Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B...A...a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 24 novembre 2016 par lequel le préfet du Val-de-Marne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans;
Par un jugement n° 1609736 du 25 janvier 2017, le magistrat désigné du Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 21 février 2017 et un mémoire complémentaire, enregistré le 17 mars 2017, M.A..., représenté par Me Apaydin, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement rendu par le Tribunal administratif de Melun en date du
25 janvier 2017 en toutes ses dispositions ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Val-de-Marne du 24 novembre 2016 par lequel le préfet lui a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé le pays de destination de la reconduite et a prononcé une interdiction du retour du territoire français pour une durée de trois ans ;
3°) d'enjoindre au préfet du Val-de-Marne de lui délivrer une carte de séjour ou, à défaut, de lui enjoindre de procéder au réexamen de sa situation administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est entachée d'incompétence ;
- elle est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne la décision lui refusant un délai de départ volontaire :
- elle est entachée d'incompétence ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 511-1. II-1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est illégale par voie d'exception d'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est entachée d'incompétence ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est illégale par voie d'exception d'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français ;
En ce qui concerne la décision d'interdiction de retour :
- elle est entachée d'incompétence ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle est illégale par voie d'exception d'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français ;
La requête a été communiquée au préfet du Val-de-Marne, qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Heers, président-rapporteur,
- et les observations de Me Apaydin, avocat de M.A....
1. Considérant que, par un arrêté du 24 novembre 2016, le préfet du Val-de-Marne a fait obligation à M.A..., né le 17 mars 1991, de nationalité turque, entré sur le territoire français le 25 novembre 2013 selon ses déclarations, de quitter sans délai le territoire français, lui a interdit d'y revenir pour une durée de trois ans et a fixé le pays de destination; que M. A... relève appel du jugement du 25 janvier 2017 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions ;
Sur les moyens communs aux décisions contestées :
2. Considérant que l'arrêté attaqué a été pris sur le fondement d'une délégation de signature consentie par le préfet du Val-de-Marne, par un arrêté n° 2016/3464 du
9 novembre 2016 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, à M. D...C..., directeur de l'immigration et de l'intégration de la préfecture du Val-de-Marne lui donnant compétence pour signer, notamment, une décision d'obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et interdisant un retour sur le territoire français pour une durée de trois ans ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté du 24 novembre 2016 aurait été pris par une autorité incompétente, dès lors qu'il l'a été en vertu d'une délégation antérieure à l'entrée en vigueur des dispositions de la loi du 16 juin 2011, doit être écarté ;
3. Considérant que l'arrêté attaqué comporte les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement tant de l'obligation faite à M. A...de quitter sans délai le territoire que l'interdiction d'y revenir pendant une durée de trois ans ; que, par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de ces décisions doit être écarté ;
Sur les autres moyens dirigés contre la décision portant obligation de quitter le territoire français :
4. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants " ;
5. Considérant que le requérant soutient qu'il risque d'être exposé à des peines ou à des traitements inhumains ou dégradants en Turquie en raison de ses origines kurdes et du fait qu'il a milité dans le cadre d'une association soutenant les objecteurs de conscience, et en raison du fait qu'il aurait fui pour éviter d'être incorporé à une unité de commandos dans le cadre de son service militaire ; que toutefois, un tel moyen est inopérant à l'encontre de l'obligation faite au requérant de quitter sans délai le territoire français qui n'implique pas nécessairement le retour en Turquie ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2°) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ; qu'aux termes du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit :/ (...) 7° A l'étranger (...) dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) " ;
7. Considérant que le requérant soutient qu'il est entré en France le
25 septembre 2013, qu'il a deux oncles en France, qu'il dispose de garanties de représentations suffisantes, qu'il a un logement fixe chez son oncle et qu'il présente de très bonnes qualités d'intégration; que toutefois, les pièces versées au dossier ne permettent pas d'établir une réelle intégration ; que, par ailleurs, M. A...est célibataire, sans charge de famille en France ; qu'il ne soutient pas être dépourvu d'attaches dans son pays d'origine ; qu'il est entré en France de manière irrégulière et qu'il a vécu jusqu'à l'âge de vingt-trois ans dans son pays d'origine ; qu'ainsi, la décision attaquée portant obligation de quitter le territoire français n'a pas porté au droit de M. A...au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; que par suite, le préfet du Val-de-Marne n'a pas méconnu les dispositions précitées du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7 [...] " ;
9. Considérant que M. A...n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée aurait méconnu les dispositions de l'article L. 313-14 précité dès lors que les circonstances évoquées au point 8 ne peuvent être regardées comme des considérations humanitaires ou motifs exceptionnels au sens de ces dispositions ;
Sur les autres moyens dirigés contre le refus d'un délai de départ volontaire :
10. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose notamment que : " Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification et peut solliciter, à cet effet, un dispositif d'aide au retour dans son pays d'origine. Eu égard à la situation personnelle de l'étranger, l'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours. / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / (...) / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : /; (...) / f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, ou qu'il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues par les articles L. 513-4, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2. (...) " ;
11. Considérant que la décision attaquée se fonde sur l'absence de garanties de représentation suffisantes en l'absence de documents d'identité ou de voyage en cours de validité ; que M. A...se limite à produire une attestation d'hébergement de son oncle non datée pour soutenir qu'il dispose de garanties de représentation sans contester qu'il ne possède pas de documents d'identité ou de voyage en cours de validité ; que M. A...se trouvait donc dans la situation où, en application du 3° f) du II de l'article L. 511-1 précité, le préfet du Val-de-Marne pouvait légalement décider de ne pas lui octroyer de délai de départ volontaire ;
12. Considérant qu'il résulte des motifs qui précèdent que M. A...n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions à l'encontre de la décision lui refusant un délai de départ volontaire ;
Sur les autres moyens dirigés contre la décision désignant le pays de désignation :
13. Considérant qu'aux termes de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile: " Par dérogation aux articles L. 213-2 et L. 213-3, L. 511-1 à L. 511-3, L. 512-2 à L. 512-5, L. 513-1 et L. 513-3, l'étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 212-1, L. 212-2, L. 311-1 et L. 311-2 peut être remis aux autorités compétentes de l'Etat membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les Etats membres de l'Union européenne " ; que toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant ait été admis à entrer ou séjourner sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne ou qu'il provient directement d'un de ces Etats ; que dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions précitées doit être écarté ;
14. Considérant qu'il résulte des motifs qui précèdent que M. A...n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions à l'encontre de la décision susvisée ;
Sur les autres moyens dirigés contre l'interdiction de retour sur le territoire français :
15. Considérant qu'aux termes du premier et du deuxième alinéa du III du l'article
L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de sa notification, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger ou lorsque l'étranger n'a pas satisfait à cette obligation dans le délai imparti. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. " ; qu'aux termes du huitième alinéa du même article : " La durée de l'interdiction de retour mentionnée au premier alinéa du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. " ;
16. Considérant que si l'arrêté mentionne que M. A...est entré irrégulièrement en France en 2013, ne peut justifier de la possession de documents de voyage en cours de validité et/ou n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, de sorte qu'il ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, et qu'il ne fait pas état de circonstances humanitaires faisant obstacle au prononcé d'une interdiction de retour, ces considérations ne sont pas de nature à justifier que cette interdiction soit prononcée pour la durée maximale de trois ans, alors que l'intéressé n'a jamais fait l'objet d'une mesure d'éloignement et qu'il ne constitue pas une menace pour l'ordre public ; qu'en l'absence de toute autre considération invoquée par le préfet devant le tribunal et la cour, il doit être regardé comme ayant entaché sa décision d'une erreur d'appréciation ;
17. Considérant qu'il résulte tout de ce qui précède que M. A...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français contenue dans l'arrêté préfectoral litigieux ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
18. Considérant que si le requérant demande qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer une carte de séjour ou à défaut de réexaminer sa situation, l'annulation par le présent arrêt de la seule interdiction de retour sur le territoire français contenue dans l'arrêté contesté n'implique aucune de ces mesures ; que, dans ces conditions, les conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant ne peuvent qu'être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 2 de l'arrêté du préfet du Val-de-Marne du 24 novembre 2016 prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Melun du 25 janvier 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera délivrée au préfet du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 19 mai 2017, à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- Mme Mosser, président assesseur,
- M. Boissy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 juin 2017.
Le président-rapporteur,
M. HEERS L'assesseur le plus ancien,
G. MOSSER Le greffier,
F. DUBUY
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 17PA00689