Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Société de Gestion La Rotonde Montparnasse a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 mars 2011, des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er avril 2011 au 31 mars 2012 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er avril 2010 au 31 mai 2013, ainsi que des pénalités correspondantes. La SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse a également demandé au tribunal de lui accorder la décharge des amendes fiscales qui lui ont été infligées sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts, à raison des distributions effectuées au titre des exercices clos les 31 mars 2011 et 31 mars 2012, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1702052/1-2 du 2 avril 2019, le Tribunal administratif de Paris, après avoir jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer à hauteur du dégrèvement d'impôt sur les sociétés accordé par le service en cours d'instance à concurrence de 220 125 euros, en droits et pénalités, et refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du IV de l'article L. 13, du 3ème alinéa de l'article L. 57 et du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, a accordé à la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse la décharge du surplus demeurant en litige et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais de justice.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 2 août 2019, le 29 janvier 2020 et le 12 février 2020, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :
1°) d'annuler l'article 3 du jugement n° 1702052/1-2 du 2 avril 2019 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de remettre à la charge de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse les impositions et majorations dont le tribunal l'a déchargée.
Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, les premiers juges n'ayant pas clairement exposé les raisons pour lesquelles ils ont estimé que la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse était excessivement sommaire ;
- sur le fond, c'est à tort que les premiers juges ont porté une telle appréciation sur la méthode en cause ;
- c'est à bon droit que le service a estimé que la comptabilité de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse était tenue au moyen de systèmes informatisés ;
- c'est sans méconnaître les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales et les droits de la défense que le service, qui n'a pas fondé les rappels en litige sur des documents obtenus de tiers, a estimé que la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse s'était dotée d'un logiciel permissif.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 janvier 2020, le 8 janvier 2020, le 10 février 2020 et le 16 mars 2020, la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse, représentée par Me E... A... et Me H... A..., conclut au rejet de la requête du ministre et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête du ministre est irrecevable, faute d'avoir été introduite par un agent compétent pour le représenter ;
- en tout état de cause, aucun des moyens soulevés par le ministre n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le décret du 6 juin 2018 portant nomination du directeur général adjoint de la direction générale des finances publiques ;
- l'arrêté du 15 mai 2019 portant délégation de signature à la direction générale des finances publiques ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse, qui exploite le restaurant La Rotonde sis 105, boulevard du Montparnasse dans le 6ème arrondissement de Paris, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période ayant couru du 1er avril 2010 au 31 mars 2012, étendue au 31 mai 2013 en matière de taxe sur la valeur ajoutée, consécutive à un contrôle inopiné du 10 juillet 2013, destiné à constater matériellement les éléments physiques de son exploitation, ainsi que l'existence et l'état de ses documents comptables. A l'issue de ce contrôle, diligenté selon la procédure de rectification contradictoire et au cours duquel a été mise en oeuvre une procédure de visite et de saisie prévue par l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, le service a rejeté la comptabilité de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse et reconstitué son chiffre d'affaires. En conséquence, la société a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos le 31 mars 2011, à des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre de la période du 1er avril 2011 au 31 mars 2012 et à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er avril 2010 au 31 mai 2013, assortis de l'intérêt de retard et de la majoration de 80 % pour manoeuvres frauduleuses prévue par le c de l'article 1729 du code général des impôts. La société s'est également vu infliger des amendes fiscales sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts, à raison de distributions effectuées au titre des exercices clos les 31 mars 2011 et 31 mars 2012. Après avoir obtenu du service le dégrèvement de la majoration de 80 % ayant assorti le rappel de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et, sur le fondement de l'article 1756 du code général des impôts, celui des intérêts de retard et des amendes fiscales, la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse a saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à la décharge des impositions et majorations demeurant en litige et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par un jugement du 2 avril 2019, après avoir estimé qu'il n'y avait pas lieu de statuer à hauteur du dégrèvement d'impôt sur les sociétés accordé par le service en cours d'instance, en droits et pénalités, et refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du IV de l'article L. 13, du 3ème alinéa de l'article L. 57 et du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, le tribunal a accordé à la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse la décharge du surplus des impositions et majorations restant en litige et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais de justice. Le ministre de l'action et des comptes publiques relève appel de ce jugement en tant qu'il a fait droit aux conclusions en décharge de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse :
2. Aux termes de l'article 1 du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : / (...) 2° Les (...) directeurs adjoints (...) ". L'article 410 de l'annexe II au code général des impôts dispose que : " Chaque fonctionnaire de la direction générale des finances publiques (...) peut déléguer sa signature aux agents placés sous son autorité dans les conditions fixées par le directeur général des finances publiques (...) ".
3. Par un décret du 6 juin 2018, M. D... F... a été nommé directeur général adjoint de la direction générale des finances publiques, recevant ainsi compétence pour signer, au nom du ministre de l'action et des comptes publics, tous actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous son autorité. Par un arrêté du 15 mai 2019 régulièrement publié, M. F... a délégué sa signature à M. C... G..., administrateur des finances publiques adjoint, pour l'ensemble des litiges relevant du service juridique de la fiscalité de la direction générale des finances publiques, à l'effet de signer, notamment, les requêtes formées par l'administration devant les cours administratives d'appel. Dès lors que M. G... avait qualité, en vertu de cette délégation, pour signer au nom du ministre de l'action et des comptes publics la requête présentée devant la Cour administrative d'appel de Paris sous le n° 19PA02575, celle-ci ne peut être regardée comme ayant été introduite par un agent incompétent à cette fin. La fin de non-recevoir opposée par la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse, qui ne peut utilement se prévaloir du décret n° 2013-577 du 2 juillet 2013 relatif aux délégations de signatures accordées aux agents des services déconcentrés de la direction générale des finances publiques, au nombre desquels ne figure pas M. G..., ne peut donc être accueillie.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Après avoir constaté que la comptabilité de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse était tenue à l'aide de quatre caisses tactiles dont les données étaient transférées sur le disque dur d'un ordinateur utilisant le logiciel Prores, le vérificateur, assisté d'agents en résidence à la cellule de contrôle informatisé de la direction spécialisée du contrôle fiscal d'Ile-de-France Ouest, a pris acte de ce qu'aucune donnée informatique antérieure au 8 janvier 2013 n'avait pu lui être présentée. Il a également constaté que les tickets de caisse du restaurant La Rotonde n'étaient pas numérotés, lacune faisant obstacle au contrôle de leur enchaînement numérique. Les agents de l'administration fiscale ont par ailleurs relevé des anomalies dans l'évolution du compteur général des lignes et dans les sommes de contrôle ressortant de la majorité des tickets analysés. Enfin, en sus de ces incohérences rendant impossible une analyse de la séquentialité des recettes du restaurant La Rotonde, le vérificateur et les agents spécialisés, après avoir examiné l'ordinateur équipé du logiciel Prores à l'occasion du droit de visite et de saisie exercé le 19 novembre 2013, ont constaté l'existence d'un dossier " Prefetch " contenant trois fichiers " WebTable.exe ", identifiés comme permettant la suppression de recettes à l'aide d'un outil extérieur. Au vu de ces éléments convergents en faveur de la mise en évidence d'un système généralisé de minoration de recettes au sein du restaurant, c'est donc à bon droit que la comptabilité de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse a été rejetée comme étant dépourvue de caractère probant et qu'il a été en conséquence procédé à la reconstitution de son chiffre d'affaires.
5. Pour cela, le service a recouru à deux méthodes. Par la première, intitulée " rétablissement du taux d'espèces ", il s'est fondé sur les fichiers des bandes de contrôle sans anomalies dont il disposait, à partir desquels il a déterminé le taux moyen des encaissements effectués en espèces. Ce taux a ensuite été appliqué aux bandes de caisse présentant des anomalies, en vue d'établir le montant des recettes encaissées en espèces non déclarées par la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse. Cette méthode a permis au service de déterminer un pourcentage de recettes éludées, qui a ensuite été appliqué, par extrapolation, à la période antérieure au 8 janvier 2013, pour laquelle il ne disposait d'aucune donnée informatique. Par la seconde méthode, dite de " détermination du ticket moyen réglé en espèces ", le service a déterminé le nombre de tickets supprimés sur la base de ce qu'aurait dû être l'évolution normale du compteur général de lignes sur la période pour laquelle il disposait de données, avant de multiplier les tickets supprimés ainsi déterminés par le montant moyen réglé en espèces ressortant de ceux sans anomalies. Cette méthode a également permis au service de dégager un taux de recettes éludées sur la période de référence, avant de l'extrapoler, comme dans la première méthode, sur l'ensemble de la période antérieure au 8 janvier 2013. Quelle que soit la méthode utilisée, le taux de recettes dissimulé est ressorti à environ 5 % du chiffre d'affaires déclaré.
6. Pour accorder à l'intimée la décharge demandée, les premiers juges ont estimé que le service vérificateur s'était borné à extrapoler le montant des recettes reconstituées au titre de la période ayant couru du 8 janvier 2013 au 31 mai 2013, alors pourtant qu'il lui était loisible d'exploiter les bandes de contrôle sous format papier, disponibles sur l'ensemble de la période vérifiée, ou de corroborer son extrapolation par une autre méthode de reconstitution. Toutefois, l'administration peut valablement mettre en oeuvre des méthodes de reconstitution de recettes par extrapolation lorsque celles-ci reposent sur des échantillons suffisamment représentatifs et que les conditions d'exploitation de l'entreprise vérifiée sont restées stables sur l'ensemble de la période soumise à contrôle. En l'espèce, la période de plus de quatre mois entre le 8 janvier et le 31 mai 2013 était suffisante pour servir de base à l'extrapolation mise en oeuvre. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que des changements seraient intervenus dans les conditions d'exploitation du restaurant La Rotonde entre le 1er avril 2010 et le 31 mai 2013, nonobstant le changement d'ordinateur auquel ont procédé ses dirigeants et l'installation, à compter du 8 janvier 2013, d'une mise à jour du logiciel Prores, sans incidence sur son activité. Enfin, dès lors qu'il n'est pas contesté que les remises à zéro du logiciel Prores ont servi de base aux écritures comptables de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse, les recettes qu'elle a omis de comptabiliser n'auraient pas été retrouvées si le vérificateur avait examiné ses bandes de contrôle papier. Dans ces conditions, le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que le service avait mis en oeuvre une méthode de reconstitution excessivement sommaire.
7. Il appartient néanmoins à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse, tant en première instance qu'en appel.
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
Quant aux traitements informatisés et aux conséquences à en tirer :
8. Aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à la procédure d'imposition en litige : " I. - Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. / (...) IV. - Lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contrôle porte sur l'ensemble des informations, données et traitements informatiques qui concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables ou fiscaux et à l'élaboration des déclarations rendues obligatoires par le code général des impôts ainsi que sur la documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements. / (...) ". Le dernier alinéa de l'article L. 47 du même livre dispose que : " En cas de contrôle inopiné tendant à la constatation matérielle des éléments physiques de l'exploitation ou de l'existence et de l'état des documents comptables, l'avis de vérification de comptabilité est remis au début des opérations de constatations matérielles. L'examen au fond des documents comptables ne peut commencer qu'à l'issue d'un délai raisonnable permettant au contribuable de se faire assister par un conseil. " Enfin, aux termes du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " En présence d'une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés et lorsqu'ils envisagent des traitements informatiques, les agents de l'administration fiscale indiquent par écrit au contribuable la nature des investigations souhaitées. Le contribuable formalise par écrit son choix parmi l'une des options suivantes : / a) Les agents de l'administration peuvent effectuer la vérification sur le matériel utilisé par le contribuable ; / b) Celui-ci peut effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification. Dans ce cas, l'administration précise par écrit au contribuable, ou à un mandataire désigné à cet effet, les travaux à réaliser ainsi que le délai accordé pour les effectuer. Les résultats des traitements sont alors remis sous forme dématérialisée répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget ; / c) Le contribuable peut également demander que le contrôle ne soit pas effectué sur le matériel de l'entreprise. Il met alors à la disposition de l'administration les copies des documents, données et traitements soumis à contrôle. Ces copies sont produites sur tous supports informatiques, répondant à des normes fixées par arrêté du ministre chargé du budget. L'administration restitue au contribuable avant la mise en recouvrement les copies des fichiers et n'en conserve pas de double. L'administration communique au contribuable, sous forme dématérialisée ou non au choix du contribuable, le résultat des traitements informatiques qui donnent lieu à des rehaussements au plus tard lors de l'envoi de la proposition de rectification mentionnée à l'article L. 57. / Le contribuable est informé des noms et adresses administratives des agents par qui ou sous le contrôle desquels les opérations sont réalisées ".
9. En premier lieu, il est constant que sur la période concernée par la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse était équipée du logiciel Prores, lequel permettait de centraliser les données provenant des caisses et d'éditer des états comprenant notamment le chiffre d'affaires global ou par famille de produits, les offerts ou encore les remises. Même s'il n'était pas connecté à un logiciel de comptabilité, cet outil servait de logiciel de caisse à la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse et concourait par suite à la détermination de ses résultats. Quand bien même la société SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse avait confié l'enregistrement de ses écritures comptables à un cabinet extérieur, c'est donc à bon droit que le service a regardé sa comptabilité comme étant tenue au moyen de systèmes informatisés au sens des articles L. 13 et L. 47 A du livre des procédures fiscales.
10. En deuxième lieu, si les dispositions introduites au III de l'article L. 47 A précité par la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, relatives aux copies que peut réaliser l'administration en cas de contrôle inopiné lorsque la comptabilité est tenue au moyen d'un système informatisé, n'étaient pas applicables au présent litige, il était cependant déjà loisible à l'administration, dans l'état antérieur du droit, de réaliser des copies des documents comptables figurant sur des fichiers informatiques, dans le cadre d'un contrôle inopiné, sous réserve de ne se livrer à aucun traitement de ces données.
11. Il résulte de l'instruction qu'à l'occasion du contrôle inopiné effectué le 10 juillet 2013 dans les locaux professionnels de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse, le service a sauvegardé sur un CD-ROM non réinscriptible, portant le n° 2131 75MJ 1153, les fichiers présents dans les dossiers C:\Programmes\PiElectronique et C:\Programmes\Pi_Electronique. Cette copie, portant la mention " DGFIP La Rotonde 10/07/2013 ", comportait 810 fichiers, dont 604 figurant dans le dossier Prores/Fichiers/Site 0001/DTT. Il n'est pas contesté qu'à la fin de l'intervention, comme cela ressort de l'état signé contradictoirement le 10 juillet 2013, le CD-ROM en question a été placé dans une enveloppe scellée, remise au dirigeant de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse. Dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que le service se serait alors livré à un début de traitement de données, la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse n'est pas fondée à soutenir que la sauvegarde en cause aurait entaché la procédure d'irrégularité.
12. En troisième lieu, il résulte du II précité de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales que le vérificateur qui envisage un traitement informatique sur une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés doit indiquer au contribuable, au plus tard au moment où il décide de procéder au traitement, par écrit et de manière suffisamment précise, la nature des traitements informatiques qu'il souhaite effectuer, eu égard aux investigations envisagées, afin de permettre au contribuable de choisir en toute connaissance de cause entre les trois options qu'il prévoit.
13. En l'espèce, il résulte de l'instruction qu'après s'être fait expliquer le système de caisse PI Electronique utilisé dans le restaurant La Rotonde, le service, le 17 juillet 2013, a remis en mains propres au dirigeant de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse, qui en a accusé réception, un courrier lui indiquant la nature des traitements informatiques envisagés, destinés à s'assurer de la cohérence et de l'exhaustivité des commandes, ventes et règlements enregistrés et contrôler les taux de taxe sur la valeur ajoutée appliqués aux articles revendus, ainsi que les procédures de correction et d'annulation utilisées sur le système de caisses, notamment à partir des éléments de traçabilité intégrés. Ce document faisait également référence à tout traitement destiné à valider la cohérence et l'exhaustivité des données requises pour ces différentes analyses. Eu égard à la nature du système informatisé dont disposait la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse, le service doit être regardé comme lui ayant fourni, à cette occasion, des indications suffisantes sur la nature des investigations souhaitées, lesquelles pouvaient laisser envisager une reconstitution de chiffre d'affaires en cas d'éventuelles incohérences, entre autres, dans l'enregistrement de ses recettes. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse, qui a choisi l'option c) offerte par le II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, n'aurait pas été mise en mesure de faire son choix en toute connaissance de cause, doit être écarté comme manquant en fait.
Quant aux autres moyens soulevés :
14. En premier lieu, il est constant que l'appréciation de la régularité d'une procédure de visite et de saisie relève de la compétence exclusive du juge judiciaire et qu'en l'espèce, la chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt du 12 avril 2016, a définitivement jugé que celle dont la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse a fait l'objet le 19 novembre 2013, sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, était régulière. La société intimée ne peut donc utilement soutenir que les agents de l'administration fiscale se seraient livrés à une fouille du sac à mains de l'épouse de l'un de ses dirigeants sans y avoir été autorisés par l'ordonnance du 18 novembre 2013 du juge des libertés et de la détention près le Tribunal de grande instance de Paris.
15. En deuxième lieu, dès lors que la proposition de rectification de 7 juillet 2014 a précisé les règles de droit applicables, les impôts concernés, les exercices d'imposition, ainsi que les motifs de fait sur lesquels le service s'est fondé pour établir les impositions en litige, le moyen tiré de ce qu'elle serait insuffisamment motivée doit être écarté comme manquant en fait.
16. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ".
17. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en oeuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour mettre à même l'intéressé d'y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Lorsque le contribuable lui en fait la demande, l'administration est, en principe, tenue de lui communiquer, alors même qu'il en aurait eu connaissance, les renseignements, documents ou copies de documents obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, afin de lui permettre d'en vérifier l'authenticité ou d'en discuter la teneur ou la portée. Il en va autrement s'agissant des documents et renseignements qui, à la date de la demande de communication, sont directement et effectivement accessibles au contribuable dans les mêmes conditions qu'à l'administration. Dans cette dernière hypothèse, si le contribuable établit qu'il ne peut avoir effectivement accès aux mêmes documents et renseignements que ceux détenus par l'administration, celle-ci est alors tenue de les lui communiquer.
18. Il résulte de l'instruction qu'au cours des opérations de contrôle, le vérificateur a été assisté d'agents en résidence à la cellule de contrôle informatisé de la direction spécialisée du contrôle fiscal Ile-de-France Ouest, qui disposaient de compétences internes pour détecter des logiciels permissifs susceptibles de masquer des dissimulations de recettes, à l'aide, notamment, de l'expérience acquise dans le cadre des vérifications de comptabilité ayant concerné d'autres restaurants parisiens utilisant le logiciel Prores. Sur la base des constats effectués par ces agents, le service, dans la proposition de rectification du 7 juillet 2014, a informé la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse des lacunes de sa comptabilité informatisée, regardée comme lui ayant permis de dissimuler une partie de ses recettes à l'aide d'un logiciel permissif. A l'appui de cette analyse, le service a joint à cette pièce de procédure deux annexes intitulées " Rappels sur les systèmes de caisse PI Electronique " et " Description détaillée des traitements ", ainsi que le CD-ROM contenant la copie des fichiers issus des traitements informatiques effectués. Si le premier document s'est fondé sur des exemples communs à plusieurs contrôles, il s'est également appuyé sur des données propres à la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse. Par ailleurs, la simple allégation selon laquelle un expert, non nommément désigné, aurait estimé que le service ne pouvait poser son diagnostic sans aide extérieure ne permet pas de présumer que celui-ci se serait fondé sur des documents obtenus de tiers, notamment sur les spécifications fonctionnelles et techniques émanant du fournisseur du logiciel de caisse en cause. Il en va de même de l'évocation par l'intimée d'un dossier dans lequel le service aurait indiqué que la première annexe produite avait été établie à partir d'un guide de lecture de caisse PI Electronique. En tout état de cause, si tel avait été le cas, il n'est pas établi que la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse, en tant qu'utilisatrice du logiciel Prores, n'aurait pu accéder à un tel document dans les mêmes conditions que l'administration fiscale. De même, la circonstance que le vérificateur ait sollicité un droit de visite et de saisie le 21 octobre 2013, veille de la remise par la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse de ses fichiers " DDT " de caisse, est à cet égard sans incidence sur la solution du litige. Enfin, si l'article 20 de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a créé dans le livre des procédures fiscales un article L. 96 J, imposant aux entreprises ou opérateurs concevant des systèmes de caisse de présenter à l'administration fiscale, sur sa demande, tous codes, données, traitements ou documentation qui s'y rattachent, une telle circonstance n'empêche pas l'administration de mettre en évidence des schémas de fraude sans aide extérieure.
19. Dans ces conditions, la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse n'est pas fondée à soutenir que pour rejeter sa comptabilité et reconstituer son chiffre d'affaires, le service se serait appuyé sur des documents techniques obtenus de tiers qu'il aurait délibérément décidé de ne pas lui communiquer, notamment le code source du logiciel Prores, à supposer qu'il n'ait pas été protégé par la propriété intellectuelle des auteurs. Le moyen de l'intimée tiré de ce que le service aurait méconnu les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales et porté atteinte aux droits de la défense et à la présomption d'innocence doit donc être écarté.
En ce qui concerne les pénalités :
20. D'une part, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : (...) / c. 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses (...) ". Les pénalités pour manoeuvres frauduleuses ont pour objet de sanctionner des agissements destinés à égarer ou à restreindre le pouvoir de contrôle de l'administration.
21. D'autre part, l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales dispose que : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, de la taxe sur la valeur ajoutée et des autres taxes sur le chiffre d'affaires, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière et du droit de timbre, la preuve de la mauvaise foi et des manoeuvres frauduleuses incombe à l'administration ".
22. Il résulte de ce qui précède que le service doit être regardé comme ayant démontré que la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse, tout en donnant à sa comptabilité les apparences de la sincérité, a manipulé ses données informatisées, à l'aide d'un procédé qu'elle a elle-même décrit comme étant difficile à détecter, afin de ne pas déclarer une part non négligeable de son chiffre d'affaires. Des manoeuvres frauduleuses procédant de la volonté d'égarer les pouvoirs de contrôle du vérificateur étant ainsi caractérisées, c'est donc à bon droit que le service, qui a sur ce point suffisamment motivé la proposition de rectification du 7 juillet 2014, a assorti les rappels contestés de la majoration de 80 % prévue par les dispositions du c de l'article 1729 du code général des impôts.
23. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement attaqué, que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à demander l'annulation de l'article 3 de ce jugement et que soient remis à la charge de l'intimée, d'une part, les rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er avril 2011 au 31 mars 2012, et, d'autre part, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er avril 2010 au 31 mai 2013, ainsi que la majoration de 80 % dont ils ont été assortis.
Sur les frais de justice :
24. L'Etat n'étant pas la partie perdante à l'instance, les conclusions de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 3 du jugement n° 1702052/1-2 du 2 avril 2019 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : Les rappels de cotisations sur la valeur ajoutée des entreprises assignés à la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse au titre de la période du 1er avril 2011 au 31 mars 2012 et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er avril 2010 au 31 mai 2013 sont remis à sa charge, ainsi que la majoration de 80 % dont ils ont été assortis.
Article 3 : Les conclusions de la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la SAS Société de Gestion La Rotonde Montparnasse.
Délibéré après l'audience du 30 juin 2020, à laquelle siégeaient :
- Mme Hamon, président,
- Mme Mielnik-Meddah, premier conseiller,
- Mme B..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 10 juillet 2020.
Le rapporteur,
C. B...Le président,
P. HAMON
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 19PA02575