Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée E.K. Paris a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la restitution, au titre des années 2012, 2013 et 2014, d'une somme de 178 298 euros au titre du crédit d'impôt recherche.
Par un jugement n° 1520451 du 23 mai 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés respectivement le 21 juillet 2017 et le 1er juin 2018, la société E.K. Paris, représentée par Me A..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la restitution d'une somme de 178 298 euros au titre du crédit d'impôt recherche dont elle s'estime titulaire pour les années 2012 à 2014 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué a été rendu à l'issue d'une procédure irrégulière pour méconnaissance des dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative faute de communication, dans un délai raisonnable, du sens des conclusions du rapporteur public ;
- c'est à tort que l'administration a refusé de faire droit à sa demande de remboursement d'un crédit d'impôt recherche au titre des années 2012 à 2014 dès lors qu'elle participe au processus de production eu égard aux matières premières qu'elle détient, aux produits semi-finis qu'elle produit et aux risques qu'elle assume entièrement, toutes caractéristiques qui en font une entreprise industrielle au sens de l'article 244 quater B du code général des impôts et conformément à la doctrine exprimée par l'instruction fiscale
A-1-01 du 6 février 2001 concernant le secteur textile-habillement-cuir.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2017, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun moyen d'appel n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la décision QPC n° 2016-609 du 27 janvier 2017 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Auvray,
- et les conclusions de Mme Mielnik-Meddah, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
Sur la régularité du jugement attaqué :
1. Selon l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire ". L'article L. 7 de ce code dispose que : " Un membre de la juridiction, chargé des fonctions de rapporteur public, expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent ". Enfin, le premier alinéa de l'article R. 711-3 du même code prévoit que : " si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ".
2. Le principe du caractère contradictoire de l'instruction, rappelé à l'article L. 5 du code de justice administrative, qui tend à assurer l'égalité des parties devant le juge, implique la communication à chacune des parties de l'ensemble des pièces du dossier, ainsi que, le cas échéant, des moyens relevés d'office ; ces règles sont applicables à l'ensemble de la procédure d'instruction à laquelle il est procédé sous la direction de la juridiction.
3. Le rapporteur public, qui a pour mission d'exposer les questions que présente à juger le recours sur lequel il conclut et de faire connaître, en toute indépendance, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l'espèce et les règles de droit applicables ainsi que son opinion sur les solutions qu'appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction à laquelle il appartient, prononce ses conclusions après la clôture de l'instruction à laquelle il a été procédé contradictoirement. L'exercice de cette fonction n'est pas soumis au principe du caractère contradictoire de la procédure applicable à l'instruction. Il suit de là que, pas plus que la note du rapporteur ou le projet de décision, les conclusions du rapporteur public - qui peuvent d'ailleurs ne pas être écrites - n'ont à faire l'objet d'une communication préalable aux parties. Celles-ci ont en revanche la possibilité, après leur prononcé lors de la séance publique, de présenter des observations, soit oralement à l'audience, soit au travers d'une note en délibéré ; ainsi, les conclusions du rapporteur public permettent aux parties de percevoir les éléments décisifs du dossier, de connaître la lecture qu'en fait la juridiction et de saisir la réflexion de celle-ci durant son élaboration tout en disposant de l'opportunité d'y réagir avant que la juridiction n'ait statué. S'étant publiquement prononcé sur l'affaire, le rapporteur public ne peut prendre part au délibéré ; ainsi, en vertu de l'article R. 732-2 du code de justice administrative, il n'assiste pas au délibéré devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel.
4. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions citées au point 3 de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.
5. Par ailleurs, pour l'application de l'article R. 711-3 du code de justice administrative et eu égard aux objectifs, mentionnés au point précédent, de cet article, il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, et notamment d'indiquer, lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et, de mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir. La communication de ces informations n'est toutefois pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision.
6. La société E.K. Paris soutient que le jugement attaqué a été rendu à l'issue d'une procédure irrégulière au motif que le sens des conclusions du rapporteur public ne lui a pas été communiqué dans un délai raisonnable et qu'en outre, il ne reprend pas l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public a proposé lors de l'audience publique.
7. Il ressort du dossier de première instance que le sens des conclusions du rapporteur public a été mis en ligne le 7 mai 2017 à 12h00 pour une audience prévue le 9 mai à 10h15. Si la mise à disposition du sens des conclusions près de 48 heures avant l'audience est en principe de nature à satisfaire aux exigences résultant de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, tel n'est pas le cas lorsque le jour de la mise en ligne est un dimanche et le lendemain, comme en l'espèce, un jour férié. La société E.K. Paris est dès lors fondée à soutenir que le jugement attaqué a été rendu en méconnaissance des dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative. Par suite, le jugement entrepris doit être annulé.
8. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société E.K. Paris devant le tribunal administratif.
9. La société E.K. Paris a souscrit des déclarations spéciales mentionnant des sommes de 75 072 euros, 48 575 euros et 54 651 euros respectivement pour les années 2012, 2013 et 2014, au titre du crédit d'impôt recherche dont elle s'estimait titulaire pour ses dépenses concernant ceux de ses travaux qui relevaient du secteur textile-habillement-cuir et dont, en vertu du II de l'article 199 ter B du code général des impôts, elle sollicitait le remboursement immédiat en sa qualité de PME au sens du droit de l'Union. L'administration fiscale a rejeté les demandes de l'intéressée par décision du 26 juin 2015.
Sur le bien-fondé du refus de remboursement du crédit d'impôt recherche sollicite :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
10. En vertu du II de l'article 244 quater B du code général des impôts : " Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : (...) / h) Les dépenses liées à l'élaboration de nouvelles collections exposées par les entreprises industrielles du secteur textile-habillement-cuir (...) ; / i) Les dépenses liées à l'élaboration de nouvelles collections confiée par les entreprises industrielles du secteur textile-habillement-cuir à des stylistes ou bureau de style agréés selon des modalités définies par décret (...) ". Il résulte de ces dispositions que le bénéfice du crédit d'impôt recherche est ouvert, sur le fondement du h) ou du i) du II de l'article 244 quater B du code général des impôts, aux entreprises du secteur textile-habillement-cuir qui exercent une activité industrielle. Ont un caractère industriel, au sens de ces dispositions, les entreprises exerçant une activité qui concourt directement à la fabrication ou à la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en oeuvre est prépondérant.
11. La société E.K. Paris soutient que les dépenses qu'elle a exposées au titre de ses nouvelles collections de cuir et textile sont éligibles au crédit d'impôt recherche dès lors que si elle recourt à des sous-traitants, elle conserve son droit total de fabrication des articles de mode en cuir, en assure le coût de production par le biais d'achats de matières premières et en assume les risques liés à la fabrication, de sorte qu'elle doit être regardée comme une entreprise industrielle au sens des dispositions citées au point précédent alors même qu'elle ne dispose pas en propre de matériels ou d'outillages, dès lors qu'elle a la maîtrise du processus de production.
12. Outre qu'il est constant que la société E.K. Paris recourt à un réseau de
sous-traitants, il résulte de l'instruction que les déclarations de résultat souscrites par l'intéressée au titre des exercices en cause font état d'installations techniques, de matériels et d'outillages industriels pour un montant de 548 euros, d'une absence de stock de matières premières et d'achats de matières premières pour des montants de 20 519 euros, 34 479 euros et 7 388 euros respectivement au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014, alors que son chiffre d'affaires résultant des ventes de marchandises s'élève respectivement à 1 289 047 euros, 1 390 811 euros et à 996 991 euros. Si, pour relativiser ces données, la société E.K. Paris soutient que l'activité relative à la fabrication d'articles de mode, seule concernée par sa demande de crédit d'impôt recherche, ne représenterait que 5 % de son chiffre d'affaires total, il résulte pourtant de l'instruction que l'intéressée revendique l'éligibilité au crédit d'impôt recherche à raison de frais de collection s'élevant à 187 680 euros, 161 916 euros et 182 170 euros respectivement au titre des années 2012, 2013 et 2014. Dans ces conditions, la société requérante ne peut être regardée comme exerçant une activité industrielle au sens du h) ou du i) du II de l'article 244 quater B du code général des impôts. C'est donc à juste titre que, par sa décision du 26 juin 2015, l'administration fiscale a estimé que la requérante ne pouvait pas prétendre au bénéfice du crédit d'impôt recherche qu'elle revendiquait au titre des années 2012 à 2014.
En ce qui concerne le bénéfice de la doctrine administrative :
13. Aux termes du second alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou ses circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente (...) ".
14. La décision par laquelle l'administration fiscale rejette tout ou partie d'une réclamation tendant au remboursement d'un crédit d'impôt recherche n'a pas le caractère d'une procédure de reprise ou de rectification et ne constitue pas un rehaussement. Par suite, la société E.K. Paris n'est, en tout état de cause, pas fondée à revendiquer, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 80 A, le bénéfice de la doctrine administrative exprimée par l'instruction du 6 février 2001, référencée A-1-01, dont le paragraphe 30 précise que : " En revanche, les entreprises industrielles qui sous-traitent leur fabrication à des tiers peuvent bénéficier du crédit d'impôt. Le bénéfice du dispositif ne peut donc être refusé aux entreprises ayant recours à la sous-traitance dès lors qu'elles sont propriétaires de la matière première et qu'elles assurent tous les risques de la fabrication et de la commercialisation (...) ". Au surplus, il ne résulte pas de l'instruction que la société E.K. Paris serait propriétaire de la matière première nécessaire à la fabrication des articles de mode qu'elle commercialise.
15. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la société E.K. Paris tendant à ce que la Cour ordonne le remboursement du crédit d'impôt recherche qu'elle a sollicité, d'un montant global de 178 298 euros, de même que ses conclusions tenant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1520451 du 23 mai 2017 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société E.K. Paris devant le tribunal administratif ainsi que ses conclusions d'appel tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée E.K. Paris et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris (pôle fiscal parisien 1).
Délibéré après l'audience du 8 juin 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- M. Auvray, président-assesseur,
- M. Boissy, premier conseiller,
Lu en audience publique le 22 juin 2018.
Le rapporteur,
B. AUVRAYLe président,
M. HEERSLe greffier,
F. DUBUY
La République mande et ordonne au ministre l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA02553