Vu la requête, enregistrée le 24 mars 2004, présentée pour la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL, représentée par son président directeur général, dont le siège est 49 rue de Vendée à Villedieu-La-Blouère (49450), par Me Baillet ; la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0019648/7 du Tribunal administratif de Paris en date du 15 janvier 2004 en tant qu'il a déclaré l'Etat responsable des trois quarts seulement des conséquences dommageables du défaut d'information à l'égard de la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL des risques encourus de remboursement d'un allègement de charges sociales illégalement perçu et qu'il a limité la condamnation de l'Etat à la somme de 3 039 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 795 944 euros avec intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2000 ;
3°) que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité instituant la communauté européenne ;
Vu la loi n° 96-314 du 12 avril 1996 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier ;
Vu le décret n° 96-572 du 27 juin 1996 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu en audience publique du 28 novembre 2005 :
- le rapport de M. Didierjean, rapporteur,
- les observations de Me Bergès pour la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL,
- les conclusions de Mme Helmlinger, commissaire du gouvernement,
- et connaissance prise de la note en délibéré présentée le 29 novembre 2005 pour la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL ;
Considérant qu'aux termes de l'article 87 du Traité instituant la communauté européenne « 1. Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre les Etats membres, les aides accordées par les Etats au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. (…) ; qu'aux termes de l'article 88 du même traité : « (…) Si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la commission constate qu'une aide est accordée par un Etat ou au moyen de ressources d'Etat n'est pas compatible avec le marché commun aux termes de l'article 87, ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'Etat intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine. / Si l'Etat en cause ne se conforme pas à cette décision dans le délai imparti, la commission ou tout autre Etat intéressé peut saisir directement la cour de justice, par dérogation aux articles 226 et 227 (…) 3. la commission est informée en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché commun, aux termes de l'article 87, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. » ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la loi du 12 avril 1996 susvisée, par son article 99, a instauré, à titre expérimental, la possibilité pour l'Etat français à compter de la publication de la loi, de conclure avec les branches professionnelles du textile, de l'habillement, du cuir et de la chaussure des conventions cadres relatives au maintien ou au développement de l'emploi tenant compte des résultats de la négociation sur l'aménagement et la réduction du temps de travail engagée après l'accord national interprofessionnel sur l'emploi du 31 octobre 1995, permettant aux entreprises signataires, à compter du premier jour du mois suivant la conclusion des conventions susmentionnées et jusqu'au 31 décembre 1997, de bénéficier d'un allègement des charges sociales sur les salaires inférieurs ou égaux à 1,5 fois le salaire minimum de croissance, les entreprises de cinquante salariés et plus devant, en outre conclure une convention avec l'Etat portant notamment sur le maintien ou la création d'emplois et l'aménagement et la réduction du temps de travail ; que le décret du 27 juin 1996 susvisé relatif à la réduction dégressive sur les cotisations patronales de sécurité sociale des entreprises du secteur du textile, de l'habillement, du cuir et de la chaussure instituée par l'article 99 de la loi du 12 avril 1996 a précisé les modalités d'application de ces dispositions ;
Considérant que pour l'application de ce dispositif, l'Etat et la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL ont signé le 26 juin 1996 une convention d'entreprise par laquelle le groupe, en contrepartie de l'engagement de l'Etat de la faire bénéficier du dispositif d'allègement de charges prévu par la loi susvisée du 12 avril 1996, s'engageait notamment, en premier lieu, à maintenir ou créer des emplois, en deuxième lieu, dans le cadre d'un objectif visant à remplacer la moitié des départs naturels, à réserver deux embauches sur trois à deux jeunes de moins de 26 ans, et en troisième lieu, avec l'objectif d'aménager le temps de travail pour dégager des volumes d'heures disponibles, à, soit mettre en oeuvre les accords de branche sur l'aménagement de réduction du temps de travail, soit engager des négociations sur la réduction et l'aménagement du temps de travail avec ses partenaires sociaux ;
Considérant que parallèlement à l'élaboration du dispositif d'aide en cause, le gouvernement français ayant informé le 26 mars 1996 la commission européenne du projet d'instauration de mesures d'allègement des charges sociales en faveur des entreprises des secteurs du textile, de l'habilement et du cuir-chaussure, celle-ci, par sa décision du 31 mai 1996, publiée au journal officiel des communautés européennes du 1l jui11et 1996, a ouvert la procédure d'examen approfondi prévue à l'article 88 § 2 précité, puis au terme de cette procédure, a, par décision du 9 avril 1997 publiée au journal officiel du 5 décembre 1997, estimé que les allègements de charges institués constituaient une aide illégale au sens de 1'artic1e 87 du Traité et demandé en conséquence à l' Etat français de la supprimer ; que, sur requête de l'Etat français, la cour de Justice des communautés européenne a, par un arrêt du 5 octobre 1999, confirmé l'illégalité des al1ègements de charges sociales institués par les dispositions précitées ; qu'exécutant cet arrêt le gouvernement français a mis en oeuvre la récupération auprès de la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL, du montant d'une partie des allègements de charges sociales accordés ; que saisie par la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL le tribunal administratif a retenu la responsabilité pour faute de l'Etat, atténuée pour un quart par la faute de la société requérante, et rejeté ses demandes d'indemnisation, à l'exception des préjudices financiers et administratifs dont il a évalué le montant à 4 052 euros ; que devant la cour la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL conteste avoir commis une faute et demande à être indemnisée des autres préjudices qu'elle a invoqués ; que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, de son côté, s'il ne conteste pas le partage de responsabilité retenu par le tribunal, soutient qu'aucun des préjudices allégués n'est justifié ou présente un lieu de causalité avec la faute dont l'Etat a été déclaré responsable ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que, dès lors qu'un jugement ne fait pas entièrement droit aux conclusions d'indemnisation du requérant, toute omission à statuer sur l'une des fautes alléguées ou sur l'un des cas d'ouverture de la responsabilité invoqué est de nature à vicier sa régularité, sauf s'il est manifeste que le moyen omis n'aurait pas été de nature à permettre une indemnisation plus importante du préjudice subi ;
Considérant en l'espèce, que le tribunal administratif n'a statué que sur la faute tirée du défaut d'information de la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL quant au risque qu'elle encourait de devoir rembourser les allègements de charges sociales dont elle avait bénéficiés, sans statuer sur la faute principalement alléguée, à savoir la méconnaissance par les autorités françaises du paragraphe 3 de l'article 88 du traité instituant la communauté européenne ; qu'il n'est pas manifeste qu'en retenant ce second moyen, les premiers juges n'auraient pas été conduits à apprécier différemment la part respective de la faute de l'Etat et de la faute de la victime ; qu'il y a lieu, en conséquence d'annuler le jugement attaqué et d'évoquer l'ensemble de l'affaire ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
Considérant qu'en mettant en oeuvre les dispositions de l'article 99 de la loi du 12 avril 1996, et notamment en signant le décret n° 96-572 du 27 juin 1996 et en concluant les accords de branche et les conventions d'entreprise dont celle conclue avec la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL le 26 juin 1996, sans attendre l'issue de la procédure d'information de la commission prévue par les dispositions précitées su 3 de l'article 88 du traité instituant la communauté européenne, le gouvernement français a commis une faute de nature à engager sa responsabilité, alors même que la loi susmentionnée l'habilitait expressément à conclure lesdites conventions dès sa publication ;
Sur la faute commise par la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL :
Considérant que les fautes susindiquées commises par l'Etat restaient sans effet pour la société requérante si celle-ci ne signait pas d'accord la rendant bénéficiaire du dispositif d'aide en cause ;
Considérant que par sa décision en date du 31 mai 1996, publié au journal officiel des communautés européennes du 11 juillet 1996, la commission européenne a ouvert la procédure d'examen approfondi prévue à l'article 88 § 2 précité ; qu'il incombait à la société requérante qui avait la capacité d'accéder aux informations nécessaires, soit directement auprès des organes communautaires ou nationaux, soit par l'intermédiaire des organismes professionnels, d'éviter les risques résultant de l'incompatibilité avec la réglementation communautaire des mesures d'aide adoptées par l'Etat et de la procédure d'examen mise en oeuvre en conséquence par la commission et qui, compte tenu des précédents, ne pouvaient à l'époque être ignorés des acteurs économiques ;
Considérant qu'en signant le 28 juin 1996 la « convention sur l'emploi Etat-entreprise », la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL a ainsi commis une imprudence fautive de nature à exonérer l'Etat d'un quart de sa responsabilité ; qu'il y a lieu par suite de condamner l'Etat à prendre à sa charge les trois quarts seulement des conséquences dommageables résultant des fautes commises à l'égard de la société requérante ;
Sur l'indemnisation des préjudices :
Considérant en premier lieu que ne peuvent être regardés comme ayant un lien de causalité direct avec la faute engageant la responsabilité de l'Etat, que les seuls préjudices qui ne seraient pas survenus si l'Etat n'avait pas signé la convention sur l'emploi Etat-entreprise avec la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL, ou s'il avait auparavant informé cette dernière qu'elle pourrait avoir à rembourser les aides qui lui étaient apportées ; que si la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL demande à être indemnisée du préjudice évalué à 111 897 euros qui aurait résulté selon elle de la diminution de ses résultats et de ses marges à la suite de l'arrêt du dispositif d'allègement de charges sociales, le terme du dispositif en cause au 31 décembre1997 était prévu dès l'origine par l'article 99 de la loi susvisée du 12 avril 1996 dont la convention fait application à la requérante ; que cette cessation des effets de la convention est par conséquent sans lien direct avec la faute engageant la responsabilité de l'Etat ;
Considérant en second lieu que la société requérante n'établit pas que, d'une part, l'octroi d'un jour de congé supplémentaire au personnel en mai 1997, dont il n'est pas établi qu'il correspondait à l'objectif d'aménager le temps de travail pour dégager des volumes d'heures disponibles au sens de la convention entreprise-Etat, d'autre part, le coût résultant du départ anticipé d'un salarié âgé dans le cadre de l'accord «allocation de remplacement pour l'emploi » (ARPE) ont été commandés par la mise en oeuvre des engagements souscrits envers l'Etat ; qu'en l'absence de lien direct avec la faute commise par l'Etat, les demandes relatives à ces chefs de préjudices doivent être écartées ;
Considérant en troisième lieu que la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL n'apporte aucune justification de la réalité du préjudice moral qu'elle invoque et qu'elle ne justifie pas précisément en quoi l'octroi puis le retrait des aides litigieuses lui auraient causé un préjudice en nuisant à l'image de la profession en général et de la sienne en particulier ; que les conclusions tendant à la réparation de ces chefs de préjudice doivent être écartées ;
Considérant en quatrième lieu que la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL ne peut prétendre à la compensation des sommes que le gouvernement lui a demandé de reverser à la suite de l'arrêt de la Cour de justice des communautés européenne intervenu le 5 octobre 1999 ; que par suite ses conclusions tendant au remboursement des intérêts moratoires correspondant à l'avantage financier qu'a constitué le capital correspondant au versement illégal de l'aide accordée doivent être rejetées ;
Considérant en cinquième lieu que, contrairement à ce que soutient le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL justifie des frais financiers découlant de l'emprunt contracté en vue de rembourser l'aide de l'Etat et des débours correspondant au temps consacré par le personnel administratif à la procédure de remboursement de cette aide ; qu'il sera fait une exacte évaluation des préjudices qui en ont résulté en les chiffrant à 3 334 euros et en condamnant l'Etat à verser à ce titre, compte tenu du partage de responsabilité, la somme de 2 500 euros ;
Considérant en dernier lieu que dans le dernier état de ses conclusions, la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL fait valoir qu'en application de ses engagements, elle a dû embaucher 9 personnes en 1996 et 1997 pour un coût de 362 828 euros et embaucher et former sept jeunes de moins de 26 ans pour un coût de 99 397 euros, son préjudice total pour ces embauches est en définitive, compte tenu de la déduction du montant de l'aide « de minimis » de 100 000 euros qu'elle a conservé et de la plus value de 15 % apportée par ces personnels, de 292 885 euros ; que la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL ayant pris l'engagement en signant la convention avec l'Etat de maintenir ou créer des emplois, les préjudices qu'elle invoque à ce titre sont en principe, ainsi que l'a jugé le tribunal, en lien avec la faute commise par l'Etat ;
Considérant toutefois, d'une part, que si la convention signée par la société prévoit qu'elle s'engage à recruter des jeunes de moins de 26 ans à raison de deux pour trois embauches en vue de remplacer des départs naturels la société requérante n'apporte aucune indication sur l'évolution de ses effectifs à l'époque de ses recrutements et n'établit pas que les sept jeunes embauchés l'aient été en proportion des départs naturels ; qu'au surplus la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL n'établit pas que ces personnels, postérieurement à leur période de formation, n'ait pas dégagé une plus value équivalente ou supérieure aux coûts qu'ils ont engendrés ; qu'ainsi le préjudice invoqué ne paraît pas établi ;
Considérant d'autre part que la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL justifie d'un montant de salaires et charges d'un montant de 362 829 euros (2 380 000 F) pour les neuf personnes qu'elle a embauchées en 1996 et 1997 ; que pour déterminer le préjudice qui a pu résulter du coût de ces embauches, il y a lieu tout d'abord de déduire de ces charges de personnel, compte tenu de la capacité professionnelle de ces salariés et des postes qu'ils ont occupés, la valeur ajoutée par ces personnes qui n'a pu être inférieure à 75 % du coût supporté par l'entreprise et qui doit être chiffrée à 272 121 euros ; qu'il y a lieu ensuite de déduire de ce chef de préjudice le montant non contesté par la requérante de l'aide «de minimis » qu'elle a conservée, soit 100 000 euros ; que le montant total de ces déductions à opérer, soit 372 121, étant supérieur au préjudice invoqué par la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL, celui-ci n'est pas établi ; qu'il y a lieu, en conséquence de rejeter les conclusions tendant à sa réparation ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative il y a lieu de condamner l'Etat à verser à la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL la somme de 1 500 euros au titre des fais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE
Article 1er : Le jugement en date du 15 janvier 2004 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL la somme de 2 500 euros (deux mille cinq cent euros)
Article 3 : L'Etat est condamné à verser à la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL la somme de 1 500 euros (mille cinq cent euros) en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SOCIETE GROUPE SALMON ARC EN CIEL est rejeté.
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N° 04PA01092