Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D...B...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 7 juin 2016 du directeur du centre hospitalier national d'ophtalmologie des Quinze-Vingts (CHNO) la suspendant de ses fonctions de pharmacien hospitalier.
Par un jugement n° 1611030/2-2 du 19 avril 2017, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 7 juin 2016 et mis la somme de 1 500 euros à la charge du CHNO au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 24 mai et 19 décembre 2017, 7 mai 2018, le CHNO, représenté par la SCP d'avocats Sur-Mauvenu et associés, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1611030/2-2 du 19 avril 2017 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B...devant le Tribunal administratif de Paris ;
3°) de mettre à la charge de Mme B...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité en raison de son insuffisance de motivation, l'ensemble des motifs justifiant la suspension de Mme B...n'ayant pas été examiné par les premiers juges et ces derniers ayant dénaturé le motif de cette décision lié au retrait de Mme C...et de M. A...;
- compte tenu de ce que le retour de Mme B...fait naître un risque grave de paralysie du fonctionnement de l'établissement, en provoquant le retrait de son chef de service et d'un cadre de santé, ainsi que des mouvements d'opposition de l'ensemble des représentants de la communauté médicale au directoire, la suspension de l'intéressée en urgence est justifiée pour assurer la sécurité des malades et la continuité du service, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal administratif ;
- la directrice générale du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la FPH, tirant les conséquences d'un rapport de deux pharmaciens inspecteurs de l'agence régionale de santé, a prononcé la suspension de Mme B...dans l'intérêt du service, par un arrêté du 30 octobre 2017, ce qui confirme la réalité des faits à l'origine de l'arrêté annulé ;
- les autres moyens invoqués en première instance par Mme B...n'étaient pas de nature à justifier l'annulation de la décision attaquée.
- si la Cour considère que les motifs invoqués dans la décision annulée par les premiers juges ne suffisaient pas à la justifier, le comportement d'ensemble de Mme B...entre 2009 et 2014, caractérisé par de multiples carences professionnelles portant atteinte à la continuité du service, était de nature à justifier sa suspension.
Par des mémoires en défense, enregistré les 28 février et 24 juin 2018, MmeB..., représentée par la SCP d'avocats Sebag-Laurie-Paternot, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge du CHNO au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens invoqués par l'appelant ne sont pas fondés.
Un mémoire a été produit le 27 juin 2018 pour le CHNO, après la date de la clôture d'instruction résultant de l'application des dispositions de l'article R. 631-2 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jardin,
- les conclusions de M. Platillero, rapporteur public,
- et les observations de Me Carrière, avocat du CHNO et de Me Laurie, avocat de MmeB....
1. Considérant que le directeur d'un centre hospitalier qui, aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut légalement, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients, décider de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier au sein du centre, sous le contrôle du juge et à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné ;
2. Considérant que MmeB..., praticien hospitalier en pharmacie au sein du centre hospitalier national d'ophtalmologie des Quinze-Vingts (CHNO), a eu le 4 février 2014 un accès de colère au cours duquel, en présence de M.A..., cadre de santé, elle a proféré des menaces de mort à l'encontre de son supérieur hiérarchique, MmeC..., et donné des coups de pied dans une armoire métallique ; qu'à la suite de cet incident, le directeur du centre hospitalier a suspendu Mme B...de ses fonctions par une décision du 10 février 2014 que la Cour a annulée par un arrêt n° 15PA00009 du 29 mars 2016, devenu définitif après le rejet par le Conseil d'Etat statuant au contentieux du pourvoi en cassation introduit par le CHNO, au motif que cette mesure de suspension n'était pas justifiée ; qu'informés par le directeur du centre hospitalier du retour prochain de Mme B...dans l'établissement, les représentants du corps médical au sein du directoire du CHNO, par une motion du 10 mai 2016, se sont déclarés " unanimement opposés " à ce retour ; que M.A..., le 31 mai 2016, et MmeC..., le 2 juin 2016, ont fait savoir au directeur qu'ils exerceraient leur droit de retrait dès que Mme B...reprendrait ses fonctions ; que le directeur du centre hospitalier, au motif que le retrait de ces deux agents mettrait en péril le fonctionnement du service de la pharmacie et, par voie de conséquence, la sécurité des patients et que les chefs de service avaient exprimé leur refus de collaborer avec MmeB..., " compte tenu des manquements répétés dont elle est l'auteur et du risque permanent que sa présence constitue pour les patients ", a prononcé de nouveau la suspension de l'intéressée par une décision du 7 juin 2016 ;
3. Considérant que le directeur du centre hospitalier, après l'annulation de la première mesure de suspension injustifiée qu'il avait prise, était tenu de réintégrer Mme B...dans ses fonctions ; que MmeB..., irrégulièrement évincée de ses fonctions depuis plus de deux ans à la date de la seconde suspension prononcée par le directeur du centre hospitalier, ne peut être présumée mettre en péril la sécurité des patients et la continuité du service avant même d'avoir repris ses fonctions ; qu'il appartenait au directeur du centre hospitalier d'informer les agents ayant annoncé qu'ils exerceraient le droit de retrait que seul un motif raisonnable de penser qu'une situation de travail présente un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé justifie l'exercice de ce droit et que cette condition n'était pas remplie en l'espèce du seul fait que Mme B...allait reprendre ses fonctions, plus de deux ans après l'incident survenu le 4 février 2014 ; que la circonstance que la directrice générale du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière, par un arrêté du 30 octobre 2017, a suspendu Mme B...de ses fonctions jusqu'à la fin de la procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle engagée à son encontre, sur le fondement de l'article R. 6152-81 du code de la santé publique, ne peut être invoquée pour justifier l'usage fait en l'espèce par le directeur du centre hospitalier de ses pouvoirs de suspendre un praticien hospitalier dans des circonstances exceptionnelles, celles-ci faisant défaut ; que c'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont décidé que les motifs mentionnés dans la décision du 7 juin 2016 n'étaient pas de nature à la justifier légalement, eu égard aux pouvoirs que le directeur du centre hospitalier tient de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique ;
4. Considérant que l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision ; qu'il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif ; que dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué ;
5. Considérant que le CHNO, dans le mémoire produit en appel le 7 mai 2018, soutient que la suspension de Mme B...est justifiée par le comportement d'ensemble de cet agent entre 2009 et 2014, caractérisé par de multiples carences professionnelles portant atteinte à la continuité du service ; que, toutefois, et en admettant même que les faits reprochés à celle-ci soient avérés et puissent le cas échéant conduire à un licenciement pour insuffisance professionnelle, ce qu'il appartiendra à l'autorité compétente de décider sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, ils ne sont pas de nature, compte tenu en particulier de leur ancienneté à la date de la décision à l'origine du litige, à fonder légalement une suspension sur le fondement du pouvoir dont dispose le directeur d'un centre hospitalier, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le CHNO n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, a annulé la décision du 7 juin 2016 ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre la somme de 3 000 euros à la charge du CHNO au titre de ces dispositions ;
DECIDE :
Article 1er : La requête du CHNO est rejetée.
Article 2 : Le CHNO versera la somme de 3 000 euros à Mme B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier national d'ophtalmologie des Quinze-Vingts et à Mme D...B....
Délibéré après l'audience du 28 juin 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- M. Dalle, président assesseur,
- Mme Stoltz-Valette, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 6 juillet 2018.
L'assesseur le plus ancien,
D. DALLELe président-rapporteur
C. JARDIN
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA01785