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10/06/2014 | FRANCE | N°12PA02534

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 6ème chambre, 10 juin 2014, 12PA02534


Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 juin et 14 septembre 2012, présentés pour la Polynésie française, représentée par son président, par la SCP de Chaisemartin-Courjon ; la Polynésie française demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n°1100307 du 9 février 2012 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française n'a fait que partiellement droit, à concurrence de 8 308 689 F CFP, à sa demande tendant, d'une part, à la condamnation de la société Bureau d'études Speed et de la société Boyer à lui verser la somme de 1

6 617 378 F CFP correspondant aux préjudices qu'elle a subis du fait des désordres...

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 juin et 14 septembre 2012, présentés pour la Polynésie française, représentée par son président, par la SCP de Chaisemartin-Courjon ; la Polynésie française demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n°1100307 du 9 février 2012 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française n'a fait que partiellement droit, à concurrence de 8 308 689 F CFP, à sa demande tendant, d'une part, à la condamnation de la société Bureau d'études Speed et de la société Boyer à lui verser la somme de 16 617 378 F CFP correspondant aux préjudices qu'elle a subis du fait des désordres affectant l'émissaire de rejet en mer des eaux usées de la zone touristique de Haapiti, à Moorea, d'autre part à ce que ces sociétés soient condamnées à remplacer à leurs frais cet ouvrage ou, subsidiairement à payer les frais de réparation de celui-ci ;

2°) de condamner la société Bureau d'études Speed et la société Boyer à lui verser, d'une part, la somme de 2 509 414,40 euros, à moins que celles-ci ne préfèrent réaliser à leurs frais le remplacement de l'émissaire, ainsi que la somme de 16 617 378 F CFP ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

Vu la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 ;

Vu le code des marchés publics de toute nature passés au nom du territoire de la Polynésie française et de ses établissements publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 mai 2014 :

- le rapport de Mme Petit, premier conseiller,

- les conclusions de M. Dewailly, rapporteur public ;

- les observations de MeB..., de la SCP De Chaisemartin-Courjon, pour le Gouvernement De La Polynesie Francaise ;

- les observations de MeA..., de la SCP Waquet-Farge-Hazan, pour la société Bureau d'Etudes Speed ;

- et les observations de MeC..., du cabinet Altana, pour la société Boyer ;

1. Considérant que par un marché négocié de maîtrise d'oeuvre du 11 mars 1999, la Polynésie française a confié à la société Bureau d'Etudes Speed une mission de maîtrise d'oeuvre pour la conception et la réalisation de l'assainissement collectif des eaux usées de la zone touristique de Haapiti, commune de Moorea ; que cette mission, qui incluait la conception et le suivi de la réalisation des travaux, concernait trois ouvrages différents, le réseau de collecte principal des eaux usées, la station d'épuration et le rejet des eaux traitées par le biais d'un émissaire ; qu'une procédure d'appel d'offres a été lancée pour la réalisation de l'émissaire rejetant les eaux traitées en mer ; que le marché a été attribué à la société Boyer et a été signé, le 19 février 2004, pour un montant initial de 62.497.200 F CFP HT ; que l'émissaire, qui comprend une partie terrestre et une partie maritime, a été réceptionné sans réserves en 2006, à effet du 15 avril 2005 ; qu'en 2009, ont été signalés à la Polynésie française des désordres dans la partie maritime de l'émissaire, qui se sont aggravés pendant l'année 2010, à la suite du passage d'un cyclone, sous la forme de perforations de la canalisation, de phénomènes de corrosion généralisée, de rupture de la canalisation, de déplacement des lests, de phénomène de désensablement au pied des lests, et d'arrachement des béquilles qui maintenaient l'émissaire au sol ; que la Polynésie française a alors cherché à engager la responsabilité décennale du maître d'oeuvre, la société Speed, et de l'entreprise ayant réalisé les travaux, la société Boyer ; que par un jugement du 9 février 2012, le tribunal administratif de la Polynésie française a estimé que la responsabilité décennale des deux sociétés était engagée en raison d'erreurs de conception et de réalisation, mais que le maître d'ouvrage avait lui-même commis des fautes justifiant que seule la moitié du préjudice subi fût mise à la charge solidaire des deux sociétés ; qu'il en a déduit que les travaux de remise en état de l'émissaire ayant déjà été réalisés et le préjudice justifié s'élevant à la somme 16.617.378 F CFP TTC, il y avait lieu de condamner solidairement la SA Bureau d'Etudes Speed et la SARL Boyer à payer à la Polynésie française la somme de 8.308.689 F CFP TTC ; qu'enfin, le tribunal administratif a jugé qu'en l'absence d'appels en garanties, il n'y a avait pas lieu de se prononcer sur le partage des responsabilités entre les deux constructeurs ; que la Polynésie française fait appel de ce jugement ; que la société Speed et la société Boyer présentent des conclusions d'appel incident et d'appels provoqué ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que la société Speed a demandé au tribunal administratif, dans l'hypothèse où serait retenu l'engagement de la responsabilité décennale à son égard, de procéder au partage des responsabilités ; que le tribunal administratif a refusé d'examiner ces conclusions, au motif que " si la SA Bureau d'études Speed demande au tribunal d'apprécier les parts de responsabilité respective d'elle-même et de l'entrepreneur, elle ne présente aucune conclusion aux fins d'être garantie par celui-ci d'une partie de la condamnation solidaire que la Polynésie française est fondée à demander " ; que, toutefois, contrairement à ce qu'a ainsi jugé le tribunal administratif, la société Bureau d'études Speed, dont la Polynésie française recherchait la responsabilité solidairement avec celle de la société Boyer, pouvait demander aux premiers juges de procéder au partage des responsabilités entre elle-même et cette société sans être tenue de présenter contre celle-ci des conclusions d'appel en garantie ; que, par suite, en refusant à tort de statuer sur les conclusions de la société Speed relatives au partage de responsabilité, le tribunal administratif a entaché son jugement d'irrégularité ; qu'il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens tirés de l'irrégularité du jugement, celui-ci doit être annulé ;

3. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la Polynésie française devant le Tribunal administratif de la Polynésie française ;

Sur le principe de responsabilité :

En ce qui concerne la responsabilité des constructeurs sur le terrain de la garantie décennale :

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que les désordres de l'émissaire mentionnés au point 1 ci-dessus ont été constatés pour la première fois en 2009 ; qu'ils compromettent la solidité de l'ouvrage et le rendent impropre à sa destination ; qu'ils n'étaient ni apparents, ni prévisibles lors de la réception de l'ouvrage ; qu'ils ont affecté l'ouvrage moins de dix ans après cette réception ; que ces dommages sont la conséquence d'une implantation inadéquate de l'ouvrage dans sa partie maritime et de son insuffisante résistance aux conditions naturelles du site, caractérisées par une très forte houle et par d'importants courants marins ; qu'ils résultent ainsi tant de la conception que de la réalisation de l'ouvrage ; qu'ils sont de nature à donner lieu à la garantie qu'impliquent les principes dont s'inspirent les articles 1792 et 1792-4-1du code civil et à engager la responsabilité du maître d'oeuvre et de la société Boyer; que seule la force majeure ou une faute du maître d'ouvrage sont de nature à exonérer, partiellement ou totalement, les constructeurs de leur responsabilité ;

En ce qui concerne le comportement du maître d'ouvrage :

5. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du diagnostic réalisé, à la demande de la Polynésie française elle-même, par la société Créocéan, que le choix de l'implantation de l'émissaire a été effectué sans étude hydrodynamique préalable, alors que le phénomène de houle et de courants marins était très marqué ; que la Polynésie française s'était pourtant engagée à prendre à sa charge la réalisation d'une telle étude, l'annexe 2 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché conclu avec la société Bureau d'études Speed prévoyant que " Les relevés courantologiques, les études d'environnement et la reconnaissance bathymétrique nécessaires au choix du point de rejet ne sont pas compris dans la prestation de maîtrise d'oeuvre ". ; qu'en s'abstenant de faire réaliser une telle étude, distincte du levé bathymétrique qui a été réalisé par la société Boyer, la Polynésie française a commis une faute ;

6. Considérant, d'autre part, qu'en négligeant d'inspecter l'émissaire pendant les quatre années suivant la réception de celui-ci, la Polynésie française a également commis une faute, cette carence ayant contribué à l'aggravation des dommages ;

7. Considérant, en revanche, que, eu égard aux stipulations du marché conclu avec la société Boyer, la Polynésie française ne peut être regardée comme ayant imposé à l'entreprise le mode de fixation de l'émissaire, dans sa partie maritime ; que, par ailleurs, si la société Boyer soutient que le maître d'ouvrage a imposé, dans le cahier des clauses techniques particulières, " un point faible au niveau de chaque raccord susceptible de se rompre dans le cas d'accrochage par des ancres de bateau ", il ne résulte pas de l'instruction que les désordres constatés sur l'émissaire résulteraient d'un accrochage de celui-ci par l'ancre d'un navire ;

8. Considérant que, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de retenir une part de responsabilité du maître d'ouvrage correspondant à un tiers du préjudice subi ;

Sur le partage des responsabilités entre le maître d'oeuvre et l'entreprise ayant réalisé les travaux :

9. Considérant, d'une part, que l'article 6.4.2.6 du CCTP du marché conclu avec la société Boyer prévoyait, s'agissant de la pose de la canalisation en acier pour le passage de la " passe ", que le battage des pieux se ferait jusqu'à 20m de profondeur ; qu'il est constant que la société Boyer s'est bornée à mettre en place des béquilles d'appui non ancrées dans le sol ; que si elle soutient qu'elle a retenu finalement ce mode de fixation parce que le sol était trop dur pour que des pieux pussent être enfoncés à cette profondeur, et incrimine de ce fait la maîtrise d'oeuvre, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait, en tout état de cause, émis des réserves sur l'utilisation de ce procédé, qui n'était pas propre à assurer la solidité de l'ouvrage ; qu'en revanche, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait commis des erreurs d'exécution en ce qui concerne la qualité des matériaux utilisés pour la réalisation de l'ouvrage ;

10. Considérant, d'autre part, que la société Bureau d'études Speed n'a pas attiré l'attention du maître d'ouvrage sur les risques engendrés par l'absence de réalisation effective d'une étude sur les courants marins ; que, par ailleurs, si l'article 6.4.2.6 du CCTP prévoyait certes, pour éviter les phénomènes de corrosion, des colliers de fixation en acier inoxydable comportant un isolant, la corrosion était généralisée et ne concernait pas les seuls points de fixation ; qu'eu égard au caractère particulièrement agressif du milieu maritime, il appartenait au maître d'oeuvre de prendre en compte cette caractéristique de l'environnement et de prévoir une épaisseur d'acier suffisante ; qu'enfin, il appartenait, aux termes de sa mission, à la société Bureau d'études Speed de procéder à une surveillance effective du chantier ; qu'elle ne pouvait, à ce titre, se borner à réceptionner et à valider le " plan d'assurance qualité " par lequel la société Boyer s'engageait à respecter les prescriptions de pose de l'émissaire ;

11. Considérant que compte tenu de l'ensemble des éléments mentionnés ci-dessus, la part de responsabilité de la société Boyer doit être fixée à un tiers et celle de la société Bureau d'études Speed doit également être fixée à un tiers ;

Sur la réparation du préjudice subi par la Polynésie française :

En ce qui concerne les modalités de la réparation :

12. Considérant que devant le tribunal administratif et la cour, la Polynésie française demande, à titre principal, la condamnation de la société Boyer et de la société Bureau d'Etudes Speed à procéder à leurs frais au remplacement total de l'ouvrage, subsidiairement, la condamnation de ces deux sociétés à réaliser à leurs frais les travaux de réparation nécessaires, et " en tout état de cause ", leur condamnation à lui rembourser le surcoût qu'elle estime avoir indûment supporté du fait des désordres relevant de la responsabilité décennale, soit la somme de 16 617 378 francs CFP, portée en appel à la somme de 300 000 000 francs CFP;

13. Considérant que la responsabilité des architectes en raison des malfaçons constatées dans les travaux ne peut trouver sa sanction, sur la base des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil, dans l'obligation d'exécuter eux-mêmes les réparations ; que, par suite, dans le cas où, comme en l'espèce, l'un des constructeurs dont la responsabilité décennale est engagée demande au juge de procéder au partage des responsabilités entre l'ensemble des constructeurs, dont un architecte, les condamnations prononcée par le juge ne peuvent prendre que la forme du paiement d'une somme d'argent ; que, par ailleurs, le montant total des condamnations ne peut, en l'espèce, excéder le montant demandé en première instance par la Polynésie française ;

En ce qui concerne le montant du préjudice :

14. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le 17 février 2010, la Polynésie française a demandé au Centre de Recherche Insulaire et Observatoire de l'environnement (Créocéan), agence Pacifique, de réaliser une expertise de l'émissaire aux fins de déterminer les travaux à réaliser pour sa réhabilitation, pour un montant d'honoraires de 2.851.121 F CFP TTC ; que le 3 juin 2010, elle a, en outre, commandé au Créocéan une expertise pour un montant d'honoraires de 6.921.520 F CFP TTC, pour l'acquisition de données hydrodynamiques, la réalisation d'une expertise biologique et la modélisation du rejet de l'émissaire en mer de la station d'épuration de Haapiti-Moorea ; que par un marché du 29 novembre 2010, elle a confié à la société Créocéan la " maîtrise d'oeuvre partielle pour la réhabilitation de l'émissaire de rejet des eaux traitées par la station d'épuration de Haapiti " pour un montant de 1.185.297 F CFP TTC ; qu'après avis d'appel à candidature envoyée à deux sociétés pour réaliser la réhabilitation totale de l'émissaire de mer, l'entreprise Ti Ai Moana a été retenue pour un montant de 5.659.440 F CFP TTC ; que le total de ces dépenses s'élève ainsi à la somme de 16 617 378 F CFP ;

15. Considérant que la Polynésie française soutient, il est vrai, que les travaux mentionnés ci-dessus ont seulement eu pour objet de permettre, de manière temporaire, le rejet des effluents dans le lagon, la solution définitive consistant à rejeter ces effluents dans la mer elle-même, comme cela était prévu à l'origine ; que, toutefois, ses conclusions tendant à ce que les constructeurs soient condamnés solidairement à lui payer une somme de 300 000 000 francs CFP n'ont été présentées que dans ses écritures d'appel, le montant demandé en première instance étant de 16 617 378 francs CFP ; qu'elles sont dès lors irrecevables, ainsi que le relève la société Boyer ; qu'au demeurant, il est constant que la recréation d'un émissaire maritime exigerait, eu égard aux caractéristiques du site, une implantation différente et une conception de l'ouvrage distincte de celle de l'ouvrage initial, et qu'un tel projet est hypothétique ;

16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, eu égard au partage de responsabilité retenu ci-dessus, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, la société Bureau d'études Speed et la société Boyer doivent chacune être condamnées à verser à la Polynésie française la somme de 5 539 126 francs CFP, soit la somme de 4 681,80 euros ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°1100307 du Tribunal administratif de la Polynésie française du 9 février 2012 est annulé.

Article 2 : La société Bureau d'études Speed et la société Boyer sont condamnées à verser chacune à la Polynésie française la somme de 4 641,80 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

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N° 12PA02534


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 12PA02534
Date de la décision : 10/06/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-03-01-02-01 Marchés et contrats administratifs. Exécution technique du contrat. Conditions d'exécution des engagements contractuels en l'absence d'aléas. Marchés. Mauvaise exécution.


Composition du Tribunal
Président : M. AUVRAY
Rapporteur ?: Mme Valérie PETIT
Rapporteur public ?: M. DEWAILLY
Avocat(s) : SCP WAQUET FARGE HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2014-06-10;12pa02534 ?
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