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14/04/2016 | FRANCE | N°16PA00295

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 14 avril 2016, 16PA00295


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F...B..., M. H...C..., Mme G...J..., Mme A...J..., Mme E...I...ont demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 30 juin 2015, par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France a homologué le document unilatéral élaboré par la société La Procure fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi.

Par un jugement n° 1514508/3-2 du 25 novembre 2015, le Tribunal administratif de Paris a annul

la décision du 30 juin 2015 par laquelle le directeur régional des entreprises...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F...B..., M. H...C..., Mme G...J..., Mme A...J..., Mme E...I...ont demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 30 juin 2015, par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France a homologué le document unilatéral élaboré par la société La Procure fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi.

Par un jugement n° 1514508/3-2 du 25 novembre 2015, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 30 juin 2015 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France a homologué le document unilatéral élaboré par la société La Procure fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 22 janvier 2016, la société La Procure, représentée par Me Ottaviani, avocat, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1514508/3-2 du 25 novembre 2015, du Tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande de M. F...B..., M. H...C..., Mme G... J..., Mme A...J...et Mme E...I... ;

3°) de mettre solidairement à la charge de M. F...B..., M. H...C..., Mme G...J..., Mme A...J...et Mme E...I...la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le signataire de la décision d'homologation était compétent pour ce faire ;

- le Direccte d'Île-de-France était territorialement compétente ;

- les critères d'ordre des licenciements n'ont pas été méconnus ;

- l'obligation de recherche d'un repreneur n'était pas nécessaire ;

- le Direccte d'Île-de-France a contrôlé le respect de l'obligation de recherche d'un entrepreneur ;

- la procédure d'information/consultation de la délégation unique du personnel prise en sa qualité de comité d'entreprise au titre de la recherche d'un repreneur a été respectée ;

- le pouvoir d'appréciation des choix économiques et de la régularité de l'application par l'entreprise d'une procédure de licenciement économique collectif relève du seul pouvoir judiciaire ;

- l'obligation de reclassement a été respectée ;

- les mesures prévues par le plan de sauvegarde de l'emploi sont adaptées aux moyens du groupe et ont fait l'objet d'un contrôle par le Direccte d'Île-de-France.

Par un mémoire enregistré le 10 février 2016, M. F...B..., M. H...C..., Mme G...J..., Mme A...J...et Mme E...I..., représentés par Me Lecanet, avocat, concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros, à verser à chacun d'eux, soit mise à la charge de la société La Procure au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par un mémoire enregistré le 19 février 2016, la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle, et du dialogue social conclut à l'annulation du jugement du tribunal administratif en date du 25 novembre 2015 et à la confirmation de la décision d'homologation en date du 30 juin 2015.

Elle soutient que :

- le signataire de la décision attaquée avait reçu délégation régulière de signature ;

- le Direccte d'Île-de-France était territorialement compétent ;

- les critères d'ordre des licenciements ont été régulièrement appliqués ;

- la société n'était pas soumise à l'obligation de recherche d'un repreneur, néanmoins elle a décidé de se soumettre à cette obligation et l'administration a opéré un contrôle sur l'effectivité de cette recherche, laquelle a présenté un caractère sérieux ;

- il n'appartient pas à l'administration de se prononcer sur un transfert des contrats de travail sur le fondement de l'article L. 1224-1 du code du travail ;

- la recherche de postes de reclassement interne a bien été effectuée ;

- l'administration a contrôlé l'adaptation des mesures du plan de sauvegarde de l'emploi aux moyens du groupe, et ceux-ci, après intervention de l'administration, sont adaptés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lapouzade,

- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public,

- et les observations de Me Ottaviani pour la société La Procure, Me Lecanet pour M. F... B..., M. H...C..., Mme G...J..., Mme A...J...et Mme E...I..., M. D...pour la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Considérant ce qui suit :

1. La société La Procure, qui a pour objet social l'achat et la vente de livres, d'imagerie, de cassettes audio ou vidéo, de cd et cdRom, ainsi que la vente par correspondance de ces articles, a décidé, pour faire face à des difficultés économiques, de restructurer ses services afin de réduire ses coûts et de ne plus assurer en interne les fonctions de " back-office " que sont la logistique et l'administration des ventes, et d'envisager le licenciement de 17 salariés, pour l'un d'eux exerçant ses fonctions sur le site de Mézières, et pour les 16 autres sur le site de Chantilly, lequel site, qui se consacrait à la logistique, a été supprimé. Un accord majoritaire avec les organisations syndicales représentatives du personnel n'ayant pu aboutir, un plan de sauvegarde de l'emploi a été soumis pour homologation au Direccte (directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi) d'Île-de-France, qui a refusé d'homologuer le plan soumis par une décision du 18 mai 2015. Pour faire suite aux observations de l'administration, un second document a été présenté, lequel a été homologué le 30 juin 2015. Des salariés ayant saisi d'un recours pour excès de pouvoir le Tribunal administratif de Paris, la décision d'homologation du 30 juin 2015 a été annulée par un jugement du 25 novembre 2015 dont il est régulièrement fait appel par la société La Procure.

Sur le bien fondé du jugement attaqué :

S'agissant des moyens sur lesquels s'est fondé le Tribunal administratif :

2. Aux termes de l'article L. 1233-61 du code du travail : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, l'employeur établit et met en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre. / Ce plan intègre un plan de reclassement visant à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité, notamment celui des salariés âgés ou présentant des caractéristiques sociales ou de qualification rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile. ". Aux termes de l'article L. 1233-24-1 du même code : " Dans les entreprises de cinquante salariés et plus, un accord collectif peut déterminer le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné aux articles L. 1233-61 à L. 1233-63 ainsi que les modalités de consultation du comité d'entreprise et de mise en oeuvre des licenciements. (...) ". Aux termes de l'article L. 1233-24-2 de ce code : " L'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 porte sur le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné aux articles L. 1233-61 à L. 1233-63. / Il peut également porter sur : / 1° Les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise ; / 2° La pondération et le périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements mentionnés à l'article L. 1233-5 ; / 3° Le calendrier des licenciements ; / 4° Le nombre de suppressions d'emploi et les catégories professionnelles concernées ; / 5° Les modalités de mise en oeuvre des mesures de formation, d'adaptation et de reclassement prévues aux articles L. 1233-4 et L. 1233-4-1. " Aux termes de l'article L. 1233-24-4 dudit code : " A défaut d'accord mentionné à l'article L. 1233-24-1, un document élaboré par l'employeur après la dernière réunion du comité d'entreprise fixe le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi et précise les éléments prévus aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, dans le cadre des dispositions légales et conventionnelles en vigueur. ". Enfin, aux termes de l'article L. 1233-57-3 du code du travail : " En l'absence d'accord collectif ou en cas d'accord ne portant pas sur l'ensemble des points mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise (...) ".

3. Pour annuler la décision entreprise, le Tribunal administratif de Paris s'est fondé, d'une part, sur ce que si le document unilatéral soumis à homologation indique que " les critères d'ordre des licenciements s'appliquent par catégorie professionnelle au sein de l'entreprise tous établissements confondus ", ce document ne détaille la nature des postes par catégorie professionnelle que pour les seize postes supprimés à Chantilly et celui au siège social, et, d'autre part, que si la société La Procure produisait un tableau censé détailler les différentes catégories professionnelles au sein de l'entreprise, il n'était pas établi que, notamment, les postes de " responsable de secteur logistique ", de " responsable d'exploitation ", de " responsable relations fournisseurs " et d'attaché de clientèle correspondraient à des catégories professionnelles spécifiques n'existant que dans l'établissement de Chantilly. Ainsi, les critères d'ordre des licenciements ont été mis en oeuvre à l'égard des seuls salariés concernés par le projet de licenciement collectif et non à l'égard de l'ensemble du personnel de l'entreprise, alors que la définition d'un périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements à un niveau inférieur à celui de l'entreprise n'est envisageable que dans le cadre d'un accord collectif. En conséquence, ont été méconnues les dispositions des articles L. 1233-24-2 et L. 1233-24-4 du code du travail dans leur rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, dont il ressort, telle qu'éclairée par les travaux préparatoires, qu'elle n'a pas entendu remettre en cause le principe sus-énoncé. En homologuant ce document unilatéral, dont un des éléments mentionnés au 2° de l'article L. 1233-24-2 du code du travail n'est pas conforme à une disposition législative, l'administration du travail a méconnu les dispositions sus-énoncées de l'article L. 1233-57-3 du code du travail.

4. En outre, le Tribunal administratif a jugé qu'il ressortait du document unilatéral soumis à homologation que l'employeur a défini les critères pour fixer l'ordre des licenciements en considération de l'ancienneté, de la situation familiale, du handicap et de l'âge, applicables par catégorie professionnelle, et que ne figurait pas parmi ces critères celui relatif aux qualités professionnelles prévu au 4° de l'article L. 1233-5 du code du travail. Ainsi, en homologuant le document unilatéral de la société La Procure, laquelle était tenue de mettre en oeuvre des critères d'ordre des licenciements, sans avoir vérifié que l'ensemble des critères prévus à l'article L. 1233-5 du code du travail précité avait été pris en compte, l'administration a également méconnu l'étendue de son contrôle sur ce point et entaché sa décision d'une erreur de droit.

5. En premier lieu, ainsi que l'a jugé le Tribunal administratif de Paris dont le jugement n'est pas contesté sur ce point, en l'absence d'accord collectif, les licenciements doivent être mis en oeuvre à l'intérieur des catégories professionnelles concernées au regard du périmètre de l'entreprise (Conseil d'Etat, 7 décembre 2015, Société Mory-Ducros, n° 386582).

6. La notion de catégorie professionnelle qui sert de base à l'ordre des licenciements se définit comme l'ensemble des salariés qui exercent au sein de l'entreprise des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune (Cass. Soc., 13 février 1997, n° 95-166648, Les Grands magasins de la Samaritaine).

7. La société La Procure fait valoir, en appel, en se fondant sur une jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. Soc. 14 janvier 2003, n° 00-45.700), que les critères d'ordre des licenciements n'ont pas à être mis en oeuvre dès lors que les licenciements concernent tous les salariés de l'entreprise dans leurs catégories professionnelles respectives.

8. En l'espèce, la société La Procure soutient que les postes supprimés correspondent à des catégories professionnelles seulement présentes à Mézières : chauffeur (1) et à Chantilly : responsables d'exploitation (2), responsable relations fournisseurs (1), assistants d'exploitation (3), préparateurs de commandes (4), gestionnaire de stock (1), gestionnaire de stock VAD (1), gestionnaire de portefeuille (1), attachés de clientèle (2) et responsable de secteur logistique VPC (1).

9. La société appelante soutient, en particulier, en s'appuyant sur les fiches de descriptions de postes qu'elle produit devant le juge d'appel, que le responsable de secteur logistique a pour mission d'animer le secteur technique et logistique, son rôle consistant à encadrer le site de Chantilly, dédié ainsi qu'il a été dit, à l'activité logistique de la société, notamment de superviser les opérations de préparation de commandes réalisées sur le site, que le responsable relations fournisseurs a pour rôle de suivre les commandes et les livraisons des fournisseurs, le responsable d'exploitation de s'assurer du bon fonctionnement de la réception et du traitement des marchandises pour les libraires, et que l'attaché de clientèle suit et traite les commandes en cours ainsi que les réclamations.

10. Si les intimés soutiennent que les fiches de postes en question, produites pour la première fois au stade contentieux ont été élaborées pour les besoins de la cause, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier, notamment de l'examen de ces fiches de postes et de la copie du livre unique du personnel, également produit pour la première fois en appel mais qui ne fait quant à lui l'objet d'aucune contestation, que les salariés licenciés appartiendraient à des catégories professionnelles présentes en d'autres lieux que Mézières ou le site de Chantilly.

11. Il résulte de ce qui précède, compte tenu en particulier des documents produits devant la Cour, que la société La Procure est fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif a jugé qu'il n'était pas établi que les catégories professionnelles dont s'agit étaient seulement présentes sur les sites de Mézières et Chantilly, et qu'en conséquence, le périmètre des licenciements ne pouvait se limiter à ces seuls sites et que devaient être pris en compte l'ensemble des critères légaux relatifs à l'ordre des licenciements.

12. En second lieu, d'une part, il ressort également des pièces du dossier que, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal administratif, l'administration a bien procédé au contrôle de la soumission de l'entreprise La Procure à la détermination des critères d'ordre des licenciements. Ce point a, en effet, été abordé, à chaque stade de la procédure, ainsi qu'il résulte des procès-verbaux des réunions de la délégation unique du personnel, qui font état de ce que la société La Procure avait déclaré ne pas être soumise à l'application de ces critères. Le plan de sauvegarde de l'emploi lui-même fait apparaître ces critères et présente les catégories professionnelles concernées. Enfin, la décision d'homologation elle-même évoque ces catégories. La circonstance, à la supposer établie, que l'administration se soit livrée à une appréciation erronée de la notion de catégorie professionnelle, ou la circonstance que l'administration n'ait pas disposé des éléments suffisants, notamment des fiches de postes, seulement produites devant le juge d'appel, ainsi qu'il a été dit, ne sont, en tout état de cause, pas de nature à entacher la décision d'homologation d'illégalité, dès lors qu'il est possible, au stade juridictionnel, de faire valoir des documents nouveaux permettant de fonder en droit une appréciation initiale qui reposait sur des éléments insuffisamment précis (Conseil d'Etat, 21 octobre 2015, n° 385683, Sté Norbert d'Entressangle).

13. D'autre part, à supposer que l'administration ait commis une erreur de droit en se fondant sur une interprétation erronée de la loi pour considérer que la société La Procure pouvait limiter le périmètre des licenciements au site de Chantilly, cette circonstance est sans influence sur la légalité de la décision homologuant le plan de sauvegarde de l'emploi dès lors que, ainsi qu'il a été dit, ce plan ne méconnaît pas, du fait que les catégories professionnelles concernées étaient seulement présentes sur le site de Chantilly, les dispositions législatives alors en vigueur.

14. Il résulte de ce qui précède que la société La Procure est également fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu un second motif d'annulation tiré de l'absence de prise en compte, pour l'ordre des licenciements, du critère relatif aux qualités professionnelles.

15. Toutefois, il appartient à la Cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...et autres devant le Tribunal administratif de Paris et repris dans les écritures produites devant la Cour.

S'agissant du moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte :

16. L'autorité administrative compétente pour prendre la décision d'homologation ou de validation est le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi dont relève le lieu où l'entreprise ou l'établissement concerné par le projet de licenciement collectif est établi (articles R. 1233-3- 4 et L. 1233-57-8 du code du travail).

17. Si le projet de licenciement collectif porte sur des établissements relevant de plusieurs directeurs régionaux, l'employeur informe le directeur régional du siège de l'entreprise de son intention d'ouvrir une négociation en application de l'article L. 1233-24-1 et le ministre chargé de l'emploi désigne le directeur régional compétent (R. 1233-3-5).

18. En l'espèce, par un courrier du 25 février 2015, la directrice régionale adjointe des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Picardie, responsable de l'unité territoriale de l'Oise, a informé le directeur de la société La Procure que le ministre chargé de l'emploi, estimant que l'impact principal de la réorganisation de la société concernait le site de Chantilly, l'avait désignée, par une décision du 20 février 2015, pour assurer le suivi du projet de licenciement économique et l'instruction de la demande de validation ou d'homologation d'un document unilatéral, en application des dispositions précitées de l'article R. 1233-3-5 du code du travail.

19. Par une décision du 20 avril 2015, le ministre du travail, après avoir estimé que le site de Chantilly principalement concerné ne constituait pas un établissement distinct, a transféré la gestion du dossier au Direccte d'Île-de-France dans le ressort duquel se situe le siège social de l'entreprise La Procure.

20. M. B...et autres soutiennent, en premier lieu, que l'autorité compétente était la Direccte de l'Oise. Ils font valoir qu'il existe une autonomie de gestion suffisante du site de Chantilly, qui constitue un établissement secondaire disposant d'un numéro de SIRET et exerce une activité clairement identifiée de logistique et d'administration des ventes. Cette activité est exercée de manière autonome, comme en témoigne l'existence sur le site d'une responsable déléguée par la direction du siège dont elle est chargée d'appliquer les directives. En outre, la société La Procure a elle-même considéré qu'elle était tenue de l'obligation de rechercher un entrepreneur pour le site de Chantilly.

21. L'établissement distinct au sens des dispositions de l'article L. 1233-57-8 du code du travail se définit comme " une unité disposant d'une autonomie de gestion suffisante " (Cour administrative d'appel de Nancy, 2 juillet 2015, n° 15NC00787). La même définition est également retenue pour déterminer l'inspecteur du travail territorialement compétent pour autoriser le licenciement d'un salarié protégé (pour une application récente : Conseil d'Etat, 17 juillet 2013, n° 356099). Cette notion ne se confond pas avec celle d'établissement secondaire au sens du droit commercial, qui détermine l'attribution d'un numéro de SIRET.

22. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier et il n'est pas sérieusement contesté par M. B... et autres que les services financier, administratif et relations humaines sont assurés au siège social de la société La Procure à Paris, et que seules des tâches d'exécution sont dévolues au site de Chantilly. En conséquence, le site de Chantilly ne peut être regardé comme un établissement distinct pour la détermination du directeur régional compétent pour connaître de l'élaboration, puis de la validation ou de l'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi.

23. En second lieu, il est également soutenu par M. B...et autres que le ministre ne pouvait retirer sa décision du 20 février 2015 par laquelle il avait désigné la directrice régionale adjointe des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Picardie, responsable de l'unité territoriale de l'Oise. Toutefois, la décision par laquelle le ministre désigne le directeur régional compétent, laquelle n'est pas détachable de la procédure d'élaboration et de validation ou d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi et n'a pas le caractère d'une décision faisant grief, n'est pas susceptible de créer des droits. Ainsi, le ministre pouvait à tout moment procéder à son retrait.

24. Il résulte de ce qui précède que le Directte d'Île-de-France était bien compétent pour suivre la procédure d'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi et prononcer son homologation.

S'agissant du moyen tiré de la compétence du signataire de l'acte :

25. Marc-Henri Lazar, directeur régional adjoint, responsable de l'unité territoriale de Paris, a reçu délégation de signature du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France, par une décision n° 2013-108 du 31 décembre 2013, régulièrement publiée au recueil spécial 216, RAA 2013365-002 du même jour, pour signer les décision d'homologation du document unilatéral pris en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail,.

S'agissant du moyen tiré de l'absence de contrôle par l'administration du respect des obligations de la société et d'information et consultation de la délégation unique sur la recherche d'un repreneur :

26. L'entreprise doit rechercher un repreneur lorsqu'elle envisage la fermeture d'un de ses établissements qui aurait pour conséquence un projet de licenciement collectif. Sont concernées les entreprises soumises à l'obligation de proposer un congé de reclassement aux salariés licenciés pour motif économique, c'est-à-dire les entreprise ou groupe d'au moins 1 000 salariés (article L. 1233-57-9 du code du travail).

27. L'établissement pour l'application de ces dispositions, comme pour l'application des dispositions de l'article L. 1233-57-8 du code du travail, se définit comme " une unité disposant d'une autonomie de gestion suffisante ". Or, ainsi qu'il a été dit au point 22, le site de Chantilly ne saurait être considéré, en vertu de cette définition, comme un établissement. Par suite, aucune obligation de recherche d'un repreneur ne pesait sur la société La Procure, et cette obligation ne saurait résulter de la seule circonstance que la société se serait livrée à une tentative de recherche d'un repreneur.

S'agissant du moyen relatif au maintien des emplois :

28. Selon M. B...et autres l'activité logistique et d'administration des ventes du site de Chantilly n'a pas été arrêtée, mais confiée à un sous-traitant, la société MDS, filiale du groupe Media Participation auquel appartient la société La Procure. En conséquence, la société MDS aurait dû, sur le fondement des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, reprendre les contrats de travail attachés à cette entité économique autonome que constituait le site de Chantilly. En notifiant aux salariés leur licenciement avant la prise d'effet du contrat de sous-traitance, la société La Procure s'est donc rendue coupable d'une fraude aux dispositions de l'article L. 1224-1.

29. A titre subsidiaire, il est également soutenu qu'à supposer même que le transfert du site de Chantilly n'a pas porté sur une entité économique autonome, il aurait été utile, l'activité étant transférée au sein du groupe, d'étudier la possibilité d'une mise en oeuvre conventionnelle des dispositions de l'article L. 1224-1. En n'envisageant pas cette possibilité la société n'a pas mis en oeuvre tous les moyens nécessaires pour sauvegarder l'emploi.

30. Toutefois, il n'appartient pas à l'administration, laquelle ne peut, dans le cadre de l'examen de la demande d'homologation, se livrer à une appréciation des choix économiques opérés par l'entreprise, d'apprécier la nécessité, la régularité ou l'opportunité de la mise en oeuvre de l'article L. 1224-1 du code du travail. En outre, et en tout état de cause, ainsi qu'il a été dit, le site de Chantilly ne disposait pas d'une autonomie de gestion suffisante.

S'agissant du moyen relatif au manquement à l'obligation de reclassement :

31. Le plan de reclassement précise, dans une annexe n°1, les postes recensés à l'intérieur du groupe le 18 juin 2015, soit 13 postes vacants (3 postes de manutentionnaires, 7 postes de préparateur de commandes, 1 poste de comptable trésorier, 1 poste d'assistant administratif, 1 poste de coursier). Il prévoit que cette liste fera l'objet d'une réactualisation mensuelle pour l'ensemble des postes disponibles au sein du groupe. Une annexe n° 2 précise les mesures destinées à favoriser le reclassement externe, mentionne les postes recensés à ce jour, au nombre de 4 (2 postes d'employé logistique confirmé, 1 poste d'assistant(e) commercial(e), 1 poste de chauffeur) et prévoit la mise à jour de cette liste.

32. M. B...et autres font valoir que la recherche de reclassement ne s'est pas effectuée sur l'ensemble du périmètre du groupe Media Participation, qui emploie plus de 1 100 salariés et dispose d'implantations dans différents pays en Europe. Ainsi, aucun poste n'a été proposé à l'étranger, et les reclassements n'ont été envisagés qu'au sein des sociétés MDS et AXELYS, ainsi que des CDD au sein de deux autres sociétés du groupe.

33. Il est également reproché une absence de sérieux des recherches en vue d'assurer les reclassements, dès lors que la société La Procure s'est limitée, en premier lieu, à l'envoi de messages électroniques aux diverses sociétés du groupe, leur demandant de " transmettre tous les postes disponibles (ou prochainement disponibles) " au sein de la société du groupe concernée, sans indication du nom du salarié, du titre du poste, du curriculum vitae, en deuxième lieu, à l'envoi de courriers ayant pour objet " demande de postes disponibles en vue d'un reclassement interne " adressés aux actionnaires de La Procure, qui ne contiennent aucune information sur les salariés licenciés, et, en dernier lieu, de messages électroniques adressés à l'extérieur du groupe intitulé " La Procure Recherche d'offres de reclassement " qui visent les 17 salariés sans les nommer, et le titre de poste, sans que ces messages contiennent une information individualisée.

34. Il revient à l'autorité administrative, dans le cadre de son contrôle, de s'assurer que le plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l'emploi est de nature à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité. L'employeur doit, à cette fin, avoir identifié dans le plan l'ensemble des possibilités de reclassement des salariés dans l'entreprise. En outre, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, l'employeur, seul débiteur de l'obligation de reclassement, doit avoir procédé à une recherche sérieuse des postes disponibles pour un reclassement dans les autres entreprises du groupe. Pour l'ensemble des postes de reclassement ainsi identifiés, l'employeur doit avoir indiqué dans le plan leur nombre, leur nature et leur localisation (Conseil d'Etat, Ass., 22 juillet 2015, Calaire Chimie, n° 383481).

35. En premier lieu, s'agissant des recherches hors du territoire national, il ressort des pièces du dossier que la société La Procure a envoyé, le 4 mai 2015, un courrier aux salariés concernés leur demandant s'ils étaient susceptibles d'accepter un poste de reclassement à l'étranger. Les intéressés n'ayant pas répondu à ce courrier, ils doivent être regardés comme ayant refusé une proposition de poste hors du territoire national. Ainsi, les dispositions de l'article L. 1233-4-1 du code du travail ont bien été mises en oeuvre et la procédure instituée par cet article, dans sa version alors en vigueur, a été respectée.

36. En second lieu, contrairement à ce que soutiennent M. B...et autres les recherches de postes disponibles dans les sociétés du groupe auquel appartient l'employeur qui envisage un licenciement économique collectif, n'ont pas à être assorties du profil personnalisé des salariés concernés pour l'établissement du plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l'emploi, ce dernier devant seulement préciser le nombre, la nature, la localisation, le statut et la rémunération des emplois disponibles au sein du groupe (Cass. soc., 28 octobre 2015, n° 14-17712).

37. Ainsi, le moyen tiré de ce que la société La Procure en s'abstenant d'adresser des courriers contenant le profil personnalisé des salariés concernés aux sociétés du groupe n'a pas procédé à une recherche sérieuse de postes de reclassement doit être écarté, nonobstant la circonstance, à la supposer même pleinement établie, que la société ait disposé, au cas particulier, des profils de l'ensemble des salariés concernés par la procédure de licenciement.

38. L'administration doit également, au regard de l'importance du projet de licenciement, apprécier si les mesures contenues dans le plan sont précises et concrètes et si, à raison, pour chacune, de sa contribution aux objectifs de maintien dans l'emploi et de reclassement des salariés, elles sont, prises dans leur ensemble, propres à satisfaire à ces objectifs compte tenu, d'une part, des efforts de formation et d'adaptation déjà réalisés par l'employeur et, d'autre part, des moyens dont disposent l'entreprise et, le cas échéant, l'unité économique et sociale et le groupe (article L. 1233-57-3 du code du travail).

39. Il est reproché au plan de sauvegarde de l'emploi de ne rien prévoir pour les salariés de plus de 50 ans, nombreux à Chantilly, sur un bassin d'emploi peu dynamique, à l'exception d'un allongement de la durée de la cellule de reclassement à 18 mois. Il est également reproché à ce plan, dans l'hypothèse d'un reclassement interne, de ne garantir le maintien de la rémunération que pendant une durée limitée qui ne peut excéder 5 mois, de ne pas prévoir de reprise d'ancienneté. M. B... et autres font en outre valoir que la cellule de reclassement, confiée à un cabinet externe, ne prévoie aucun engagement en matière de propositions d'offres d'emploi, si ce n'est l'exclusion du salarié qui refuserait deux offres d'emploi. Enfin, ils se plaignent de ce que la durée du congé de reclassement est fixée à 12 mois avec une rémunération fixée au minimum légal et de ce que l'indemnité supplémentaire de rupture de contrat de travail est limitée à un mois pour tous les salariés.

40. En outre, les moyens alloués à la formation, qui prévoient l'allocation d'une somme de 5 000 euros pour les formations d'adaptation suivies par un salarié, d'une somme de 10 000 euros dans l'hypothèse d'une formation de conversion, et aucune allocation pour les bilans de compétence, alors même que les intéressés sont peu diplômés, seraient particulièrement insuffisants.

41. Enfin, les prises en charge des frais de déménagement, de réinstallation, de double résidence pendant 3 mois, et de voyage de reconnaissance de deux jours seraient également insuffisantes.

42. La société La Procure fait valoir, quant à elle, que le budget total alloué pour chaque salarié est de 63 284 euros, alors que le salaire moyen des salariés concernés est de 2 296,15 euros, ce qui correspond à 27,56 mois de salaire et à un tiers de la masse salariale sur la période envisagée, et que ce budget est conséquent, particulièrement si on le rapporte aux comptes du groupe Média Participations Paris qui font apparaître au 31 décembre 2014 une perte nette de 27,7 M. euros.

43. Il ressort de l'examen de l'ensemble des mesures mises en place dans le cadre du plan de sauvegarde pour l'emploi, lesquelles, contrairement à ce que soutiennent les intimés n'ont pas à être proportionnées aux moyens du groupe, sont, prises dans leur ensemble, adaptées aux objectifs poursuivis par le plan de sauvegarde de l'emploi, compte tenu notamment des moyens du groupe, au total un millions d'euros étant consacré au plan litigieux.

44. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le jugement du Tribunal administratif de Paris doit être annulé et la demande de M. B...et autres doit être rejetée.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

45. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes demandées par M. F...B..., M. H...C..., Mme G...J..., Mme A...J...et Mme E...I...au titre des frais exposés dans l'instance soient mises à la charge de la société La Procure, laquelle n'a pas la qualité de partie perdante à l'instance.

46. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la société La Procure présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1514508/3-2 du Tribunal administratif de Paris est annulé et la demande de M. F...B..., M. H...C..., Mme G... J..., Mme A... J... et Mme E... I...est rejetée

Article 2 : Les conclusions présentées par la société La Procure et M. F...B..., M. H... C..., Mme G... J..., Mme A...J...et Mme E...I...au titre de l'article L. 761-1 sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société La Procure, à M. F...B..., à M. H... C..., à Mme G... J..., à Mme A...J..., à Mme E...I...et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Luben, président assesseur,

- Mme Bernard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 14 avril 2016.

Le président rapporteur,

J. LAPOUZADELe président assesseur,

I. LUBEN

Le greffier,

Y. HERBER

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16PA00295


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 16PA00295
Date de la décision : 14/04/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07 Travail et emploi. Licenciements.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Jacques LAPOUZADE
Rapporteur public ?: M. SORIN
Avocat(s) : OTTAVIANI

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2016-04-14;16pa00295 ?
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