme de 1.315.057 F que la société SIDECO'94 a été condamnée à verser à M. et Mme Z... par le jugement du tribunal administratif de Paris du 6 mars 1996 est portée à 2.018.340 F. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 1992 et jusqu'à la date du paiement :
- de la provision allouée par l'ordonnance du magistrat délégué du tribunal administratif de Paris du 4 novembre 1993, dans la limite de 1.219.982 F, - de l'indemnité allouée par le jugement du tribunal administratif de Paris du 6 mars 1996, dans la limite de 95.075 F,
- du solde de l'indemnité, pour le surplus. Les intérêts échus les 21 mars 1994 et 16 août 1996 seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêt.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris n 9305734/7 en date du 6 mars 1996 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La société SIDECO'94 versera la somme de 15.000 F à M. et Mme Z... au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme Z... ainsi que des conclusions de la société SIDECO'94 sont rejetés.