Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision, révélée par le courrier de la présidente de la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) du 28 septembre 2017, par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de lui communiquer les informations susceptibles de le concerner figurant dans le fichier des personnes recherchées autres que celles intéressant la sûreté de l'Etat, d'enjoindre au ministre de lui communiquer ces informations et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1718586/6-1 du 9 novembre 2018, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de communiquer à M. D... les informations autres que celles intéressant la sûreté de l'Etat le concernant dans le fichier des personnes recherchées, enjoint au ministre de communiquer à M. D... les informations en cause dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 janvier et 25 février 2019, le ministre de l'intérieur demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1718586/6-1 du 9 novembre 2018 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D... devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- en raison du caractère sensible du fichier des personnes recherchées et des données qu'il contient, les premiers juges, en annulant la décision contestée, ont méconnu l'article 41 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés et l'article 88 du décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 pris pour son application, qui lui permettaient de s'opposer à toute communication pour les données touchant à la sûreté de l'Etat, à la défense et à la sécurité publique ;
- en estimant qu'il n'avait fourni aucune information concernant M. D..., les premiers juges, qui ont mal apprécié les pièces du dossier, ont également entaché le jugement attaqué d'une erreur de fait.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 avril 2019, M. D..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête du ministre et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- le décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 ;
- le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public,
- et les observations de la représentante du ministre de l'intérieur.
Considérant ce qui suit :
1. En mai 2017, M. D... a saisi la CNIL d'une demande d'exercice du droit d'accès indirect aux données n'intéressant pas la sûreté de l'Etat, susceptibles de le concerner dans le fichier des personnes recherchées, géré par le ministre de l'intérieur. Par courrier du 28 septembre 2017, la présidente de la CNIL a informé M. D... que, conformément aux dispositions combinées de l'article 41 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés et de l'article 88 du décret du 20 octobre 2005 pris pour son application, il n'était pas possible de lui apporter de plus amples informations. M. D... a alors demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision, révélée par ce courrier, par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de lui communiquer les informations susceptibles de le concerner figurant dans le fichier des personnes recherchées autres que celles intéressant la sûreté de l'Etat, d'enjoindre au ministre de lui communiquer ces informations et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 9 novembre 2018, par lequel le tribunal a annulé la décision contestée, lui a enjoint de communiquer à M. D... les informations sollicitées dans un délai de deux mois et mis à la charge de l'Etat la somme demandée au titre des frais liés à l'instance.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le ministre de l'intérieur n'a pas repris dans son mémoire complémentaire le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué, invoqué dans sa requête sommaire. Ce moyen doit donc être regardé comme ayant été abandonné.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. L'article 41 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce, dispose que : " (...) lorsqu'un traitement intéresse la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, le droit d'accès s'exerce dans les conditions prévues par le présent article pour l'ensemble des informations qu'il contient. / La demande est adressée à la commission qui désigne l'un de ses membres appartenant ou ayant appartenu au Conseil d'Etat, à la Cour de cassation ou à la Cour des comptes pour mener les investigations utiles et faire procéder aux modifications nécessaires. Celui-ci peut se faire assister d'un agent de la commission. Il est notifié au requérant qu'il a été procédé aux vérifications. / Lorsque la commission constate, en accord avec le responsable du traitement, que la communication des données qui y sont contenues ne met pas en cause ses finalités, la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, ces données peuvent être communiquées au requérant. / (...) ". Selon l'article 88 du décret du 20 octobre 2005 pris pour l'application de cette loi : " Aux termes de ses investigations, la commission constate, en accord avec le responsable du traitement, celles des informations susceptibles d'être communiquées au demandeur dès lors que leur communication ne met pas en cause les finalités du traitement, la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique. Elle transmet au demandeur ces informations. Le cas échéant, celles-ci sont communiquées selon des modalités définies d'un commun accord entre la commission et le responsable du traitement. / Lorsque le responsable du traitement s'oppose à la communication au demandeur de tout ou partie des informations le concernant, la commission l'informe qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires. / La commission peut constater, en accord avec le responsable du traitement, que les informations concernant le demandeur doivent être rectifiées ou supprimées et qu'il y a lieu de l'en informer. En cas d'opposition du responsable du traitement, la commission se borne à informer le demandeur qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires. / Lorsque le traitement ne contient aucune information concernant le demandeur, la commission informe celui-ci, avec l'accord du responsable du traitement. / En cas d'opposition du responsable du traitement, la commission se borne à informer le demandeur qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires. / La réponse de la commission mentionne les voies et délais de recours ouverts au demandeur. (...) ".
4. L'article L. 841-2 du code de la sécurité intérieure, issu de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, dispose que : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître, dans les conditions prévues au chapitre III bis du titre VII du livre VII du code de justice administrative, des requêtes concernant la mise en oeuvre de l'article 41 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, pour les traitements ou parties de traitements intéressant la sûreté de l'Etat dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat ". L'article R. 841-2 du même code prévoit que : " Relèvent des dispositions de l'article L. 841-2 du présent code les traitements ou parties de traitements automatisés de données à caractère personnel intéressant la sûreté de l'Etat autorisés par les actes réglementaires ou dispositions suivants : / (...) 6° Décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 portant création du fichier des personnes recherchées, pour les seules données intéressant la sûreté de l'Etat mentionnées au 8° du III de l'article 2 de ce décret (...) ".
5. Aux termes de l'article 1 du décret du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées, dans sa rédaction applicable au litige : " Le ministre de l'intérieur (direction générale de la police nationale et direction générale de la gendarmerie nationale) est autorisé à mettre en oeuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé "fichier des personnes recherchées". / Ce traitement a pour finalité de faciliter les recherches, les surveillances et les contrôles effectués, dans le cadre de leurs attributions respectives, par les services de la police nationale, les unités de la gendarmerie nationale et les agents des douanes exerçant des missions de police judiciaire ou de police administrative ainsi que par les agents du service mentionné à l'article L. 561-23 du code monétaire et financier. / (...) ". L'article 2 du même décret dispose que : " I. - Sont inscrites dans le fichier les personnes faisant l'objet des décisions judiciaires mentionnées à l'article 230-19 du code de procédure pénale. / II. - Sont inscrites dans le fichier, à la demande des services et unités de police judiciaire ou des autorités judiciaires, les personnes faisant l'objet d'une recherche pour les besoins d'une enquête de police judiciaire : / 1° Soit dans le cadre d'une enquête préliminaire, d'une enquête de flagrance ou d'une commission rogatoire ; / 2° Soit dans le cadre de la mission d'animation et de coordination des recherches criminelles sur tout le territoire national dévolue à la direction centrale de la police judiciaire et aux offices centraux mentionnés à l'article D. 8-1 du code de procédure pénale ; / 3° Soit en cas de disparition de personnes dans des conditions inquiétantes ou suspectes ; / 4° Soit en cas de découverte de personnes décédées ou vivantes non identifiées. / III. - Peuvent être inscrits dans le fichier à la demande des autorités administratives compétentes : 1° Les étrangers pour lesquels il existe, eu égard aux informations recueillies, des éléments sérieux de nature à établir que leur présence en France constituerait une menace pour l'ordre public susceptible de justifier que l'accès au territoire français leur soit refusé dans les conditions prévues à l'article L. 213-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; / 2° Les ressortissants d'un Etat non membre de l'Union européenne faisant l'objet d'une mesure restrictive de voyage, interdisant l'entrée sur le territoire ou le transit par le territoire, adoptée par l'Union européenne ou une autre organisation internationale et légalement applicable en France (...) 6° Les personnes recherchées en vue de l'exécution d'une décision de placement d'office en établissement psychiatrique ou évadées d'un tel établissement (...) 8° Les personnes faisant l'objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l'Etat, dès lors que des informations ou des indices réels ont été recueillis à leur égard (...) V. - En tant que de besoin et dans le respect des conditions prévues à l'article L. 2351 du code de la sécurité intérieure, le fichier est également constitué de données à caractère personnel issues de traitements gérés par des organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire ou des services de police étrangers ". Enfin, selon l'article 9 du décret du 28 mai 2010 : " En application du dernier alinéa de l'article 41 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée, les droits d'accès et de rectification s'exercent directement auprès du ministère de l'intérieur (direction centrale de la police judiciaire) pour les données mentionnées aux 1° à 3° de l'article 3 du présent décret et concernant : / 1° Les personnes faisant l'objet des décisions judiciaires mentionnées aux 2° à 16° de l'article 230-19 du code de procédure pénale ; / 2° Les personnes mentionnées aux 3°, 4°, 5°, 7° et 9° du III et au IV de l'article 2 du présent décret. / Pour toutes les autres données, les droits d'accès indirect et de rectification s'exercent auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, dans les conditions prévues aux deuxième et troisième alinéas de l'article 41 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée ".
6. Il résulte de ces dispositions que les contestations dirigées contre le refus du ministre de l'intérieur de communiquer au demandeur tout ou partie des informations le concernant contenues dans le fichier des personnes recherchées doivent être portées devant le Tribunal administratif lorsque ce refus concerne des données autres que celles intéressant la sûreté de l'Etat. S'agissant d'un fichier dont l'acte de création n'est pas dispensé de publication en application de l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978, l'instruction doit être conduite dans le respect de son caractère contradictoire, les éléments utiles à la solution du litige devant être communiqués aux parties, y compris lorsqu'ils concernent des personnes susceptibles de relever de la catégorie définie au 8° du III de l'article 2 du décret du 28 mai 2010.
7. Si le ministre de l'intérieur a indiqué que M. D... ne figurait pas dans le fichier des personnes recherchées au titre, d'une part, des 1°, 2° et 6° du III de l'article 2 du décret du 28 mai 2010, et, d'autre part, des données en accès direct auprès de la direction centrale de la police judiciaire prévues par l'article 9 du même décret, il n'a néanmoins soumis au débat contradictoire aucune autre information, se bornant à soutenir qu'en raison des finalités du fichier des personnes recherchées, toute révélation, même concernant la question de savoir si l'intéressé faisait ou non l'objet d'une inscription dans ce fichier, serait par principe de nature à compromettre celles-ci. Pourtant, aucune pièce du dossier ne permet de présumer que M. D... serait susceptible de se soustraire à une quelconque forme de surveillance par les autorités mentionnées à l'article 1 du décret du 28 mai 2010 s'il apprenait être l'objet d'une inscription dans ce fichier.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé sa décision.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. D... sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à M. D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... D....
Copie en sera adressée à la commission nationale de l'informatique et des libertés.
Délibéré après l'audience du 10 juillet 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- Mme Mielnik-Meddah, premier conseiller,
- Mme B..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 31 juillet 2020.
Le rapporteur,
C. B...
Le président,
C. JARDINLe greffier,
C. BUOTLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA00120