Vu la requête, enregistrée le 18 mai 2012, présentée pour Mme E...D..., demeurant..., Mme K...C..., demeurant..., M. B... G..., demeurant..., Mme I...G..., demeurant..., M. A... G..., demeurant..., par Me J... ; Mme D... et autres demandent à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1200530/6-1 du 20 mars 2012 par laquelle le président de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à leur verser, d'une part, en leur qualité d'ayants droit de leur frère, M. H...G..., la somme de 15 000 euros en réparation des souffrances subies par celui-ci avant son décès et, d'autre part, à titre personnel, la somme
de 10 000 euros chacun, en réparation du préjudice moral qu'ils ont eux-mêmes subi à la suite du décès de leur frère, ainsi que la somme de 36 082,15 euros en remboursement des frais d'obsèques qu'ils ont dû exposer à la suite du décès de leur frère ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision de l'AP-HP en date du
9 novembre 2011 rejetant leur demande préalable d'indemnisation du 2 septembre 2011 ;
3°) de condamner l'AP-HP à leur verser :
- en leur qualité d'ayants droit de leur frère, M. H...G..., la somme
de 15 000 euros en réparation des souffrances subies par celui-ci avant son décès ;
- en leur nom propre, la somme de 10 000 euros chacun, en réparation du préjudice moral qu'ils ont personnellement subi à la suite du décès de leur frère ;
- en leur nom propre, la somme de 36 082,15 euros en remboursement des frais d'obsèques qu'ils ont dû engager à la suite du décès de leur frère ;
4°) de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
.....................................................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 octobre 2013 ;
- le rapport de M. Romnicianu, rapporteur,
- les conclusions de M. Ladreyt, rapporteur public,
- les observations de MeJ..., pour Mme D...et autres,
- et les observations de MeF..., pour l'AP-HP ;
1. Considérant que M. H...G..., alors âgé de 59 ans, et souffrant de troubles de la vision unilatéraux et de céphalées, a été admis aux urgences de l'hôpital Ambroise Paré de Boulogne-Billancourt, dans la nuit du 16 au 17 juin 2005, vers 1 heure du matin, puis orienté vers les urgences ophtalmologiques de l'hôpital de l'Hôtel-Dieu à Paris, où lui a été délivré un courrier en vue d'un rendez-vous à prendre le lendemain dans le service d'ophtalmologie de l'hôpital de la Pitié Salpetrière ; qu'après avoir regagné son domicile, il a présenté à 8h30 une hémiplégie droite et une aphasie et a été transporté en urgence à l'hôpital Bichat où un examen IRM a permis de diagnostiquer un accident vasculaire cérébral, sans cause connue ; que, compte tenu de l'arrivée tardive du patient, le service n'a pas été en mesure de procéder à une thrombolyse ; que le patient est décédé le lendemain en fin de journée d'un infarctus cérébral sylvien gauche total ; qu'estimant ce décès imputable à la mauvaise prise en charge de l'intéressé au cours de la nuit du 16 au 17 juin 2005, ses frères et soeurs ont saisi l'AP-HP le 2 avril 2007 d'une demande tendant à la réparation du préjudice subi, demande rejetée par une décision du
26 septembre 2007, notifiée le 27 septembre 2007, que les intéressés ont omis de contester ; qu'ils ont cependant saisi l'AP-HP d'une nouvelle réclamation le 2 septembre 2011, rejetée par décision du 9 novembre 2011, notifiée le 19 novembre suivant ; que le 9 janvier 2012, les intéressés ont introduit une requête devant le Tribunal administratif de Paris tendant à la condamnation de l'AP-HP à leur verser diverses indemnités ; que MmeD..., MmeC..., Mme G...et M. . G...relèvent régulièrement appel de l'ordonnance du 20 mars 2012 par laquelle le président de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris a rejeté leur requête comme tardive ;
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Considérant que, pour rejeter comme tardive la requête de Mme D...et autres, le président de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris a considéré, d'une part, que la décision du 26 septembre 2007 rejetant la première demande préalable d'indemnisation des intéressés comportait la mention des voies et délais de recours et que, partant, faute d'avoir été contestée dans le délai du recours contentieux, ladite décision était devenue définitive ; que le premier juge a estimé, d'autre part, que la décision du 9 novembre 2011 rejetant la seconde demande préalable d'indemnisation des intéressés constituait une décision purement confirmative de la décision du 26 septembre 2007 et qu'elle n'était, par suite, pas susceptible d'ouvrir à nouveau le délai de recours contentieux ;
3. Considérant cependant que la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a créé une procédure de règlement amiable des litiges relatives aux accidents médicaux, aux affections iatrogènes et aux infections nosocomiales graves, confiée aux commissions régionales de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), selon des modalités fixées aux articles L. 1142-5 et suivants du code de la santé publique ; qu'en application de l'article L. 1142-7 du même code, la saisine de la CRCI " suspend les délais de prescription et de recours contentieux jusqu'au terme de la procédure " ; qu'eu égard à l'objectif poursuivi par le législateur en instituant une procédure de règlement amiable des litiges, la notification de la décision rejetant la demande d'indemnité doit, pour faire courir le délai de recours, indiquer non seulement que le tribunal administratif peut être saisi dans le délai de deux mois mais aussi que ce délai est suspendu en cas de saisine de la CRCI ;
4. Considérant qu'il appartient au juge administratif de faire application de la règle jurisprudentielle nouvelle, énoncée au considérant précédent, à l'ensemble des litiges, quelle que soit la date des faits qui leur ont donné naissance ; que l'AP-HP n'est par suite pas fondée à soutenir que cette obligation ne saurait lui être opposée s'agissant d'une décision portant rejet d'une demande préalable d'indemnisation datant de plus de cinq ans ;
5. Considérant qu'il est constant que la décision du 26 septembre 2007 rejetant la première demande préalable d'indemnisation de Mme D...et autres ne comportait pas la mention selon laquelle le délai du recours contentieux est suspendu en cas de saisine de la CRCI ; que, dès lors, en l'absence d'une telle mention, la notification de cette décision,
le 27 septembre 2007, n'était pas susceptible de faire courir le délai du recours contentieux ; qu'il suit de là que, ladite décision n'étant pas devenue définitive, les requérants étaient recevables, le 9 janvier 2012, à saisir le tribunal administratif aux fins de condamnation de l'AP-HP à leur verser les indemnités sollicitées, sans qu'à cette date puisse leur être opposée une quelconque forclusion ; que c'est, par suite, à tort que le président de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris a rejeté comme tardive la requête de Mme D...et autres ; que l'ordonnance du 20 mars 2012 doit donc être annulée ;
6. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de Mme D...et autres ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 9 novembre 2011 :
7. Considérant que la décision de l'AP-HP en date du 9 novembre 2011 a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de la demande de Mme D...et autres qui, en formulant les conclusions sus-analysées, ont donné à l'ensemble de leur demande le caractère d'un recours de plein contentieux ; que, au regard de l'objet d'une telle demande, qui conduit le juge à se prononcer sur le droit des intéressés à percevoir la somme qu'ils réclament, les vices propres dont serait, le cas échéant, entachée la décision qui a lié le contentieux sont sans incidence sur la solution du litige ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'AP-HP aurait méconnu l'étendue de ses compétences en refusant de se prononcer sur leur demande, ainsi que le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation, sont en tout état de cause inopérants et les conclusions dirigées contre la décision en cause sans objet ;
Sur la responsabilité de l'AP-HP :
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise ordonné par la CRCI, que M. H...G...n'a pas été pris en charge dans les règles de l'art lors de son admission dans les services des urgences des hôpitaux Ambroise Paré et de
l'hôtel Dieu au cours de la nuit du 16 au 17 juin 2005 ; qu'en effet, les symptômes graves présentés par l'intéressé, notamment les épisodes de voile oculaire unilatéral associés à une baisse de l'acuité visuelle, auraient dû conduire les équipes médicales à envisager la survenue probable d'un accident vasculaire cérébral et à orienter rapidement l'intéressé vers un centre d'urgences neuro-vasculaires, afin de tenter une thrombolyse ou un traitement anti-plaquettaire
par aspirine ; que cette erreur d'orientation est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'AP-HP ;
9. Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;
10. Considérant que, compte tenu de l'état antérieur du patient, qui présentait une maladie athéromateuse, et de l'importance de son accident vasculaire cérébral laissant présager un pronostic extrêmement défavorable, il y a lieu d'évaluer la perte de chance d'échapper aux conséquences dommageables résultant de l'erreur de diagnostic susmentionnée à 15 % et de mettre à la charge de l'AP-HP la réparation de cette fraction du dommage ;
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les préjudices personnels de M. H...G... :
11. Considérant que les souffrances endurées par le patient, incluant notamment les douleurs intermittentes de l'oeil droit, évaluées par l'expert à 2 sur une échelle de 7, seront justement réparées par l'allocation d'une somme de 1 500 euros ; que, compte tenu de la perte de chance retenue ci-dessus, il y a lieu de condamner l'AP-HP à verser à l'ensemble des ayants droit de M. G...la somme globale de 225 euros à ce titre ;
En ce qui concerne les préjudices des frères et soeurs de M.G... :
12. Considérant que le préjudice moral subi par les frères et soeurs de
M. H...G...sera justement indemnisé par le versement à chacun d'une somme de
5 000 euros ; que, compte tenu de la perte de chance retenue ci-dessus, il y a lieu de condamner l'AP-HP à verser à chacun une somme de 750 euros à ce titre ;
13. Considérant que, si Mme D...et autres demandent en outre le remboursement des frais funéraires exposés du fait du décès de leur frère, ils n'ont pas assorti leur demande des pièces justifiant leur préjudice, alors même que l'AP-HP a expressément opposé cette absence en défense ; que leur demande doit dès lors être rejetée ;
14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'AP-HP doit être condamnée à verser à Mme D...et autres, en leur qualité d'ayants droit de leur frère, M. H...G..., une somme globale de 225 euros au titre du préjudice personnel subi par celui-ci ; que, par ailleurs, l'AP-HP sera condamnée à verser à chacun des requérants une somme de 750 euros en réparation du préjudice moral subi par chacun d'entre eux résultant du décès de leur frère
le 18 juin 2005 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme D...et autres, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que l'AP-HP demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'AP-HP une somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme D...et autres et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L'ordonnance n° 1200530/6-1 du président de la 6ème section du Tribunal administratif de Paris en date du 20 mars 2012 est annulée.
Article 2 : L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris est condamnée à verser à Mme E...D..., à Mme K...C..., à M. B...G..., à Mme I...G...et à M. A...G...une somme de 750 euros chacun en réparation du préjudice moral résultant du décès de leur frère, M. H...G...le 18 juin 2005.
Article 3 : L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris est condamnée à verser à Mme D...et autres une somme totale de 225 euros au titre du préjudice personnel subi par M. H...G....
Article 4 : L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris versera à Mme D...et autres une somme totale de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Les conclusions de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
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N° 12PA02188