Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A...C...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 27 mai 2015 par lequel le préfet de police a procédé au retrait de sa carte de séjour temporaire et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays à destination duquel elle sera éloignée.
Par un jugement n° 1511501 du 4 décembre 2015, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 12 mai 2016, MmeC..., représentée par
Me Belyaletdinova, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 27 mai 2015 ;
3°) d'enjoindre au préfet de police, dans un délai de quinze jours suivant la notification du présent arrêt et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " et, à défaut, dans un délai de trente jours suivant la notification du présent arrêt et sous la même astreinte, de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement attaqué ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article le 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme C...soutient que :
- l'arrêté contesté a méconnu l'article 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et est entaché d'une insuffisance de motivation ;
- la reconnaissance de paternité de sa fille faite par M.B..., de nationalité française, n'ayant pas été établie frauduleusement, c'est à tort que le préfet de police s'est fondé sur ce motif pour lui retirer la carte de séjour temporaire qui lui a été délivrée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté contesté a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que celles de l'article
3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français, d'une part, est illégale par voie de conséquence de l'illégalité entachant la décision lui retirant son titre de séjour et, d'autre part, méconnaît le 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 octobre 2016, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Le préfet de police soutient que les moyens soulevés par Mme C...ne sont pas fondés.
Mme C...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Paris du
18 mars 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Boissy,
- et les conclusions de M. Rousset, rapporteur public.
1. Considérant que Mme A...C..., de nationalité camerounaise, entrée en France au mois d'octobre 2011 selon ses déclarations a, sur le fondement des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, bénéficié d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " valable du
25 août 2014 au 24 août 2015 ; que, par arrêté du 27 mai 2015, le préfet de police a retiré ce titre de séjour et assorti ce retrait d'une obligation de quitter le territoire français en fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement ; que Mme C...relève appel du jugement du 4 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 27 mai 2015 ;
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 511-4 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français : (...) 6° L'étranger ne vivant pas en état de polygamie qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans " ;
3. Considérant que si un acte de droit privé opposable aux tiers est en principe opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient cependant à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé ; que ce principe peut conduire l'administration, qui doit exercer ses compétences sans pouvoir renvoyer une question préjudicielle à l'autorité judiciaire, à ne pas tenir compte, dans l'exercice de ces compétences, d'actes de droit privé opposables aux tiers ; que tel est le cas pour la mise en oeuvre des dispositions du 6° des articles L. 313-11 et L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui n'ont pas entendu écarter l'application des principes ci-dessus rappelés ; que, par conséquent, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de titre de séjour présentée sur le fondement du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française ou d'un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tant que la prescription prévue par les articles 321 et 335 du code civil n'est pas acquise, la délivrance de la carte de séjour temporaire sollicitée par la personne se présentant comme père ou mère d'un enfant français ; que, dans ce cas, le préfet peut également décider d'assortir ce refus de séjour d'une obligation de quitter le territoire français sans qu'y fassent alors obstacle les dispositions du 6° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
4. Considérant qu'à la suite de la naissance de sa fille, le 7 mars 2013,
Mme C...a bénéficié d'une carte de séjour temporaire sur le fondement des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 au motif que le père de l'enfant, M. B..., qui a reconnu l'enfant à naître le 26 septembre 2012, était de nationalité française ; que, par l'arrêté contesté, le préfet de police a retiré ce titre de séjour au motif qu'une fraude entachait cette reconnaissance de paternité ;
5. Considérant, il est vrai, qu'il ressort des pièces du dossier qu'entre 2008 et 2014, M. B... a reconnu sept enfants qui sont nés en France de six femmes, célibataires et de nationalité étrangère, et que ces dernières ont obtenu, ou étaient en voie d'obtenir, un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français ; que, toutefois, ces seuls éléments ne sont pas suffisants pour révéler que la déclaration de reconnaissance de paternité faite par l'intéressé pour l'enfant de Mme C...était, pour sa part, entachée de fraude ; qu'en l'espèce, le préfet de police n'apporte aucun élément, autre que ces reconnaissances multiples, pour établir que
M. B...n'est pas le père de la fille de MmeC... ; que, dans ces conditions, et compte tenu, par ailleurs, des différents documents produits par la requérante, qui ne sont pas sérieusement contestés, justifiant que M. B..., après la naissance de l'enfant, a continué, même de manière très ponctuelle et très irrégulière, à entretenir des liens avec la mère et l'enfant, le préfet de police n'a en l'espèce pas établi la fraude dont serait entaché le titre de séjour délivré à la requérante ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme C...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 27 mai 2015 contesté et à demander l'annulation de ce jugement et de cet arrêté ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ; qu'aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé " ; qu'aux termes de l'article L. 911-3 de ce code : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet " ;
8. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que MmeC..., à la date du présent arrêt, aurait présenté une nouvelle demande de titre de séjour ; que, dès lors, eu égard au seul motif retenu pour annuler l'arrêté du 27 mai 2015 contesté et compte tenu de ce que la validité du titre de séjour de l'intéressée a expiré le 24 août 2015, l'exécution du présent arrêt n'implique pas nécessairement la délivrance à Mme C...d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, d'une autorisation provisoire de séjour et n'implique pas davantage que le préfet de police procède, d'office, au réexamen de sa situation personnelle ; qu'il appartient seulement à la requérante, si elle s'y croit fondée, de présenter une nouvelle demande de titre de séjour ; que les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par la requérante doivent dès lors être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que Mme C...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que
Me Belyaletdinova, avocat de la requérante, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1511501 du tribunal administratif de Paris en date du 4 décembre 2015 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de police du 27 mai 2015 est annulé.
Article 3 : L'Etat versera à Me Belyaletdinova la somme de 1 000 euros, en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par Mme C...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 3 mars 2017 à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- Mme Mosser, président assesseur,
- M. Boissy, premier conseiller.
Lu en audience publique le 21 mars 2017.
Le rapporteur,
L. BOISSY
Le président,
M. HEERSLe greffier,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 16PA01608 2