Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Ferragamo France a demandé au Tribunal administratif de Paris la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2010, de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2009 et 2010, du complément de cotisation minimale de taxe professionnelle mis à sa charge au titre de l'année 2009, du complément de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises mis à sa charge au titre de l'année 2010 et des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1516641/1-2 du 28 mars 2017, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge de ces impositions et pénalités.
Procédure devant la Cour :
Par un recours et un mémoire, enregistrés le 26 juillet 2017 et le 9 avril 2018, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1516641/1-2 du 28 mars 2017 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de remettre à la charge de la société Ferragamo France les impositions dont elle a été déchargée.
Il soutient que :
- la lettre de l'interlocuteur départemental du 12 décembre 2014 n'est pas équivalente à une nouvelle proposition de rectification et ne fait que préciser les motifs initiaux du redressement, pour tenir compte des observations de la société, sans changer la base légale ;
- l'origine et la teneur des termes de comparaison sont suffisamment précisées dans la proposition de rectification ;
- le surcroît de charges salariales et de charges externes supporté par la société Ferragamo France constitue un avantage consenti à la société italienne Salvatore Ferragamo SPA ;
- les contreparties accordées par celle-ci sont insuffisantes pour compenser cet avantage ;
- la méthode retenue par le service est pertinente ;
- la société Ferragamo France est à nouveau déficitaire à compter de l'exercice 2016 ;
- il se réfère à ses précédentes écritures et à ses observations précédentes, s'agissant des autres moyens développés par la société Ferragamo France devant les premiers juges.
Par un mémoire, enregistré le 21 mars 2018, la société Ferragamo France conclut au rejet du recours du ministre de l'action et des comptes publics et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens du ministre n'est fondé.
Par ordonnance du 21 mars 2018, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 avril 2018.
Un mémoire a été déposé pour la société Ferragamo France le 31 juillet 2018, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Dalle,
- les conclusions de Mme Mielnik-Meddah, rapporteur public,
- et les observations de Me Losappio, avocat de la société Ferragamo France.
1. Considérant que la société Ferragamo France, détenue à 100 % par la société hollandaise Ferragamo International BV, elle-même détenue par la société italienne Salvatore Ferragamo SPA, exerce une activité de vente au détail de produits de luxe ; qu'elle a fait l'objet en 2011 et 2012 d'une vérification de comptabilité portant sur les années 2008 à 2010, à la suite de laquelle l'administration, estimant qu'elle avait indirectement transféré des bénéfices à la société Salvatore Ferragamo SPA, l'a assujettie au titre de l'année 2010 à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés, sur le fondement de l'article 57 du code général des impôts ; que, par ailleurs, les sommes regardées comme indirectement transférées à l'étranger ont été assimilées à des revenus distribués à la société Salvatore Ferragamo SPA et ont donné lieu à l'application de la retenue à la source prévue par le 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, au titre des années 2009 et 2010 ; que ces rectifications ayant également une incidence sur la valeur ajoutée produite par l'entreprise, l'administration a mis à sa charge des redressements en matière de cotisation minimale de taxe professionnelle et de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, respectivement au titre des années 2009 et 2010 ; que la société Ferragamo France a contesté l'ensemble de ces impositions supplémentaires et des pénalités correspondantes devant le Tribunal administratif de Paris, qui a fait droit à sa demande par un jugement du 28 mars 2017 ; que, par le présent recours, le ministre de l'action et des comptes publics relève appel de ce jugement et demande le rétablissement des impositions mises à la charge de la société Ferragamo France ;
2. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 57 du code général des impôts qui sont applicables en matière d'impôt sur les sociétés en vertu des dispositions de l'article 209 du même code : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de minoration des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités (...) " ;
3. Considérant que, lorsque l'administration entend faire application des dispositions de l'article 57 du code général des impôts prescrivant l'incorporation aux résultats des entreprises qui sont sous la dépendance d'entreprises situées hors de France, des bénéfices indirectement transférés à ces dernières, elle doit d'abord notamment établir l'existence d'un avantage de nature à faire présumer la réalité d'un tel transfert ; que si elle y parvient le contribuable doit justifier de ce que cet avantage a été consenti dans son propre intérêt ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le service vérificateur a comparé, pour chacune des années 2005 à 2010, le montant des salaires et des charges externes comptabilisées par la société Ferragamo France avec le montant des salaires et charges externes supportés par dix-neuf sociétés appartenant à un " panel " d'entreprises comparables, exerçant la même activité de distribution de produits de luxe que la société Ferragamo France, mais de manière " indépendante ", au sens des principes définis par l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) en matière de prix de transfert, c'est-à-dire sans être détenues à plus de 50 % par une personne morale ; qu'il a constaté que le niveau des charges salariales et courantes supportées par la société Ferragamo France pour chacune des années en cause était sensiblement supérieur à celui des comparables ; qu'il a estimé que la fraction excédentaire de charges supportées par la société Ferragamo France devait être regardée comme un avantage octroyé à la société mère italienne Salvatore Ferragamo SPA, dès lors qu'il correspondait à un surcroît non rémunéré de prestations au bénéfice de cette dernière, correspondant à l'utilisation d'un personnel de vente particulièrement qualifié et de locaux commerciaux prestigieux ; qu'il a évalué cette fraction excédentaire et, par voie de conséquence, le montant des bénéfices indirectement transférés en 2009 et 2010 à la société Salvatore Ferragamo SPA respectivement à 2 332 000 euros et 2 181 000 euros, en tenant compte d'un rabais de 25 % consenti par cette société à ses filiales pour l'achat des produits ;
5. Considérant, toutefois, qu'il résulte des pièces du dossier que les prestations supplémentaires rendues par la société Ferragamo France sont justifiées par sa position de filiale en France d'une société étrangère spécialisée dans le grand luxe, qui doit développer dans un pays stratégique pour ce type de produits une marque qui n'a pas encore la même notoriété que ses concurrents directs et développer l'activité de quelques boutiques dédiées à la marque, notamment celles de Paris, en attachant un soin particulier à l'accueil des clients ; qu'il n'est pas établi que les termes de comparaison choisis par le service auraient eu les mêmes contraintes très particulières ; que, par ailleurs, si pour déterminer le montant du surcroît de prestations rendu par la société française à la société mère italienne, le service a tenu compte du rabais de 25 % consenti par celle-ci à ses filiales pour l'achat des produits, il n'a pas tenu compte en revanche de ce que la mère ne facturait pas à ses filiales de redevances de marque et de ce qu'elle acceptait de reprendre les marchandises invendues par ses filiales, à leur prix d'achat, sans dépréciation et sans restriction de quantité ; que, par ailleurs, les éléments dont la société fait état pour expliquer ses déficits successifs entre 2005 et 2009 sont plausibles et ses résultats des années 2010 à 2015 ont été bénéficiaires alors qu'il ne résulte pas des pièces du dossier et n'est pas soutenu par l'administration que la politique des prix de transfert de l'entreprise aurait changé à compter de 2009 ; que, dans ces conditions et comme l'a jugé à bon droit le tribunal administratif, l'administration ne démontre ni l'existence d'un avantage consenti par la société Ferragamo France à la société Salvatore Ferragamo SPA, ni le montant de cet avantage ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des impositions en litige ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre une somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DECIDE :
Article 1er : Le recours du ministre de l'action et des comptes publics est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la société Ferragamo France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'action et des comptes publics et la société Ferragamo France.
Délibéré après l'audience du 13 septembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Jardin, président de chambre,
M. Dalle, président assesseur,
Mme Stoltz-Valette, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 27 septembre 2018.
Le rapporteur, Le président,
D. DALLE C. JARDIN
Le greffier,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA02617