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26/05/2020 | FRANCE | N°18PA03077

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 3ème chambre, 26 mai 2020, 18PA03077


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B... et Mme G... B... ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Chalifert à leur verser la somme de 22 186 euros avec intérêts au taux légal à compter de leur première demande en réparation des préjudices causés par des travaux d'enrobé de la chaussée effectués au droit de leur propriété sise 9 chemin du Mur au Prieur à Chalifert, d'ordonner avant dire droit une expertise afin de déterminer l'imputabilité de leur préjudice et la nature des travaux de remise

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B... et Mme G... B... ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Chalifert à leur verser la somme de 22 186 euros avec intérêts au taux légal à compter de leur première demande en réparation des préjudices causés par des travaux d'enrobé de la chaussée effectués au droit de leur propriété sise 9 chemin du Mur au Prieur à Chalifert, d'ordonner avant dire droit une expertise afin de déterminer l'imputabilité de leur préjudice et la nature des travaux de remise en état. La commune de Chalifert a appelé en garantie la société Jean Lefebvre qui a réalisé les travaux de réfection de la voirie sous sa maîtrise d'ouvrage.

Par un jugement n° 1701631 du 13 juillet 2018, le tribunal administratif de Melun a condamné la commune de Chalifert à verser à M. et Mme B... la somme de 16 954, 02 euros avec intérêts à taux légal à compter du 17 décembre 2016.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire non communiqué, enregistrés le 12 septembre 2018 et le 11 octobre 2019, la commune de Chalifert, représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1701631 du 13 juillet 2018 du tribunal administratif de Melun ;

2°) à titre principal, de rejeter la demande présentée par M. et Mme B... devant le tribunal administratif de Melun comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

3°) à titre subsidiaire, de rejeter la demande présentée par M. et Mme B... devant le tribunal administratif de Melun comme non fondée ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, de condamner la société Jean Lefebvre à la garantir des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;

5°) de mettre à la charge de M. et Mme B... une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- la juridiction administrative est incompétente pour connaitre du litige, le dommage subi par M. et Mme B... étant imputable aux travaux de nature privée réalisés pour leur compte par la société Jean Lefebvre ;

- les travaux de réfection de la voie publique ne sont pas la cause directe des difficultés d'accès à leur propriété qui sont essentiellement imputables à la pente d'accès, située sur une partie privative ;

- les préjudices, qui se limitent à des difficultés d'accès de certains véhicules dans certaines conditions, ne présentent pas le caractère de gravité requis pour être qualifiés d'anormaux ;

- compte tenu de l'amélioration globale apportée à l'accès à leur propriété, les requérants ne pourraient en tout état de cause être indemnisés que du préjudice de jouissance, constitué par l'obligation pour les passagers de véhicules à en descendre pour rejoindre la propriété.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2019, M. et Mme B..., représentés par Me C..., concluent :

1°) au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel l'incident, à ce que l'indemnisation de leur préjudice de jouissance soit portée à la somme de 5 000 euros avec capitalisation des intérêts échus ;

3°) à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune de Chalifert sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la juridiction administrative est compétente pour connaitre de leur demande qui est relative à l'indemnisation d'un dommage de travaux publics ;

- la responsabilité de la commune est engagée, même en l'absence de faute, dès lors que l'exécution des travaux publics au droit de leur propriété les a privés d'un accès normal à celle-ci à partir de la voie publique ;

- leur préjudice présente un caractère spécial dès lors qu'ils sont les seuls riverains du Chemin du Mur au Prieur à être privés d'un accès complet à leur propriété ;

- il présente un caractère anormal compte tenu de l'impossibilité d'accéder à leur propriété avec un véhicule de tourisme chargé ou avec un véhicule utilitaire occupé par des passagers ;

- le préjudice de jouissance qui résulte de ces difficultés d'accès a été insuffisamment indemnisé par les premiers juges.

Par un mémoire enregistré le 9 septembre 2019, la société Jean Lefebvre, représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune de Chalifert une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le dommage invoqué, qui trouve son origine dans le blocage causé par la bordure délimitant la chaussée et l'accès aux habitations, est imputable à la commune de Chalifert ;

- l'enrobé réalisé dans le cadre du contrat de travaux de nature privée n'a eu que pour effet de créer un arrondi afin d'atténuer les difficultés d'accès à la propriété des époux B... ;

- l'appel en garantie de la commune de Chalifert est irrecevable dès lors qu'elle a procédé à la réception sans réserve des travaux litigieux.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 14 octobre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Pena, rapporteur public,

- et les observations de Me C... représentant M. et Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme B..., propriétaires d'un pavillon sis 9 Chemin du Mur au Prieur à Chalifert, imputent à des travaux réalisés en 2015 sur la voie publique, les difficultés d'accès à leur résidence et propriété. Ils ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner la commune de Chalifert à les indemniser de leurs préjudices. Cette dernière relève appel du jugement du 13 juillet 2018 par lequel le tribunal l'a condamnée à verser à M. et Mme B... la somme de 16 954,02 euros avec intérêts au taux légal. M. et Mme B..., par la voie de l'appel incident, concluent à ce que la somme allouée au titre de leur trouble de jouissance soit portée à la somme de 5 000 euros.

Sur l'exception d'incompétence de la juridiction administrative :

2. La demande indemnitaire de M. et Mme B... tend à ce que soit engagée la responsabilité de la commune de Chalifert, maître d'ouvrage, pour des dommages de travaux publics. La juridiction administrative est donc, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, compétente pour en connaître.

Sur la fin de non-recevoir opposée par M. et Mme B... et la société Jean Lefebvre :

3. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. (...) ".

4. Dans sa requête d'appel la commune de Chalifert demande à la Cour " d'infirmer le jugement rendu par le tribunal administratif de Melun du 13 juillet 2018 ". Elle énonce ainsi des conclusions d'appel, qu'elle complète par des précisions qui correspondent à celles figurant dans son mémoire en défense de première instance. Par suite, la requête d'appel satisfait aux exigences de l'article R. 411-1 du code de justice administrative.

Sur la responsabilité :

5. Si, en principe, les modifications apportées à la circulation générale et résultant soit de changements effectués dans l'assiette, la direction ou l'aménagement des voies publiques, soit de la création de voies nouvelles, ne sont pas de nature à ouvrir droit à indemnité, il en va autrement dans le cas où ces modifications ont pour conséquence d'interdire ou de rendre excessivement difficile l'accès des riverains à la voie publique. Il y a lieu, dans cette hypothèse, de rechercher si ces modifications n'ont pas eu pour effet de rendre cet accès excessivement difficile et s'il n'en résultait pas pour les intéressés, dans les circonstances de l'espèce, un préjudice grave et spécial.

6. Les travaux effectués sur la voirie du Chemin du Mur au Prieur pour le compte de la commune de Chalifert en janvier 2015 ont notamment consisté dans la réfection de la chaussée et dans la création de trottoirs en grave non traitée avec pose de bordures le long de la chaussée. A la suite de ces travaux, la société Jean Lefebvre a refait, dans le cadre d'un contrat de droit privé, à la demande et pour le compte de Mme B..., l'accès à leur propriété situé sur la partie privative. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de la réalisation de l'ensemble de ces travaux, la partie basse du véhicule de M. et Mme B... de marque Mercedes, frotte sur la chaussée lorsqu'il est occupé par trois personnes et qu'il porte une charge de quarante-cinq kilogrammes. L'accès d'un véhicule de marque Peugeot 206 est également compliqué par un transfert de masse entraînant la levée de la roue arrière sur une hauteur comprise entre 5 et 8 cm. Les interventions ponctuelles de la société Jean Lefebvre n'ayant pas permis de corriger le problème, un expert mandaté par l'assureur de M. et Mme B... a estimé qu'il ne pourrait y être remédié définitivement que par une intervention sur l'accès privatif de leur propriété en vue d'en modifier la pente.

7. D'une part, il résulte de l'instruction que les travaux d'amélioration de la voirie réalisés par la commune de Chalifert consistant en une mise aux normes et une réfection de la chaussée pour l'ensemble des usagers et riverains, n'ont pas privé M. et Mme B... de l'accès à leur propriété mais ont seulement rendu un peu plus difficile l'entrée de leur véhicule dans certaines conditions de charge. Eu égard à la gêne limitée qui en a résulté pour les intéressés et à l'importance relativement modeste des travaux nécessaires pour y remédier, le préjudice résultant ainsi des difficultés rencontrées dans certaines circonstances par les demandeurs lorsqu'ils pénètrent en voiture dans leur propriété n'excède pas les sujétions que doivent normalement supporter les riverains des voies publiques, et ne présente pas en la circonstance un caractère de gravité suffisant pour être regardé comme anormal.

8. D'autre part, il résulte de l'instruction que les caractéristiques de la voie rénovée, et notamment la pose du nouvel enrobé de la chaussée, ne sont pas en elles-mêmes la cause des frottements que subit la partie basse des véhicules et que les difficultés d'accès dont se plaignent M. et Mme B..., seuls riverains concernés, résultent de la descente en forte pente sur la partie privative de leur propriété, en décrochage par rapport à la voie publique. Le revêtement appliqué sur le Chemin du Mur, dont il n'est pas établi qu'il ait entrainé un rehaussement significatif de la voie publique, n'est donc pas la cause directe des préjudices dont font état M. et Mme B..., qui trouvent leur origine dans la configuration préexistante.

9. Il résulte de ce qui précède que la commune de Chalifert est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun l'a condamnée à indemniser M. et Mme B.... La responsabilité de la commune n'étant pas engagée, les conclusions d'appel incident de M. et Mme B... ne peuvent dès lors qu'être rejetées. Enfin, la commune de Chalifert ne faisant l'objet d'aucune condamnation, son appel en garantie formé à l'encontre de la société Jean Lefebvre est dépourvu d'objet.

Sur les frais liés à l'instance :

10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de M. et Mme B... la somme réclamée par la commune de Chalifert sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas davantage lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées à ce titre par la société Jean Lefebvre à l'encontre de la commune de Chalifert. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Chalifert qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les frais exposés par M. et Mme B... et non compris dans les dépens

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1701631 du 13 juillet 2018 du tribunal administratif de Melun est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. et Mme B... devant le tribunal administratif de Melun et leurs conclusions d'appel incident sont rejetées.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur l'appel en garantie formé par la commune de Chalifert contre la société Jean Lefebvre.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... B..., à Mme G... B..., à la commune de Chalifert et à la société Jean Lefebvre.

Délibéré après l'audience publique du 3 mars 2020 à laquelle siégeaient :

- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme A..., premier conseiller,

- Mme Mornet, premier conseiller.

Lu en audience publique le 26 mai 2020.

Le rapporteur,

M-H... A... Le président de la formation de jugement,

Ch. BERNIER

Le greffier,

N. DAHMANI

La République mande et ordonne au préfet de Seine-et-Marne en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 10PA03855

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N° 18PA03077


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18PA03077
Date de la décision : 26/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Travaux publics - Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics - Notion de dommages de travaux publics.

Travaux publics - Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics - Lien de causalité.


Composition du Tribunal
Président : M. BERNIER
Rapporteur ?: Mme Marie-Dominique JAYER
Rapporteur public ?: Mme PENA
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS DE NARDI-JOLY LEBRETON

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2020-05-26;18pa03077 ?
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