Vu la requête, enregistrée le 10 février 2014, présentée pour Mme C...A..., demeurant..., par MeB... ; Mme A...demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1221019/5-1 du 19 décembre 2013, par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 5 octobre 2012 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours administratif préalable obligatoire contre la décision du 9 juillet 2012 portant rejet de sa demande de maintien en service au-delà de la limite d'âge ;
2°) d'annuler la décision susmentionnée du 5 octobre 2012 ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
MmeA..., sous-officier, qui expose être entrée le 4 mars 1985 au service de la garde républicaine de Paris en qualité de musicienne de la gendarmerie nationale, et être parvenue à la première classe de son grade, soutient que :
- contrairement à ce qu'a décidé l'administration, selon les dispositions du code de la défense, elle pouvait être maintenue en service au-delà de la limite d'âge de 56 ans, par période de deux ans renouvelable, et que la décision contestée, a constitué une atteinte à ses droits ;
- le motif tiré de l'intérêt du service ne peut être admis, compte tenu de son parcours professionnel qui exclut tout reproche professionnel, le fait de libérer un poste pour un musicien plus jeune n'ayant aucun fondement légal ni juridique ; qu'en outre, elle restait l'unique femme musicienne dans son orchestre ;
- elle est le seul agent à n'avoir pas obtenu un maintien en activité, à l'exception d'un collègue masculin auquel il a été refusé pour un motif disciplinaire ;
- la mesure contestée est ainsi de nature discriminatoire et n'est fondée sur aucun motif réel et sérieux, n'ayant pas été prise dans l'intérêt du service ;
- l'appréciation défavorable portée par son chef d'orchestre, est inopérante puisque celui-ci a été déchargé peu après de ses fonctions administratives ;
Vu le jugement et la décision attaqués ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 19 décembre 2014, présenté par le ministre de la défense, qui conclut au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué ;
Le ministre fait valoir que :
- en vertu des dispositions du code de la défense, MmeA..., qui avait atteint la limite d'âge de 56 ans prévue pour son grade avec le relèvement de 9 mois résultant de la loi du 9 novembre 2010, ne pouvait prétendre à être maintenue en activité au-delà de cet âge ;
- il n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, compte tenu des observations formulées sur ses bulletins de notation ;
- la discrimination alléguée fondée sur le sexe n'est pas établie, puisqu'un autre musicien de l'orchestre de la garde républicaine s'est vu également refuser un tel maintien pour des raisons disciplinaires ;
- enfin, le détournement de pouvoir allégué n'est pas davantage établi, car l'avis défavorable du chef d'orchestre, au demeurant nuancé par la prise en compte de la situation familiale de l'intéressée, repose sur des éléments objectifs relatifs à la manière de servir ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 9 juin 2015, présenté par le ministre de l'intérieur, par lequel celui-ci indique se rapporter aux écritures produites le 19 décembre 2014 dans la présente affaire par le ministre de la défense ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu le code de la défense ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État ;
Vu la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites ;
Vu le décret n° 2011-2103 du 30 décembre 2011 portant relèvement des bornes d'âge de la retraite des fonctionnaires, des militaires et des ouvriers de l'État ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 16 juin 2015 :
- le rapport de M. Privesse, premier conseiller,
- les conclusions de M. Rousset, rapporteur public,
- et les observations de Me Deburge, avocat de Mme A...;
1. Considérant que MmeA..., née en 1956, a été recrutée en 1984 en qualité de musicienne dans la gendarmerie nationale, puis est entrée le 4 mars 1985 au service de la garde républicaine de Paris, et a accédé en dernier lieu à la première classe de son grade de sous-officier ; qu'elle a présenté, le 19 décembre 2011, une demande de maintien en activité au-delà de la limite d'âge de son grade laquelle, initialement fixée à 56 ans, pouvait, en ce qui la concernait être fixée au 20 octobre 2012 en vertu des mesures d'application de la loi du 9 novembre 2010 susvisée ; que sa demande, ayant été rejetée par une décision du 11 avril 2012, annulée et remplacée par une décision du 9 juillet 2012, la requérante a formé recours le 25 mai 2012 auprès de la commission des recours des militaires (CRM) ; que par une décision ministérielle du 5 octobre 2012, prise après avis de la CRM, ce recours administratif préalable obligatoire a été rejeté, la décision du 9 juillet 2012 ayant été regardée comme conforme aux nécessités et au bon fonctionnement du service ; que Mme A...fait appel du jugement en date du 19 décembre 2013 par lequel le Tribunal administratif de Paris, a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 5 octobre 2012, confirmant la décision du 9 juillet 2012 portant rejet de sa demande de maintien en service au-delà de la limite d'âge ;
2. Considérant d'une part, qu'aux termes de l'article 68 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée : " Les fonctionnaires ne peuvent être maintenus en fonctions au-delà de la limite d'âge de leur emploi sous réserve des exceptions prévues par les textes en vigueur " ; qu'aux termes de l'article 33 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites également susvisée : " I. Pour les militaires dont la limite d'âge est inférieure à 65 ans, en application de l'article
L. 4139-16 du code de la défense dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de la présente loi, la limite d'âge est fixée, à compter du 1er janvier 2016 : (...) À 58 ans lorsque cette limite d'âge était fixée antérieurement à 56 ans " ; qu'enfin, aux termes de l'article 3 du décret du 30 décembre 2013 le relèvement des bornes d'âge de la retraite correspondant à l'année 2012 au cours de laquelle Mme A...devait atteindre sa limite d'âge, était de neuf mois ; qu'en conséquence, MmeA..., née le 20 janvier 1956, devait voir sa limite d'âge fixée à 56 ans et neuf mois, en application de l'ensemble de ces dispositions ;
3. Considérant d'autre part, qu'il résulte des dispositions de l'article L. 4139-16 du code de la défense dans leur rédaction applicable à l'espèce : " (...) 3° Pour les sous-officiers des armées et des formations rattachées, telles que définies par le tableau ci-après : [la limite d'âge des militaires de carrière du grade correspondant à celui d'adjudant chef de Mme A...est de 58 ans](...) Les musiciens des orchestres de la garde républicaine peuvent, sur demande agréée, être maintenus en service au-delà de cette limite d'âge, par périodes de deux ans renouvelables (...) Cette prolongation de service est prise en compte au titre de la constitution et de la liquidation du droit à pension. " ;
4. Considérant que la décision du 5 octobre 2012 que conteste MmeA..., est uniquement motivée par " l'intérêt que trouverait le service à pouvoir remplacer celle-ci par un jeune musicien, ainsi que sur des considérations de gestion visant à ne pas maintenir au-delà de la limite d'âge, des musiciens de première classe afin de favoriser la progression de carrière de musiciens moins gradés " ; que l'intéressée soutient qu'un tel motif n'a jamais été invoqué pour s'opposer aux demandes de maintien en activité de ses collègues masculins qui ont toutes été acceptées, et visait en réalité à dissimuler le caractère discriminatoire du refus qui lui a été opposé ;
5. Considérant que Mme A...soutient, à l'appui de sa requête, que le ministre de la défense aurait commis un abus de droit en lui refusant une prolongation d'activité professionnelle au sein de l'orchestre de la garde républicaine, ce refus participant d'une discrimination à son égard ; que, de manière générale, il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction ; que cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes ; que, s'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'il en va également ainsi lorsque la décision contestée devant le juge administratif a été prise par une instance indépendante de l'administration qui défend ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ;
6. Considérant en l'espèce, que Mme A...produit en appel les noms de trente-cinq musiciens des orchestre et harmonie de la garde républicaine qui ont été maintenus en activité au-delà de la limite d'âge sans que leur soient opposées les considérations de gestion qui ont motivé le rejet de la demande de l'intéressée ; que le ministre de la défense qui se borne à faire état de ce que le seul refus de maintien en activité opposé à un agent masculin, au-delà de la limite d'âge, a été motivé pour des raisons disciplinaires, fait valoir que la requérante ne présentait pas les qualités professionnelles requises pour poursuivre son activité ; que toutefois, cette allégation ne ressort pas de la motivation de la décision contestée et est contredite, tant par la formation de l'intéressée, premier prix de violon du conservatoire national supérieur de musique de Paris, à 18 ans, que par le déroulement de la carrière de Mme A...dont, notamment, les dernières notations confirment la valeur professionnelle ;
7. Considérant qu'il résulte ainsi de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 5 octobre 2012 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours administratif préalable obligatoire contre la décision du 9 juillet 2012 portant rejet de sa demande de maintien en service au-delà de la limite d'âge, pour discrimination ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre, sur le fondement de ces dispositions, à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A...et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Paris en date du 19 décembre 2013 et la décision ministérielle du 5 octobre 2012 sont annulés.
Article 2 : L'État versera à Mme A...la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...A..., au ministre de l'intérieur et au ministre de la défense.
Délibéré après l'audience du 16 juin 2015, à laquelle siégeaient :
- Mme Coënt-Bochard, président de chambre,
- M. Privesse, premier conseiller,
- M. Cantié, premier conseiller,
Lu en audience publique le 30 juin 2015.
Le rapporteur,Le président,J-C. PRIVESSEE. COËNT-BOCHARD
Le greffier,A.-L. CALVAIRE
La République mande et ordonne aux ministre de la défense, en ce qui les concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 14PA00635