Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... D... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 7 novembre 2017, par laquelle la ministre des armées a rejeté le recours administratif préalable formé devant la commission des recours des militaires à l'encontre de la décision du 10 janvier 2017 rejetant sa demande de cessation de l'état militaire, d'enjoindre à la ministre des armées d'accepter cette demande et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1715439/5-1 du 25 octobre 2018, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision contestée, enjoint à la ministre des armées d'accepter la demande de cessation de l'état militaire de M. D... et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais de justice.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 21 décembre 2018, la ministre des armées demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1715439/5-1 du 25 octobre 2018 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le Tribunal administratif de Paris.
Elle soutient que :
- dès lors que M. D... ne justifiait d'aucun motif exceptionnel pour démissionner avant le terme de son engagement de servir l'armée pendant huit ans en qualité d'officier, et qu'il était dans l'intérêt du service, après l'échec de sa formation au pilotage des avions Rafale, de le muter sur un poste de cyber-défense / renseignement à l'état-major des armées, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la décision contestée était entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 février 2019, M. D..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête de la ministre et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la défense ;
- le décret n° 2008-947 du 12 septembre 2008 ;
- l'arrêté du 21 octobre 2016 relatif à l'organisation générale de la scolarité des élèves de l'Ecole navale et des élèves de l'Ecole militaire de la flotte ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... a intégré la marine nationale en qualité d'élève officier à l'Ecole navale, où il a été admis sur titre en août 2011. Nommé le 1er août 2012 dans le corps des officiers de marine au grade d'enseigne de vaisseau, il a été informé à cette occasion de son lien au service pour une durée de huit ans. Après avoir vainement suivi une formation de pilote d'avions de combat Rafale, M. D..., nommé lieutenant de vaisseau le 1er août 2016, a été muté, à compter du 16 septembre suivant, à l'état-major des armées, sur un poste de cyberdéfense, avant de rejoindre, le 28 août 2017, la division Europe-Asie-Pacifique de la direction du renseignement militaire. Insatisfait de cette réorientation de carrière, M. D... a formulé, le 10 janvier 2017, une demande de cessation de l'état militaire à compter du 4 août suivant, à laquelle le directeur du personnel militaire s'est opposé par décision du 3 février 2017. M. D... a alors saisi la commission des recours des militaires, le 4 avril suivant, d'un recours administratif préalable obligatoire dirigé contre cette décision. Par décision du 7 novembre 2017, qui s'est substituée à la décision implicite de rejet née du silence gardé pendant quatre mois par la commission, la ministre des armées a refusé de faire droit à la demande de M. D.... Elle relève appel du jugement du 25 octobre 2018 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé cette décision, lui a enjoint d'accepter la demande de M. D... et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais de justice.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 4139-13 du code de la défense : " La démission du militaire de carrière ou la résiliation du contrat du militaire servant en vertu d'un contrat, régulièrement acceptée par l'autorité compétente, entraîne la cessation de l'état militaire. / La démission ou la résiliation du contrat (...) ne peut être acceptée que pour des motifs exceptionnels, lorsque, ayant reçu une formation spécialisée ou perçu une prime liée au recrutement ou à la fidélisation, le militaire n'a pas atteint le terme du délai pendant lequel il s'est engagé à rester en activité ". L'article 5 du décret du 12 septembre 2008 fixant certaines dispositions applicables aux élèves militaires des écoles militaires d'élèves officiers de carrière dispose que : " Lors de leur admission en école, les élèves officiers de carrière présentent une demande en vue d'être admis à l'état d'officier de carrière à l'issue de leurs études et s'engagent à servir en cette qualité pour une période, fixée par arrêté du ministre de la défense (...) comprise entre six et huit ans. / Au cours de cette période, la démission des intéressés ne peut être acceptée que pour des motifs exceptionnels. / L'acceptation de la démission de l'état d'officier de carrière est prononcée par un arrêté du ministre de la défense (...) ". Par arrêté du 21 octobre 2016, le ministre a décidé que pour les élèves de l'Ecole navale, l'engagement de servir en qualité d'officier de carrière serait de huit ans.
3. Pour annuler la décision contestée de la ministre des armées, les premiers juges ont relevé, d'une part, qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier qu'un poste de pilote " multi-moteurs " au sein de la filière patrouille maritime aurait été vainement proposé à M. D..., et, d'autre part, que la ministre ne se prévalait d'aucun motif tiré de l'intérêt du service pouvant justifier de l'affectation de l'intéressé à la direction du renseignement militaire, qui ne correspondait ni à sa formation de pilote de l'aéronautique navale, ni à ses expériences passées, ni à ses souhaits de réorientation. Il est toutefois constant qu'après qu'il eut été certain que M. D... ne pourrait intégrer une unité de pilotage d'avions de combat Rafale, sa hiérarchie lui a demandé d'émettre des voeux pour poursuivre son engagement de servir l'armée jusqu'au 1er août 2020. L'intimé a répondu à cette sollicitation en manifestant son intérêt pour le service d'aviation légère de l'armée de terre, le pilotage des avions Falcon 50 ou l'intégration d'une unité d'hélicoptères, soulignant à cet égard, lors du conseil d'orientation du 1er juillet 2016, qu'il n'envisageait pas de carrière d'officier ou de poste de commandement et ne comptait pas davantage rejoindre la flottille 4F, pour ne pas rester au contact d'un groupe aérien embarqué. La ministre n'est pas utilement contestée lorsqu'elle soutient qu'il n'a pas été possible de réorienter M. D... dans les filières Falcon 50 et hélicoptères, aux motifs que la première était engorgée et que la seconde aurait nécessité une nouvelle formation de plus de deux ans. Par ailleurs, l'intéressé, qui reconnaît s'être engagé dans un processus de médiation avec son employeur, ne conteste pas sérieusement avoir refusé un emploi de pilote " ATL2 " au sein de la filière patrouille maritime de l'armée de terre. Face à ces contraintes, c'est donc dans l'intérêt du service que la ministre des armées, en tenant compte de la circonstance que l'intimé s'était engagé à servir l'armée pendant huit ans, non pas comme pilote de chasse, mais en qualité d'officier, de son parcours académique et de ses compétences linguistiques, a décidé de le muter à compter du 16 septembre 2016 à l'état-major des armées, sur un poste spécialisé dans la cyberdéfense. En se bornant à soutenir que, de ce fait, il n'a pas obtenu de poste correspondant à sa formation de pilote de l'aéronautique navale, à ses expériences passées ou à ses voeux, qu'il a perdu une prime de personnel navigant de l'ordre de 1 300 euros par mois et que ses dépenses de formation de pilote d'avion de chasse ont été engagées en vain, M. D... ne fait valoir aucun motif exceptionnel au sens de l'article L. 4139-13 du code de la défense qui aurait été de nature, à l'époque du litige, à justifier sa démission de l'armée avant l'échéance de son engagement de huit ans. Par suite, la ministre des armées est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision portant refus de cessation de l'état militaire de M. D... au motif qu'elle était entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation.
4. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le Tribunal administratif de Paris et la Cour.
5. En premier lieu, après avoir cité les textes applicables, la ministre des armées a énoncé les circonstances de fait sur lesquelles elle s'est fondée pour refuser de faire droit à la demande de M. D..., notamment que la démission d'un militaire n'est jamais de droit, qu'il s'était engagé à servir l'armée jusqu'au 1er août 2020 en qualité d'officier, qu'elle pouvait lui opposer l'intérêt du service pour le muter sur un poste à l'état-major et que sa volonté de procéder au remboursement des frais de formation était sans incidence sur la légalité de la décision contestée. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision contestée est insuffisamment motivée doit être écarté comme manquant en fait.
6. En deuxième lieu, dès lors que M. D... n'a pas été licencié, il ne saurait utilement se prévaloir de ce que la ministre, en l'espèce, aurait manqué à ses obligations de reclassement le concernant. Il ne saurait davantage soutenir que son affectation à l'état-major, motivée par l'intérêt du service, ainsi qu'il a été dit au point 3 ci-dessus, révèlerait une rétrogradation de fait constitutive d'une sanction déguisée à son endroit. La circonstance que l'intimé se soit engagé à rembourser ses frais de scolarité à l'Ecole navale est à cet égard sans incidence.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " " 1. Nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude. / 2. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire. / 3. N'est pas considéré comme " travail forcé ou obligatoire " au sens du présent article : / (...) b) tout service de caractère militaire ou, dans le cas d'objecteurs de conscience dans les pays où l'objection de conscience est reconnue comme légitime, à un autre service à la place du service militaire obligatoire ; (...) / ". L'article 14 de la même convention stipule que : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. ".
8. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, M. D... s'est engagé à servir l'institution militaire jusqu'au 1er août 2020. Dès lors, le fait de lui refuser l'autorisation de démission qu'il a sollicitée n'a pas eu pour conséquence de le placer dans une situation de "travail forcé" au sens de l'article 4 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ce refus ne l'a pas davantage discriminé au sens de l'article 14 de la même convention. Les moyens tirés de la violation de ces stipulations doivent donc être écartés.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre des armées est fondée à demander l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Paris du 25 octobre 2018 et le rejet de la demande présentée par M. D....
Sur les frais liés à l'instance :
10. L'Etat n'étant pas la partie perdante à l'instance, il y a lieu de rejeter les conclusions de M. D... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1715439/5-1 du 25 octobre 2018 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le Tribunal administratif de Paris, ainsi que ses conclusions d'appel présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 10 juillet 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- Mme Notarianni, premier conseiller,
- Mme A..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 31 juillet 2020.
Le rapporteur,
C. A...
Le président,
C. JARDINLe greffier,
C. BUOTLa République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 18PA04005 2