Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Air Liquide a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 739 414,85 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la suppression de la règle du décalage d'un mois en matière de taxe sur la valeur ajoutée.
Par un jugement n° 1318703 du 14 novembre 2014, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 14 janvier 2015, la société Air Liquide, représentée par Me A... et MeB..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1318703 du 14 novembre 2014 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité d'un montant de 1 739 414,85 euros, assortie des intérêts au taux légal, et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les modalités du remboursement et de la rémunération de la créance qu'elle détient sur le Trésor Public en raison de la suppression de la règle dite du décalage d'un mois en matière de
taxe sur la valeur ajoutée sont contraires aux stipulations des articles 13 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention dès lors que le mécanisme institué par l'article 2 de la loi de finances rectificative pour 1993 ne lui permet pas de couvrir le risque lié à la dépréciation de sa créance compte tenu du faible taux des intérêts alloués ;
- l'exception de prescription quadriennale ne peut lui être opposée par l'Etat sans que soient méconnues les stipulations des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention, et, en particulier, le principe de l'égalité des armes, ainsi que son droit au recours effectif consacré par les stipulations des articles 6 et 13 de la même convention ;
- elle demande que le montant de son indemnité soit fixé par application du taux effectif moyen annuel pratiqué par les banques aux entreprises pour les prêts supérieurs à deux ans ; à titre subsidiaire, elle demande l'application d'un taux de 4,5% fixé par arrêté du 15 avril 1994.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juin 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Air Liquide ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;
- le livre des procédures fiscales et le code général des impôts ;
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 93-859 du 22 juin 1993 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Coiffet,
- et les conclusions de M. Lemaire, rapporteur public.
1. Considérant que, par un courrier du 18 juin 2013 adressé au ministre de l'économie et des finances, la société Air Liquide a contesté les modalités de remboursement de la créance qu'elle détenait sur le Trésor, née de la suppression, par l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 portant loi de finances rectificative pour 1993, de la règle dite du " décalage d'un mois " en matière d'imputation de la taxe sur la valeur ajoutée, et sollicité le versement d'une somme de 1 739 414,85 euros au titre de l'indemnisation du préjudice qu'elle estimait avoir subi à raison du faible niveau des taux d'intérêts servis par l'Etat au titre de la rémunération de cette créance entre 1993 et 2002 ; que, par une décision du 30 octobre 2013, le ministre a rejeté cette demande au motif qu'elle était prescrite au regard de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ; que la société Air Liquide fait appel du jugement du 14 novembre 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 1 739 414,85 euros, assortie des intérêts au taux légal ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour règlementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1er de la loi susvisée du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) " ; que selon l'article 2 de cette loi : " La prescription est interrompue par : / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance. (...) " ; que l'article 3 de cette loi dispose : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, (...) ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. " ; qu'aux termes de l'article 7 : " L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond. (...) " ; que ces dispositions ont été édictées dans un but d'intérêt général, en vue notamment de garantir la sécurité juridique des collectivités publiques en fixant un terme aux actions dirigées contre elles ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux premiers juges que les indemnités demandées par la société Air Liquide ont pour origine le caractère insuffisant d'une rémunération, fixée par les arrêtés des 15 avril 1994, 17 août 1995 et 15 mars 1996 du ministre du budget, d'une créance sur le Trésor se substituant à un remboursement d'impôt ; que de telles indemnités ont la nature d'un bien au sens des stipulations ci-dessus mentionnées de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le seul fait que les prétentions d'une société au versement de telles indemnités puissent être soumises, en vertu des dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, à un délai de prescription de quatre ans, qui ne présente pas en tant que tel un caractère exagérément court, n'est pas en lui-même incompatible avec ces stipulations ;
5. Considérant, il est vrai, que l'Etat disposait, pour faire valoir une créance à l'égard d'un administré, de délais plus longs que ceux qui sont ouverts par la loi du 31 décembre 1968, qui pouvaient atteindre, pour certaines créances, dans l'état du droit en vigueur jusqu'à l'intervention de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, une durée de trente ans ; que, toutefois, dès lors que la créance dont le remboursement était en litige est née à raison de l'exercice de ses compétences fiscales par l'Etat, l'application d'un délai de prescription exorbitant du droit commun ne porte pas une atteinte excessive au droit de la société demanderesse au respect de ses biens et ne rompt pas le juste équilibre à ménager entre la protection de la propriété et les exigences de l'intérêt général ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions précitées des articles 1er, 2 et 3 de la loi du 31 décembre 1968 ont été, comme il a été dit ci-dessus, édictées dans un but d'intérêt général, en vue notamment de garantir la sécurité juridique des collectivités publiques en fixant un terme aux actions dirigées contre elles, sans préjudice des droits qu'il est loisible aux créanciers de faire valoir dans les conditions et les délais fixés par ces dispositions ; que, par suite, celles-ci ne peuvent être regardées comme portant atteinte au droit à un procès équitable, et notamment pas au principe de l'égalité des armes, énoncé par les stipulations du 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lequel n'est pas absolu et peut se prêter à des limitations, notamment en ce qui concerne les délais dans lesquels les actions peuvent être engagées ;
7. Considérant, en troisième lieu, qu'il est constant que la société requérante a eu connaissance des taux d'intérêt appliqués au remboursement de la créance qu'elle détenait sur le Trésor public au plus tard lors de la publication des arrêtés les fixant, en date respectivement des 15 avril 1994, 17 août 1995 et 15 mars 1996, et a ainsi été mise en mesure de les contester dès leur publication ; que, dès lors que le délai de quatre ans, à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis, institué à peine de prescription par les dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968, ne présente pas un caractère exagérément court, et n'a pas eu pour effet de priver la société de la possibilité de saisir un tribunal du litige l'opposant à l'Etat, le moyen tiré de ce que la société aurait été privée du droit à un recours effectif au sens de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne saurait être accueilli ;
8. Considérant, en quatrième lieu, que la société requérante fait valoir que la prescription quadriennale que l'administration lui a opposée est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et méconnaît l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ;
9. Considérant, toutefois, que, si ces stipulations, combinées avec les stipulations précitées de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention, peuvent être utilement invoquées pour soutenir que la loi fiscale serait à l'origine de discriminations injustifiées entre contribuables, elles sont en revanche sans portée dans les rapports institués entre la puissance publique et un contribuable à l'occasion de l'établissement et du recouvrement de l'impôt ; qu'il suit de là que la société Air liquide ne peut utilement soutenir que la prescription quadriennale qui a été opposée à la créance dont elle demandait le remboursement serait discriminatoire, dès lors que cette créance est née à raison de l'exercice par l'Etat de ses compétences fiscales ;
10. Considérant, en dernier lieu, qu'il résulte de l'instruction que la société Air Liquide a adressé sa demande tendant à la réparation du préjudice financier qu'elle invoque le 18 juin 2013 ; que la prescription était, dès lors, acquise au profit de l'Etat, pour les sommes réclamées par la redevable au titre des années 1993 à 2002 en litige ; que, par suite, c'est à bon droit que le Tribunal administratif de Paris a accueilli l'exception de prescription quadriennale opposée devant lui par le ministre des finances et des comptes publics à la demande de la société Air liquide ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Air Liquide n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, lequel est suffisamment motivé, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que, par suite, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Air Liquide est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Air Liquide et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 6 octobre 2016, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- Mme Coiffet, président assesseur,
- M. Platillero, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 20 octobre 2016.
Le rapporteur,
V. COIFFETLe président,
S.-L. FORMERYLe greffier,
S. JUSTINE
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA00291