Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser une somme de 36 512,50 euros en réparation des préjudices causés par l'arrêté du préfet de police du 13 septembre 2011 lui refusant un titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français et la décision du 1er décembre 2011 de retenir son passeport.
Par un jugement n° 1509876/7-3 du 9 juin 2016, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 500 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité de la décision du 1er décembre 2011 et une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 29 août 2016, Mme C..., représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1509876/7-3 du 9 juin 2016 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il rejette le surplus de sa demande ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 36 512,50 euros en réparation des préjudices causés par l'arrêté du préfet de police du 13 septembre 2011 et la décision du 1er décembre 2011 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre de ses frais de première instance et d'appel.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont fait une estimation insuffisante des préjudices engendrés par la rétention illégale de son passeport ;
- la décision de lui refuser un titre de séjour et de travail était illégale car elle n'avait pas à faire viser son contrat de travail dans les conditions prévues à l'article L. 313-10 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et ce n'était pas à son employeur mais au préfet de police de saisir la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ;
- son préjudice comprend la perte de chance d'exercer une activité professionnelle rémunérée et le préjudice de carrière, les troubles dans ses conditions d'existence causés par l'absence de ressources, ainsi qu'un préjudice moral.
Par un mémoire en défense et appel incident enregistré le 25 avril 2017, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1509876/7-3 du 9 juin 2016 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il le condamne à verser une indemnité à Mme C... ;
2°) de rejeter les demandes de première instance et d'appel de Mme C....
Il soutient que :
- la rétention du passeport n'était pas illégale mais conforme aux dispositions de l'article L. 611-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 13 septembre 2011 était légal ;
- les préjudices invoqués ne sont pas justifiés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., avocat de Mme C....
1. Considérant que Mme C..., ressortissante marocaine entrée en France en septembre 2004 à l'âge de 18 ans pour y poursuivre des études et munie à ce titre de cartes de séjour temporaires mention " étudiant ", s'est vu délivrer, après l'obtention d'un master 2 en économie et gestion à finalité professionnelle, une autorisation provisoire de séjour " étudiant en recherche d'emploi " valable du 26 janvier 2011 au 25 juillet 2011 ; qu'après avoir signé, le 17 juin 2011, un contrat de travail pour un poste d'ingénieur des technologies de l'information, elle a sollicité la délivrance d'une carte de séjour " salarié " ; que par un arrêté du 13 septembre 2011, le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours ; que, convoquée à la préfecture le 1er décembre 2011 pour un réexamen de sa situation, Mme C... a vu son passeport retenu en échange d'un récépissé valant justification de son identité ; que, le 5 janvier 2012, le préfet de police a abrogé l'arrêté du 13 septembre 2011 ; qu'il a, le 9 janvier 2012, délivré à Mme C... une autorisation provisoire de séjour et lui a restitué son passeport, puis lui a délivré une carte de séjour " salarié ", renouvelée jusqu'à ce que Mme C... acquière la nationalité française ;
2. Considérant que Mme C..., qui a saisi le 13 juin 2013 le préfet de police d'une demande d'indemnisation fondée sur l'illégalité de l'arrêté du 13 septembre 2011 et de la décision du 1er décembre 2011, relève régulièrement appel du jugement du 9 juin 2016 en tant que le tribunal administratif de Paris a limité à 500 euros l'indemnité qu'il a condamné l'Etat à lui verser ; que le préfet de police demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement et le rejet de l'ensemble des demandes de Mme C... ;
Sur la responsabilité de l'Etat du fait de l'arrêté portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français du 13 septembre 2011 :
3. Considérant que pour refuser le 13 septembre 2011 à Mme C... la délivrance d'un titre de séjour " salarié " au titre du 1° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'obliger à quitter la France dans un délai de trente jours, le préfet de police s'est fondé, d'une part, sur la circonstance qu'elle avait produit son contrat de travail le 28 juillet 2011, postérieurement à l'expiration le 25 juillet 2011 de l'autorisation provisoire de séjour et de travail qui lui avait été délivrée sur le fondement de l'article L. 311-11 du même code, d'autre part sur la circonstance que cette demande était formulée, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 311-35 du même code, plus de quinze jours après la signature du contrat de travail ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 311-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Une autorisation provisoire de séjour d'une durée de validité de six mois non renouvelable est délivrée à l'étranger qui, ayant achevé avec succès, dans un établissement d'enseignement supérieur habilité au plan national, un cycle de formation conduisant à un diplôme au moins équivalent au master, souhaite, dans la perspective de son retour dans son pays d'origine, compléter sa formation par une première expérience professionnelle participant directement ou indirectement au développement économique de la France et du pays dont il a la nationalité. Pendant la durée de cette autorisation, son titulaire est autorisé à chercher et, le cas échéant, à exercer un emploi en relation avec sa formation et assorti d'une rémunération supérieure à un seuil déterminé par décret. A l'issue de cette période de six mois, l'intéressé pourvu d'un emploi ou titulaire d'une promesse d'embauche, satisfaisant aux conditions énoncées ci-dessus, est autorisé à séjourner en France pour l'exercice de l'activité professionnelle correspondant à l'emploi considéré au titre des dispositions du 1° de l'article L. 313-10 du présent code, sans que lui soit opposable la situation de l'emploi sur le fondement de l'article L. 341-2 du code du travail (...) ; que le dernier alinéa de l'article R. 311-35 du même code dispose : " L'étranger qui occupe l'emploi mentionné à l'article L. 311-11 sollicite la délivrance de la carte de séjour mention "salarié" au plus tard quinze jours après la conclusion de son contrat de travail " ;
5. Considérant, d'une part, qu'il résulte de ces dispositions que le titulaire d'une autorisation provisoire de séjour délivrée sur le fondement de l'article L. 311-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile peut, sous couvert de ce titre, rechercher un emploi répondant à certaines conditions et commencer à l'exercer ; qu'il ne peut toutefois, au terme de la validité de son autorisation provisoire de séjour, poursuivre l'exercice de cette activité salariée que sous le couvert du titre de séjour mentionné au 1° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que l'octroi de ce titre de séjour " salarié ", qui doit être sollicité dans les quinze jours suivant la conclusion de son contrat de travail et avant l'expiration de l'autorisation provisoire de séjour comme le prévoit le 4° de l'article R. 311-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est subordonné, en vertu des articles R. 313-15 du même code et R. 5221-11 du code du travail, à la délivrance, sur demande de l'employeur, d'une autorisation de travail par l'autorité administrative ; que cette dernière ne peut cependant, dans une telle circonstance, fonder sa décision sur la situation de l'emploi dans la profession et la zone géographique considérée ; qu'ainsi Mme C... n'est pas fondée à soutenir que le préfet de police aurait commis une erreur de droit en estimant que la délivrance du titre de séjour " salarié " qu'elle sollicitait était subordonnée à l'approbation de son contrat de travail par les services chargés de l'emploi compétents ;
6. Considérant, d'autre part, que si Mme C... soutient qu'elle n'a pas déposé tardivement sa demande car elle s'est présentée à la préfecture de police dès le 21 juin 2011, quatre jours après la signature, le 17 juin 2011, d'un contrat de travail avec la société Logica, elle n'apporte aucun élément à l'appui de cette affirmation ; qu'il ressort au contraire des pièces du dossier, d'une part, que ce n'est que le 26 juillet 2011 que la société Logica a signé la demande d'autorisation de travail qu'il lui appartenait d'établir et qui était nécessaire au dépôt d'une demande de titre de séjour " salarié " et, d'autre part, que Mme C... a, le 27 juillet 2011, adressé au préfet de police une lettre, reçue le 28 juillet, dans laquelle elle expose que ce retard de l'entreprise l'a empêchée de formuler sa demande de changement de statut à temps ;
7. Considérant, enfin, que, comme dit au point 5, le préfet de police, compétent pour instruire la demande de changement de statut présentée par Mme C... pouvait légalement la rejeter au motif qu'elle était présentée après l'expiration des délais fixés réglementairement, sans être tenu de transmettre préalablement pour avis aux services chargés de l'emploi la demande d'autorisation de travail présentée par son employeur ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté préfectoral du 13 septembre 2011 est entaché d'une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
Sur la responsabilité de l'Etat du fait de la décision du 1er décembre 2011 de retenir le passeport de Mme C... :
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 611-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente, les services de police et les unités de gendarmerie sont habilités à retenir le passeport ou le document de voyage des personnes de nationalité étrangère en situation irrégulière. Ils leur remettent en échange un récépissé valant justification de leur identité et sur lequel sont mentionnées la date de retenue et les modalités de restitution du document retenu " ;
10. Considérant que par sa décision n° 97-389 DC du 22 avril 1997, le Conseil constitutionnel a admis la conformité à la Constitution de cette disposition législative sous réserve que ce texte ait " pour but de garantir que l'étranger en situation irrégulière sera en possession du document permettant d'assurer son départ effectif du territoire national ", si bien que la retenue du passeport " ne doit être opérée que pour une durée strictement proportionnée aux besoins de l'autorité administrative, sous le contrôle du juge administratif " ; que cette réserve d'interprétation s'impose à l'administration comme au juge pour l'application de la loi ;
11. Considérant que Mme C..., qui était en situation irrégulière depuis le 26 juillet 2011 et faisait l'objet, depuis le 13 septembre 2011, d'une obligation de quitter le territoire français assortie d'un délai de départ volontaire de trente jours, a été convoquée à la préfecture de police le 1er décembre 2011 en vue d'y déposer une demande d'admission exceptionnelle au séjour ; que si elle a pu effectivement déposer un dossier en vue du réexamen de sa situation, le préfet de police a procédé à la rétention de son passeport contre récépissé en application des dispositions de l'article L. 611-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et lui a été délivré une convocation pour le 9 janvier 2012 " en vue de l'exécution de la mesure d'obligation de quitter le territoire français " ;
12. Considérant qu'il résulte de ces circonstances que si le préfet de police avait décidé, dans le cadre du pouvoir de régularisation qu'il tient notamment de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de procéder à un réexamen de la situation administrative de Mme C..., examen qui a effectivement conduit le 5 janvier 2012 à l'abrogation de l'arrêté du 13 septembre 2011 et, postérieurement, à la délivrance d'un titre de séjour, il n'avait pas renoncé, le 1er décembre 2011, à faire exécuter sa décision de l'obliger à quitter le territoire français prise deux mois auparavant, dans le cas où le réexamen de situation ne l'amènerait pas à abroger cette décision ; que la rétention du passeport n'était, dès l'origine, prévue que jusqu'au 9 janvier 2012, puisque Mme C... était convoquée à cette date pour l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ; qu'ainsi il ne ressort pas des circonstances de l'espèce que le préfet aurait, en retenant ce passeport le 1er décembre 2011 pour une durée de six semaines en vue de l'exécution effective d'une obligation de quitter le territoire français, méconnu les dispositions de l'article L. 611-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :
13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la décision du 1er décembre 2011, qui n'est pas fautive, n'est pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de Mme C... tendant à ce que l'indemnité accordée par les premiers juges soit portée à 36 512,50 euros doivent être rejetées ; qu'en revanche, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris l'a condamné à verser une indemnité à Mme C... en réparation des préjudices que lui aurait causés la décision du 1er décembre 2011 et à demander l'annulation du jugement et le rejet de la demande de première instance ;
Sur les frais de procédure :
15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas partie perdante, soit condamné à verser à Mme C... les sommes qu'elle demande, tant en appel qu'en première instance, au titre des frais de procédure qu'elle a exposés ; que les conclusions en ce sens de la requête d'appel doivent être rejetées ; qu'en revanche le préfet de police est fondé à demander l'annulation du jugement en tant qu'il met à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 9 juin 2016 est annulé.
Article 2 : La demande de Mme C... devant le tribunal administratif de Paris et sa requête d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 30 novembre 2017, à laquelle siégeaient :
- Mme E..., présidente de chambre,
- M. Legeai, premier conseiller,
- Mme Nguyên Duy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 14 décembre 2017.
L'assesseur le plus ancien,
A. LEGEAILa présidente de chambre,
rapporteur,
S. E... Le greffier,
M. A...La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 16PA02824