Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'établissement public SNCF Réseau a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner la société La Formation Route (LFR) à lui verser la somme de 67 021,35 euros, avec intérêts de droit à compter du 4 juillet 2013, au titre de redevances impayées pour l'occupation de son domaine public le long des voies ferrées, allée Basile Levraud, dans la commune de Trappes (département des Yvelines).
Par un jugement n°1716254 du 8 février 2019, le tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande de SNCF Réseau, condamnant la société LFR à lui verser la somme de 67 021,35 euros, avec intérêts de droit à compter du 4 juillet 2013.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 21 mars 2019, et des mémoires en réplique enregistrés les 18 juin, 27 octobre et 17 novembre 2020, la société LFR, représentée par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 8 février 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête et en ce qu'il l'a condamnée à payer à SNCF Réseau une somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter la requête de SNCF Réseau ;
3°) de mettre à la charge de SNCF Réseau une somme de 3000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la juridiction administrative n'est pas compétente, en l'absence de contrat comportant occupation du domaine public, celui-ci n'ayant pas été signé par son gérant, ni d'utilisation ou occupation du domaine public effective de sa part ;
- en tout état de cause, la prescription prévue par l'article L. 2321-4 du code général de la propriété des personnes publiques est acquise à son profit ; l'instance en référé n'a pu interrompre le délai de prescription, la demande ayant définitivement été rejetée ;
- la convention n'a pas été signée par son gérant ;
- il n'y a pas eu occupation effective du domaine public, ni exécution de la convention.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juin 2020, et des mémoires complémentaires enregistrés le 2 juillet et le 11 novembre 2020, l'établissement public SNCF Réseau, représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société La Formation Route une somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la juridiction administrative est compétente dès lors que le bien en cause appartient à son domaine public ;
- les autres moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code de justice administrative ;
- le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, notamment son article 5.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,
- les observations de Me E..., avocat de la société La formation Route et de Me C... pour SNCF Réseau.
Considérant ce qui suit :
1. Réseau Ferré de France (RFF), devenu depuis le 1er janvier 2015 " SNCF Réseau ", en application de la loi n° 2014-872 du 4 août 2014, détient la propriété des biens constitutifs de l'infrastructure du réseau ferré national et les immeubles non affectés à l'exploitation des services de transport, qui constituent son domaine public. Il est ainsi propriétaire des dépendances formant l'emprise de la gare de Trappes dans le département des Yvelines et notamment d'un terrain nu d'une superficie de 4 400 m², situé le long du faisceau de voies ferrées, cadastré BB002, allée Basile Levraud. Une convention " d'occupation d'un immeuble bâti ou non bâti dépendant du domaine public de Réseau Ferré de France non constitutive de droits réels ", versée au dossier, a été conclue le 8 novembre 2011, entre, d'une part, RFF et la société Adyal Grands comptes, agissant en qualité de mandataire de RFF, et, d'autre part, la société La Formation Route (LFR) spécialisée dans la formation aux métiers de la route Poids Lourds. La mention de son objet autorisait cette dernière à occuper et utiliser le bien immobilier appartenant à RFF, constituant une dépendance de son domaine public, pour, d'une part, y exercer les activités liées à une " zone de manoeuvre et de stationnement de poids lourds ", et, d'autre part, y installer son siège social. Cette convention prévoyait à son article 7 qu'elle prendrait effet au 14 novembre 2011 pour se terminer le 31 décembre 2013, à son article 8, que l'occupant était soumis au paiement d'une redevance payable au gestionnaire de RFF d'un montant annuel de 52 800 euros hors taxes, et à son article 10, que l'occupant devait verser au gestionnaire de RFF un dépôt de garantie de 13 200 euros correspondant à trois mois de redevance TTC. Par un courrier du 30 juillet 2012, la société Nexity, mandataire de RFF depuis le 1er janvier 2012, en remplacement de la société Adyal Grands comptes, a mis en demeure la société LFR de procéder au paiement d'une somme de 70 019,91 euros TTC correspondant au montant du dépôt de garantie et des redevances impayées depuis le 14 novembre 2011. Celle-ci, par un courrier du 21 août 2012, a considéré que cette demande était infondée et fait valoir qu'elle n'avait jamais loué ou occupé ce terrain. Par courrier du 31 octobre 2012, la société Nexity a informé la société LFR qu'à défaut de paiement de la créance, la convention d'occupation de son domaine public se trouvait résiliée de plein droit et prendrait fin le 31 octobre 2012 et lui a demandé de régler son arriéré de redevances d'un montant de 67 021,35 euros. Par courrier du 17 décembre 2012, la société LFR a fait également valoir à la société Nexity qu'elle n'avait pas signé le contrat en cause. Par requête du 23 octobre 2017, SNCF Réseau a saisi le tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à la condamnation de la société LFR à lui verser la somme de 67 021,35 euros, assortie des intérêts au 4 juillet 2013. Par un jugement du 8 février 2019, dont la société LFR fait appel, ce tribunal a fait droit à la demande de SNCF Réseau, condamnant cette société à lui verser cette somme, assortie des intérêts demandés.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. Aux termes de l'article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sont portés devant la juridiction administrative les litiges relatifs : / 1° Aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires ; / 2° Au principe ou au montant des redevances d'occupation ou d'utilisation du domaine public, quelles que soient les modalités de leur fixation (...) ".
3. Il n'est pas contesté par la société LFR que l'emplacement sur lequel elle avait l'intention d'installer ses services, fait partie du domaine public de RFF, et que la convention en cause, dont le contenu a été précédemment rappelé, est une convention d'occupation du domaine public comportant redevance. Pour soulever l'incompétence de la juridiction administrative, la société LFR se borne à faire valoir qu'elle n'a pas signé cette convention. Toutefois ce moyen est inopérant dès lors que le litige est bien relatif à la validité de la convention et à l'exigibilité de la redevance.
Au fond :
4. En vertu de l'article L. 2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques qui prévoit que toute occupation ou utilisation du domaine public donne lieu au paiement d'une redevance, l'article 8 de la convention d'occupation du domaine public du 8 novembre 2011 a prévu, comme il a été rappelé plus haut, que l'occupant était soumis au paiement d'une redevance payable au gestionnaire de RFF d'un montant annuel de 52 800 euros hors taxes.
5. Il résulte de l'instruction, et notamment du dossier de présentation de son projet, que la société requérante est à l'initiative de l'autorisation, qu'elle a sollicitée, d'installer ses services, en l'occurrence des pistes de conduite pour poids lourds et des bureaux, sur la parcelle en cause. A raison de l'autorisation d'occupation de la parcelle du domaine public, elle était donc redevable d'une redevance alors même qu'elle n'aurait pas effectivement utilisé l'autorisation dont elle était titulaire, sauf si l'absence d'utilisation incombait au gestionnaire du domaine public.
6. La société LFR a fait valoir dans son courrier du 21 août 2012 adressé à la société Nexity, en réponse à sa mise en demeure de lui régler les arriérés de redevance, qu'elle n'avait jamais loué ou occupé le terrain car il était impossible de le viabiliser en ce qui concerne les réseaux d'eau, d'électricité, et d'évacuation des eaux usées, contrairement à ce qu'on lui avait laissé entendre. Toutefois la convention d'occupation du domaine public stipule en ce qui concerne la description des biens à son article 2.2, que l'occupant prend les lieux sans garantie de contenance et sans qu'il en soit fait une plus ample désignation, l'occupant déclarant les bien connaître. Il appartenait donc à la société LFR de s'assurer de la faisabilité de son projet avant de s'engager dans cette convention, l'absence d'utilisation de la parcelle ne pouvant être imputée, dans ces conditions, au gestionnaire du domaine public. Si la société requérante invoque l'absence d'exécution de la convention en ce qui concerne notamment l'état des lieux qui devait être réalisé, l'absence de réclamation du dépôt de garantie ou de son assurance, ces négligences de gestion commises à la mise en oeuvre de la convention, ne sont pas de nature à en démontrer l'absence de validité, alors qu'à partir du changement de gestionnaire mandaté par RFF, en janvier 2012, le suivi de la gestion de la convention a bien été assuré, notamment par l'émission des factures de redevances.
7. Dans un courrier postérieur du 17 décembre 2012, la société LFR a également fait valoir à la société Nexity qu'elle n'avait pas signé le contrat en cause. Il résulte de l'instruction que si un expert graphologue missionné par la société LFR, a établi que la signature de la convention n'était pas celle de son gérant, M. A... B..., mais une imitation, il n'est pas contesté que le courrier du 8 novembre 2011 par lequel le gérant de la société LFR a renvoyé au gestionnaire de RFF l'original de la convention signée par elle, comporte également une signature différente de celle de M. B.... Dans ces conditions, dès lors que cette pièce émane de la société LFR, et qu'elle porte, comme la convention elle-même, le cachet de cette société indiquant ses coordonnées, et que M. A... B... n'a pas porté plainte pour faux relativement à sa signature, la société LFR doit être regardée comme engagée dans la convention d'occupation du domaine public.
8. Il résulte donc de l'instruction que la société LFR, qui a souscrit à cette convention, était redevable de la redevance mise à sa charge pour occupation du domaine public.
9. Aux termes de l'article L. 2321-4 du code général de la propriété des personnes publiques : " Les produits et redevances du domaine public ou privé d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 se prescrivent par cinq ans, quel que soit leur mode de fixation. / Cette prescription commence à courir à compter de la date à laquelle les produits et redevances sont devenus exigibles. ".
10. Il résulte de la convention d'occupation du domaine public qu'elle prévoit à son article 8 une redevance annuelle d'un montant de 52 800 euros hors taxes que l'occupant s'oblige à payer par trimestre et d'avance sur avis de paiement du gestionnaire de RFF. Par un courrier du 30 juillet 2012, la société Nexity, mandataire de RFF a mis en demeure la société LFR de procéder au paiement d'une somme de 70 019,91 euros TTC. Cette somme, incluait un dépôt de garantie et, doit être ramenée, pour ce qui concerne les redevances trimestrielles dues, à 9 134,95 euros pour la période du 14 novembre 2011 à la fin de cette année et à 52 097,76 euros pour les trimestres de janvier à septembre 2012, soit un total de 61 232,71 euros. En application de l'article L. 2321-4 du code général de la propriété des personnes publiques la prescription de cinq ans a commencé à courir à compter de chacune des fractions trimestrielles et de leur date d'exigibilité, soit avant le début de chaque trimestre, pour la période du 14 novembre 2011 à la fin septembre 2012, et par conséquent lorsque SNCF Réseau a saisi au fond le tribunal administratif de Paris par requête du 23 octobre 2017, cette créance, exigée par courrier du 30 juillet 2012 de la société Nexity, était prescrite. Il en est de même pour la dernière période trimestrielle d'octobre à décembre 2012, exigible par avance, et qui a fait l'objet d'une facture produite au dossier de la société Nexity en date du 30 août 2012, qui était prescrite à la date d'introduction de la requête de SNCF Réseau le 23 octobre 2017, la société Nexity ayant finalement ramené cette créance selon courrier du 31 octobre 2012 adressé à la société LFR, à 5 788, 64 euros pour le seul mois d'octobre 2012, en raison de la résiliation de la convention au 31 octobre 2012.
11. Si en vertu de l'article 2241 du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription, aux termes de l'article 2243 du même code, l'interruption de ce délai est non avenue si la demande est définitivement rejetée. Si RFF a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris par une requête du 9 avril 2013 tendant à la condamnation de la société LFR à lui verser une provision sur les arriérés de redevance dus, sa requête a été rejetée par ordonnance du 4 juillet 2013. Ce rejet a acquis un caractère définitif, dès lors que cette ordonnance n'a pas été contestée. Dès lors, SNCF Réseau, ne peut se prévaloir de ce que la prescription de la redevance n'était pas acquise lorsque SNCF Réseau a introduit sa requête au fond devant le tribunal administratif le 23 octobre 2017.
12. Il résulte de ce qui précède que la société LFR est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris l'a condamnée à verser à SNCF Réseau une somme de 67 021,35 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du
4 juillet 2013.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société LFR, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que SNCF Réseau demande au titre des frais qu'il a exposés. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de SNCF Réseau une somme de 1 500 euros à verser à la société LFR.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1716254 du 8 février 2019 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La requête présentée par SNCF Réseau devant le tribunal administratif de Paris est rejetée.
Article 3 : SNCF Réseau versera à la société LFR une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 4 : Les conclusions de SNCF Réseau tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société La Formation Route (LFR) et à SNCF Réseau.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- Mme D..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mars 2021.
Le président,
J. LAPOUZADE
La République mande et ordonne au ministre chargé des transports en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA01099 2