Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B...A...et la société Gauthier-Sohm, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Ambulance la Roseraie, ont demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner l'Etat à leur verser les sommes respectives de 213 468,09 euros et 418 275,09 euros, augmentées des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de la décision du 30 décembre 2002 du préfet du Val-de-Marne retirant définitivement à la société Ambulance la Roseraie son agrément en matière de transports sanitaires.
Par un jugement n° 1100543 du 26 juillet 2013, le Tribunal administratif de Melun a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 octobre 2013 et 28 octobre 2014, M. A...et la société Gauthier-Sohm, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Ambulance la Roseraie, représentés par Me Mammar, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1100543 du 26 juillet 2013 du Tribunal administratif de Melun ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser les sommes respectives de 213 468,09 euros et 418 275,09 euros, augmentées des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- leur requête, présentée dans le délai d'appel, est recevable ;
- la motivation des premiers juges est trop générale ;
- la décision de retrait définitif d'agrément du 30 décembre 2002, annulée par le Tribunal administratif de Melun en raison d'un vice de procédure affectant l'avis rendu par le sous-comité des transports sanitaires du Val-de-Marne, est entachée d'une illégalité fautive leur ouvrant droit à réparation ;
- par ailleurs, cette même décision, qui était affectée d'autres vices de procédure, reposait aussi soit sur des faits amnistiés par la loi du 6 août 2002, soit sur des informations irrégulièrement obtenues, soit sur des faits erronés, soit sur des faits mineurs ne mettant pas en cause la sécurité des patients transportés ; ainsi, même si la procédure avait été régulière, le préfet, qui a commis des erreurs de fait, une erreur d'appréciation et un détournement de pouvoir, ne pouvait pas retirer définitivement l'agrément de la société Ambulance la Roseraie ;
- la société a, du fait de la décision de retrait illégale, été contrainte de cesser toute exploitation et a subi un préjudice matériel résultant de la perte de valeur de son fonds de commerce, chiffrée à la somme de 407 089,08 euros ; elle a également dû faire face à des frais judiciaires s'élevant à 11 186,01 euros ;
- M. A...a, du fait d'une cessation forcée d'activité de la société Ambulance la Roseraie, subi un préjudice patrimonial, chiffré à 203 468,09 euros, résultant d'une perte de revenus arrêtée au 31 décembre 2008, de frais de formation de retour à l'emploi, du versement auquel il a été solidairement condamné avec la société, du rachat anticipé de ses contrats d'assurance et du crédit qu'il a été contraint de contracter ; il a également subi un préjudice extrapatrimonial évalué à 10 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2014, le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête d'appel de M. A...et la société Gauthier-Sohm est tardive ;
- les moyens soulevés par M. A... et la société Gauthier-Sohm ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 ;
- le décret n°87-964 du 30 novembre 1987 ;
- le décret n° 87-965 du 30 novembre 1987 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dhiver,
- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,
- et les observations de Me Mammar, avocat de M. A...et de la société Gauthier-Sohm.
1. Considérant que, par un arrêté du 30 décembre 2002, le préfet du Val-de-Marne a retiré à la société Ambulance la Roseraie l'agrément qui lui avait été délivré le 26 février 1990 pour effectuer des transports sanitaires terrestres ; que cet arrêté a été annulé par le Tribunal administratif de Melun, par un jugement du 28 décembre 2006, au motif que le sous-comité des transports sanitaires du Val-de-Marne avait rendu son avis le 6 novembre 2002 sans que le médecin inspecteur de la santé ait au préalable présenté son rapport, ainsi que l'exige les dispositions de l'article 6 du décret du 30 novembre 1987 relatif au comité départemental de l'aide médicale urgente et des transports sanitaires, codifiées depuis à l'article R. 6313-6 du code de la santé publique ; que, par un arrêt du 24 novembre 2008, la Cour de céans a confirmé l'illégalité retenue par les premiers juges ; que la société Gauthier-Sohm, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Ambulance la Roseraie, et l'ancien gérant de la société, M.A..., font appel du jugement du 26 juillet 2013 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté leurs demandes tendant à la réparation du préjudice qu'il estiment avoir subi du fait du retrait d'agrément illégal prononcé par le préfet du Val-de-Marne le 30 décembre 2002 ;
Sur la recevabilité de la requête de la société Gauthier-Sohm et de M.A... :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1 (...) " ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier de première instance que le jugement du Tribunal administratif de Melun du 26 juillet 2013 a été notifié à la société Gauthier-Sohm et à M. A... le 23 août 2013 ; que leur requête est parvenue par télécopie au greffe de la Cour le 22 octobre 2013, dans le délai d'appel prescrit par les dispositions précitées de l'article R. 811-2 du code de justice administrative ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes doit être écartée ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
4. Considérant que si l'intervention d'une décision illégale peut constituer une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, elle ne saurait donner lieu à réparation si, dans le cas d'une procédure régulière, la même décision aurait pu légalement être prise ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 15 du décret du 30 novembre 1987 relatif à l'agrément des transports sanitaires terrestres, en vigueur à la date à laquelle le préfet du Val-de-Marne a pris la décision de retrait d'agrément : " En cas de manquement aux obligations du présent décret par une personne bénéficiant de l'agrément, celui-ci peut être retiré temporairement ou sans limitation de durée par décision motivée du préfet (...) " ;
6. Considérant que, pour prendre sa décision du 30 décembre 2002, le préfet du Val-de-Marne s'est fondé, d'une part, sur les infractions relevées lors d'une enquête de police diligentée le 28 mai 2002 sur les lieux au départ duquel les véhicules de la société Ambulance la Roseraie étaient utilisés, d'autre part, sur les faits évoqués devant le sous-comité des transports sanitaires du 6 novembre 2002 qui, selon lui, mettaient en évidence de graves dysfonctionnements dans l'organisation et la gestion de la société ; que le préfet a estimé que ces éléments portaient atteinte directement ou indirectement à la sécurité des personnes et à la réglementation relative aux transports sanitaires et justifiaient que l'agrément délivré le 26 février 1990 à la société Ambulance la Roseraie pour effectuer des transports sanitaires terrestres lui soit définitivement retiré ;
7. Considérant d'une part, qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 6 août 2002 : " Sont amnistiés les faits commis avant le 17 mai 2002 en tant qu'ils constituent des fautes passibles de sanctions disciplinaires ou professionnelles (...) Sauf mesure individuelle accordée par décret du Président de la République, sont exceptés du bénéfice de l'amnistie prévue par le présent article les faits constituant des manquements à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs (...) " ;
8. Considérant que le sous-comité des transports sanitaires a relevé que la société Ambulance la Roseraie avait, en méconnaissance de l'article 11 du décret du 30 novembre 1987 alors en vigueur, omis de soumettre deux véhicules au contrôle des services de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales ; que toutefois ces faits, qui ne constituent pas un manquement à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs, ont été constatés lors d'un premier contrôle de police du 13 septembre 2001 et sont donc antérieurs à la date du 17 mai 2002 visée par les dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 6 août 2002 ; que le préfet ne pouvait pas les retenir pour fonder sa décision de retrait définitif d'agrément, qui constitue une sanction professionnelle au sens desdites dispositions ;
9. Considérant, d'autre part, qu'à l'issue du contrôle effectué le 28 mai 2002 sur deux véhicules sanitaires légers et deux ambulances de la société Ambulance la Roseraie, les services de police n'ont pas dressé de procès-verbal faisant foi jusqu'à preuve du contraire mais ont simplement invité le gérant de la société à mettre fin aux infractions à la législation sur le transport sanitaire et au code de la route qu'ils avaient relevées ; que les services de police n'ont observé aucun manquement aux règles d'hygiène lors de ce contrôle ; qu'ils ont également constaté qu'aucune ambulance ne transportait plus d'un patient ; qu'en revanche, leur rapport fait état du défaut de déclaration d'un salarié en méconnaissance des prescriptions de l'article 12 du décret du 30 novembre 1987 alors en vigueur ainsi que, pour une ambulance, d'un non respect des règles d'équipage fixées à l'article 9 du même décret ; que toutefois, ainsi que le font valoir les requérants, le salarié dont l'embauche n'a pas été immédiatement portée à la connaissance de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales disposait des qualifications requises et le retard de déclaration, qui n'a été que d'un mois et demi, et non de trois mois comme l'a retenu le préfet, a été immédiatement régularisé après le 28 mai 2002 ; que les requérants, qui contestent avoir méconnu les règles d'équipage, produisent le planning d'utilisation des véhicules faisant apparaître que, pour les trois transports effectués dans l'après-midi du 28 mai 2002, l'équipage de l'ambulance en cause était régulièrement composé de deux personnes ; qu'ils soutiennent qu'au moment du contrôle, le conducteur de l'ambulance était au repos et attendait son collègue pour un nouveau transport ; qu'en l'absence d'éléments permettant de connaître avec exactitude l'heure à laquelle le contrôle a eu lieu, l'infraction ne peut être tenue pour établie ; que les services de police ont également relevé plusieurs manquements au code de la route ; que certains de ces manquements, tels que la simple absence de présentation du certificat d'immatriculation d'une ambulance et du permis de conduire d'un conducteur, sont mineurs ; que les requérants établissent que, contrairement à ce qui est indiqué dans le rapport de police, la société Ambulance la Roseraie était à jour du contrôle technique de tous ses véhicules ; que la plaque d'immatriculation, difficilement lisible, de l'un des véhicules, a été réparée dès le 31 mai 2002 ; que si les requérants reconnaissent l'existence d'un retard de paiement des primes d'assurance pour deux véhicules de respectivement quatre et deux mois, ils produisent des attestations de la société d'assurance Axa faisant apparaître que les véhicules ont été constamment assurés durant toute la période ; qu'en outre, si M. A...a admis, lors de son audition devant le sous-comité des transports sanitaires le 6 novembre 2002, qu'il établissait manuellement les feuilles de route et reconstituait a posteriori les documents faisant apparaître les transports effectués par la société Ambulance la Roseraie, il ne résulte pas de l'instruction que celle-ci aurait émis des factures erronées à l'intention des caisses de sécurité sociale ; qu'enfin, si les agents de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales ont constaté, lors d'une visite au siège de la société le 6 juin 2002, la présence d'une ambulance sur place, le préfet ne fournit aucun élément faisant apparaître que ce véhicule n'avait pas été déclaré ou qu'il a été irrégulièrement utilisé pour le transport de personnes ; que les autres faits relevés lors de cette visite du 6 juin 2002, tels que l'absence du gérant, l'absence d'enseigne, l'absence d'accueil, ne sauraient être retenus comme des manquements ; qu'en définitive, s'il est établi que M. A...a fait preuve de négligences fautives dans l'organisation et la gestion administrative de la société Ambulance la Roseraie, il ne résulte pas de l'instruction que cette dernière aurait gravement porté atteinte à la sécurité des personnes transportées ou aurait méconnu les règles d'hygiène ; que, dans ces conditions, alors que la société Ambulance la Roseraie n'avait au cours de ses douze années de fonctionnement fait l'objet d'aucune sanction ni d'aucun avertissement, la décision de lui retirer définitivement son agrément de transport sanitaire est disproportionnée au regard des fautes commises ; que dès lors, même si la procédure devant le sous-comité des transports sanitaires avait été régulièrement suivie, le préfet du Val-de-Marne ne pouvait pas prendre la décision du 30 décembre 2002 ; qu'il s'ensuit que l'illégalité fautive dont est entachée cette décision est de nature à engager la responsabilité de l'Etat vis-à-vis de la société Ambulance la Roseraie et de M. A... ;
10. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'en lui retirant définitivement son agrément de transport sanitaire, le préfet du Val-de-Marne a privé la société Ambulance la Roseraie de la possibilité de poursuivre toute activité et l'a nécessairement contrainte à se déclarer en cessation de paiement le 14 février 2003 ; qu'ainsi, sa décision du 30 décembre 2002 est directement et exclusivement à l'origine des préjudices subis par les requérants ; que le ministre chargé de la santé n'est donc pas fondé à soutenir que la mise en liquidation judiciaire de la société Ambulance la Roseraie serait imputable aux négligences administratives de son gérant et que ce comportement serait de nature à exonérer, même partiellement, l'Etat de sa responsabilité ;
Sur l'indemnisation des préjudices subis par la société Ambulance la Roseraie :
11. Considérant que, pour chiffrer le préjudice résultant de la perte du fonds de commerce de la société Ambulance la Roseraie, la société Gauthier-Sohm, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Ambulance la Roseraie, a procédé à une évaluation par référence au barème professionnel en appliquant un taux de 85 % au chiffre d'affaires moyen TTC des trois derniers exercices ; que la méthode proposée par la requérante est l'une des méthodes communément admises pour évaluer la valeur d'un fonds de commerce ; que toutefois, la société requérante n'assortit pas ses dires de documents justifiant des chiffres d'affaires réalisés par la société Ambulance la Roseraie au cours des exercices 2000 à 2002 et ne donne aucune explication des raisons pour lesquelles il y aurait lieu en l'espèce de retenir la valeur supérieure de la fourchette du barème préconisé pour l'évaluation des fonds de commerce d'ambulance ; qu'il y a lieu d'ordonner, avant dire droit, un supplément d'instruction contradictoire aux fins de permettre à la société Gauthier-Sohm de communiquer à la Cour, dans un délai de trois semaines à compter de la notification du présent arrêt, tous documents, notamment de nature comptable, permettant d'établir le montant exact du préjudice dont elle demande réparation en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Ambulance la Roseraie ;
Sur l'indemnisation des préjudices subis par M.A... :
12. Considérant que M. A...demande réparation du préjudice résultant d'une perte de rémunérations entre 2003 et 2008 du fait de la liquidation judiciaire de la société Ambulance la Roseraie, dont il était salarié ; que, toutefois, les pièces du dossier ne permettent pas de déterminer avec suffisamment de précision le montant des revenus professionnels et des revenus de remplacement dont le requérant a bénéficié au cours de la période durant laquelle il demande à être indemnisé ; qu'il y a lieu d'ordonner, avant dire droit, un supplément d'instruction contradictoire aux fins de permettre à M. A...de communiquer à la Cour, dans un délai de trois semaines à compter de la notification du présent arrêt, tous documents permettant de connaître le montant de l'ensemble des revenus, y compris ses revenus de remplacement, qu'il a perçus entre janvier 2003 et décembre 2008, par la production, notamment, de son avis d'impôt sur les revenus de 2007, de ses bulletins de salaire ainsi que de ses bulletins Assedic couvrant la période allant du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2008 ou, dans l'hypothèse où M. A...n'aurait perçu aucun revenu de remplacement, de justifier par tous moyens l'absence de tels revenus ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1100543 du 26 juillet 2013 du Tribunal administratif de Melun est annulé.
Article 2 : Il sera, avant de statuer sur les demandes de la société Gauthier-Sohm, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Ambulance la Roseraie, et de M.A..., procédé aux suppléments d'instruction aux fins indiquées dans les motifs du présent arrêt.
Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Gauthier-Sohm, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Ambulance la Roseraie, à M. B... A...et au ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Délibéré après l'audience du 19 janvier 2015, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Marino, président assesseur,
- Mme Dhiver, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 février 2015.
Le rapporteur,
M. DHIVERLe président,
J. LAPOUZADE
Le greffier,
L. BARRIERE
La République mande et ordonne à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 13PA03884