Vu la requête, enregistrée le 4 juin 2013, présentée pour la Société par Actions Simplifiée Comptoir de Bonneterie Rafco, dont le siège est 78 rue d'Aboukir, à Paris (75002), par Me A...; la société Comptoir de Bonneterie Rafco demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1221946 du 10 avril 2013 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2008 en conséquence de la remise en cause du crédit d'impôt recherche d'un montant de 289 070 euros ;
2°) de prononcer la décharge de l'imposition contestée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 8 070 euros incluant celle de 70 euros correspondant au droit de timbre acquitté, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- le service a à tort remis en cause le crédit d'impôt dont elle avait bénéficié au motif qu'elle n'était pas une entreprise industrielle au sens de la doctrine administrative dès lors qu'elle ne faisait pas l'acquisition des matières premières servant à la fabrication des ses modèles et qu'elle achetait les produits finis à des sous-traitants ;
- elle est une entreprise industrielle et commerciale au sens du I de l'article 244 quater B du code général des impôts ; la jurisprudence a étendu le bénéfice de ce texte aux sociétés commerciales par leur forme, même si elles exercent une activité non commerciale ;
- l'interprétation donnée par le service du h) de l'article 244 quater B dans sa doctrine est particulièrement restrictive ; en particulier la condition tenant à ce que l'entreprise soit propriétaire de la matière première est irréaliste et la requérante, bien qu'elle ne soit pas une entreprise industrielle au sens strict, supporte le risque commercial ;
- en outre, elle a été assujettie à la taxe pour le développement des industries de l'habillement instituée par la loi du 30 décembre 2003, dont l'article 71 D prévoit qu'elle est due par les fabricants du secteur de l'habillement, notamment les entreprises qui conçoivent les produits et les font fabriquer par un tiers, quel que soit le lieu de fabrication ;
- les dispositions du h du II de l'article 244 quater B du code contreviennent aux stipulations des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention dès lors qu'elles créent une discrimination injustifiée, entre les entreprises industrielles et les entreprises non industrielles du secteur du textile habillement cuir, ces dernières exposant les mêmes dépenses d'élaboration de nouvelles collections ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 2 septembre 2013, présenté par le ministre du budget, des finances et des comptes publics, qui tend au rejet de la requête, par les motifs que :
- s'agissant du crédit d'impôt recherche prévu au h du II de l'article 244 quater B du code général des impôts, la doctrine administrative prévoit que seules sont concernées les entreprises qui exercent une activité industrielle, définie comme concourant directement à l'élaboration ou à la transformation de biens corporels mobiliers ; cette activité doit consister en la transformation de matières premières ou de produits semi-finis en produits fabriqués et le rôle du matériel ou de l'outillage doit y être prépondérant ;
- selon la doctrine, les entreprises industrielles qui sous-traitent leur fabrication à des tiers peuvent également bénéficier du crédit d'impôt si elles sont propriétaires de la matière première et si elles assument tous les risques de la fabrication et de la commercialisation ;
- la société requérante conçoit et réalise des modèles et dessins qu'elle transmet à des sous-traitants établis en Asie, lesquels sont chargés, au moyen de leur matière première, de fabriquer les collections ; la société, qui achète les produits finis, ne joue en conséquence aucun rôle dans le processus de fabrication ;
- la position de l'administration est conforme à la jurisprudence ;
- le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention n'est pas fondé ; en effet, la requérante n'est pas dans une situation analogue à celle des autres entreprises susceptibles de bénéficier du dispositif du crédit d'impôt, lequel n'a pas vocation à s'appliquer à toutes les entreprises et à toutes les dépenses de recherche ;
- la requérante n'établit pas avoir été traitée de façon discriminatoire par rapport aux autres entreprises qui exercent la même activité dans des conditions similaires ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique du 9 avril 2015 :
- le rapport de M. Vincelet, rapporteur,
- et les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public ;
1. Considérant que la société par actions simplifiée Comptoir de Bonneterie Rafco, qui exerce l'activité de conception et de commercialisation de bonneterie et de lingerie féminine, a bénéficié de la prise en charge, sous la forme du crédit d'impôt recherche spécialement prévu au h) du II de l'article 244 quater du code général des impôts, de ses dépenses de collection exposées au cours de l'année 2008 pour un montant total de 289 070 euros ; que l'administration a ultérieurement remis en cause ce crédit d'impôt, au motif que la société sous-traitait l'entière fabrication de ses produits à des prestataires extérieurs, lesquels faisaient l'acquisition de la matière première, en sorte qu'elle n'exerçait pas d'activité industrielle et que les dépenses exposées dans le cadre de cette activité n'étaient en conséquence pas éligibles au crédit d'impôt recherche ; qu'elle l'a en conséquence assujettie, au titre de l'année 2008, à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés qui procédait de la reprise de ce crédit d'impôt ; que la société Comptoir de Bonneterie Rafco fait appel du jugement du 10 avril 2013 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge de cette imposition supplémentaire ;
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " I. Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. (...). II. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont (...) h) Les dépenses liées à l'élaboration de nouvelles collections exposées par les entreprises industrielles du secteur textile-habillement-cuir (...) " ;
3. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées du h) du II de l'article 244 quater B du code général des impôts que le bénéfice du crédit d'impôt recherche ouvert, à raison de l'élaboration de nouvelles collections, aux entreprises du secteur textile-habillement-cuir, ne concerne que les entreprises qui exercent une activité industrielle dans ce secteur ; que présentent un caractère industriel les activités qui concourent directement à la fabrication ou à la transformation de biens corporels mobiliers et pour lesquelles le rôle des moyens techniques, du matériel ou de l'outillage est prépondérant ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Comptoir de Bonneterie Rafco sous-traitait à des prestataires établis en Asie l'entière fabrication de ses produits ; qu'elle se bornait à concevoir puis à adresser à ses sous-traitants les dessins et modèles, puis à leur acheter les produits finis ; qu'ainsi, elle n'exposait aucune dépense de fabrication ou de transformation de produits et n'était en conséquence pas une entreprise industrielle du secteur " textile-habillement-cuir ", au sens des dispositions précitées ; que, par suite, elle n'avait pas droit au crédit d'impôt en litige ; qu'est dépourvue d'incidence la circonstance qu'elle est considérée comme une entreprise industrielle et commerciale au sens du I de l'article 244 quater B du code général des impôts ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que la circonstance que, par les instructions
4-A 1-00 du 21 janvier 2000, 4-A 1-01 du 6 février 2001 et 4 A 4151 du 9 mars 2001, l'administration a, par mesure de tempérament, admis que les entreprises qui, bien que recourant à la sous-traitance, pouvaient être éligibles au crédit d'impôt à raison de leurs dépenses d'élaboration de nouvelles collections, à la condition qu'elles achètent la matière première est sans incidence, dès lors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 1 que cette condition n'était pas remplie en l'espèce ;
6. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " ; qu'aux termes également de l'article premier du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ; qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec les buts de la loi ;
7. Considérant que les sociétés qui exercent, dans le secteur du textile-habillement-cuir, une activité industrielle de fabrication et de transformation des matières premières ne sont pas placées dans une situation analogue à celle des entreprises de ce secteur qui se bornent à commercialiser les produits finis fabriqués par des prestataires extérieurs, sans être exposées au risque de fabrication ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions du h) du II de l'article 244 quater B du code général des impôts contreviendraient aux stipulations précitées de la convention et de son premier protocole additionnel n'est pas fondé et doit être écarté ; qu'enfin, il n'a pas été fait application en l'espèce des instructions susmentionnées de la direction générale des impôts ; que, par suite, le moyen tiré de ce que ces instructions créeraient, entre les entreprises non industrielles du secteur, une discrimination injustifiée et contraire aux mêmes stipulations est inopérant ;
8. Considérant, enfin, que la requérante fait valoir qu'elle est considérée comme un fabricant pour l'assujettissement à la taxe pour le développement de l'industrie de l'habillement ; que, toutefois, une telle circonstance, eu égard à la nature différente des impositions et des critères d'assujettissement, est également dépourvue de toute incidence sur l'éligibilité de ses dépenses au crédit d'impôt recherche ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Comptoir de Bonneterie Rafco n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge des impositions contestées ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être également rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Comptoir de Bonneterie Rafco est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Comptoir de Bonneterie Rafco et au ministre des finances et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Ile-de-France Est.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2015 à laquelle siégeaient :
M. Formery, président de chambre,
Mme Coiffet, président assesseur,
M. Vincelet, premier conseiller.
Lu en audience publique le 7 mai 2015.
Le rapporteur,
A. VINCELET Le président,
S.-L. FORMERY
Le greffier,
S. CHALBOT-SANTT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution au présent arrêt.
''
''
''
''
2
N° 13PA02159
Classement CNIJ :
C