Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 10 avril 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande tendant au changement de nom patronymique de ses deux enfants mineurs, C... et Lamya El F...-E..., en celui de " El F... ", ensemble la décision du 26 juillet 2018 par laquelle il a rejeté son recours gracieux.
Par un jugement n° 1817116 du 8 novembre 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 7 janvier 2020 et un mémoire en réplique enregistré le 15 janvier 2021, Mme E..., représentée par Me G..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris n° 1817116 en date du 8 novembre 2019 ;
2°) d'annuler la décision 10 avril 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté la demande de changement de nom présentée pour ses deux enfants mineurs et la décision du 26 juillet 2018 rejetant son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice d'autoriser le changement de nom sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et, subsidiairement, de lui enjoindre de réexaminer sa demande dans un délai de 8 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 800 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- son père était alcoolique et violent ; il ne s'est pas intéressé à sa fille et à ses petits-enfants ; le port du patronyme " E... " est à l'origine de graves difficultés psychologiques et de problèmes identitaires ;
- le nom patronymique des enfants n'a pas été choisi par les parents, à la suite d'une erreur de l'officier d'état civil ;
- la décision du 26 juillet 2018 est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 61 du code civil ;
- la demande est formée dans l'intérêt supérieur des enfants, garanti par l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- les enfants sont déjà connus sous le nom de " A... F... " ;
- elle pourra prendre le nom de " A... F... " en raison de son mariage ;
- le nom " A... F... " est susceptible de s'éteindre ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation.
Par un mémoire enregistré le 15 décembre 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris du 22 janvier 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- la loi 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 et le décret n° 2020-1406 du même jour portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, notamment son article 5.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Doré, rapporteur,
- et les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... E... a, le 15 septembre 2016, demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, l'autorisation de changer le nom patronymique " El F...-E... " de ses deux enfants mineurs, C..., né le 15 juin 2010, et Lamya, née le 18 juillet 2015, en celui de
" El F... ". Par une décision du 10 avril 2018, le garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande et, par une décision du 26 juillet 2018, il a rejeté son recours gracieux. Mme E... fait appel du jugement du 8 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la légalité externe :
2. Aux termes de l'article 6 du décret du 20 janvier 1994 : " Le refus de changement de nom est motivé (...) ".
3. Mme E... reprend en appel, sans apporter aucun élément ou argumentation nouveaux, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation de la décision du 26 juillet 2018 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté son recours gracieux. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par les premiers juges.
En ce qui concerne la légalité interne :
4. Aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré. Le changement de nom est autorisé par décret ".
5. En premier lieu, Mme E... fait valoir que le nom du père de ses enfants serait menacé d'extinction. Toutefois, le nom de " A... F... " ne peut être regardé comme menacé d'extinction au sens des dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article 61 du code civil, alors qu'il est déjà porté, depuis leur naissance, par les enfants de la requérante qui pourront le transmettre à leurs héritiers.
6. En deuxième lieu, des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi.
7. Mme E... fait valoir qu'avec le père de ses enfants, ils avaient l'intention de donner à leur fils aîné, né en 2010, le seul nom du père, " El F... " mais que l'officier d'état civil leur a indiqué, à tort, que ce n'était pas possible en raison de la reconnaissance anticipée de l'enfant par sa mère. Toutefois, Mme E..., qui n'a entrepris aucune démarche pour obtenir un changement de nom avant la demande déposée en 2016 et ont, au contraire, donné à leur second enfant, né en 2015 le nom de " A... F... - E... ", ne produit aucun document permettant d'établir la réalité de ces allégations, d'ailleurs évoquées pour la première fois dans le cadre de son recours gracieux. Les seules circonstances que Mme E... était, à la date de la naissance de son premier enfant, âgée de 20 ans et dans une situation très précaire, ne suffisent pas à caractériser l'existence de circonstances exceptionnelle ou à apporter la preuve de l'erreur de l'officier d'état civil alléguée.
8. Par ailleurs, Mme E... fait valoir que son propre père, M. B... E..., était alcoolique et violent, envers lui-même, son épouse et sa fille, notamment lorsque celle-ci a été enceinte, qu'il l'a mise à la porte de son logement à plusieurs reprises et qu'elle a alors été hébergée par la famille de M. A... F... ou dans des établissements d'hébergement d'urgence. Elle fait également valoir que M. B... E..., aujourd'hui décédé, s'est totalement désintéressé de sa fille et de ses petits-enfants. Si Mme E... justifie, par la production d'un certificat médical, subir des souffrances psychologiques liées au port du nom de " E... " par ses enfants compte tenu du comportement de son père, la demande de changement de nom en litige ne concerne que ses deux enfants mineurs. S'agissant des enfants, Mme E... ne démontre la réalité d'aucun problème identitaire ou de difficultés psychologiques graves résultant pour eux du port de leur nom actuel, alors que les attestations produites relèvent seulement que l'enfant aîné de Mme E... a de " mauvais souvenirs " de son grand-père maternel ou qu'il " souffrait beaucoup de voir sa mère vivre cette situation avec son grand-père ". En particulier, il n'est pas établi que le suivi dont son fils aîné bénéficie au sein d'un centre médico psychologique serait en lien avec le nom qu'il porte. Enfin, si Mme E... fait valoir qu'elle souhaite prendre, comme nom d'usage, le nom de " A... F... ", dans le cadre d'un projet de mariage et justifie avoir déposé, postérieurement à la décision contestée, une demande de changement de nom pour elle-même, il ressort des propres déclarations de la requérante que les enfants utilisent déjà depuis leur naissance le nom de leur père et elle ne justifie d'aucune difficulté en lien avec l'usage de ce nom. Dans ces conditions, Mme E... ne justifie pas de circonstances exceptionnelles susceptibles de caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que le garde des sceaux, ministre de la justice aurait commis une erreur d'appréciation en refusant de faire droit à la demande de changement de nom présentée pour ses enfants mineurs.
9. En troisième lieu, la possession d'état, qui résulte du caractère constant et ininterrompu, en principe pendant plusieurs dizaines d'années, de l'usage d'un nom, peut caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi. Si Mme E... fait valoir que ses enfants sont déjà connus, depuis leur naissance, sous le seul nom de leur père, notamment à l'école, un tel usage, à le supposer établi, n'est pas, compte tenu de sa durée, de nature à établir la possession d'état et à justifier un changement de nom, quand bien même il serait constant depuis la naissance des enfants.
10. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Et aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale " ;
11. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment et alors, notamment, qu'aucune difficulté n'est démontrée dans la vie courante des enfants, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision refusant le changement de nom sollicité porterait au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme E... et de ses enfants une atteinte excessive au regard de l'intérêt public qui s'attache au respect des principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi. Elle ne porte pas plus à l'intérêt supérieur des enfants une atteinte de nature à justifier le changement de nom sollicité. Les moyens tirés de ce que la décision litigieuse méconnaitrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent ainsi être écartés.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Sa requête d'appel doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à ce que les frais liés à l'instance soient mis, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 11 février 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. Doré, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 mars 2021.
Le président,
J. LAPOUZADE
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20PA00045 2