Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble des deux moulins, M. B... I... et M. D... G... ont demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 4 juillet 2018 par laquelle le préfet de police a prescrit la réalisation de mesures de sécurité sur un immeuble de grande hauteur situé 172 à 184 avenue de Choisy dans le 13ème arrondissement de Paris.
Par un jugement n° 1815894/3-1 du 24 septembre 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 13 novembre 2019 et le 19 janvier 2021, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble des deux moulins, M. I... et M. G..., représentés par Me E..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1815894/3-1 du 24 septembre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de police en date du 4 juillet 2018 ;
3°) subsidiairement, d'annuler cet arrêté en tant seulement qu'il met à sa charge et à ses frais les travaux en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat ou, à défaut, de la ville de Paris, une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le jugement attaqué méconnaît les dispositions des articles R. 431-10 et R. 611-12 du code de justice administrative dès lors que le préfet de police n'avait pas compétence pour représenter l'Etat en justice ;
- le tribunal n'a pas appelé en la cause la ville de Paris ;
- le tribunal administratif a méconnu le principe du contradictoire dès lors que les premiers juges n'ont pas laissé un délai suffisant aux parties pour répondre à la substitution de base légale envisagée ;
- le jugement est insuffisamment motivé ;
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 4 juillet 2018 :
- cet arrêté est entaché d'incompétence ;
- il est entaché d'un défaut de motivation ;
- il est entaché d'une erreur de droit ;
- c'est à tort que les premiers juges ont opéré une substitution de base légale sur le fondement de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, d'une part, car les conditions d'une telle substitution n'étaient pas réunies, d'autre part, pour incompétence du signataire au titre de la base légale substituée, enfin, pour méconnaissance des règles gouvernant les concours de police, alors que les travaux imposés ne relevaient pas de la police municipale générale et n'étaient pas proportionnés au risque ;
- les travaux prescrits sont d'intérêt collectif et leur prise en charge financière incombe à la ville de Paris.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 décembre 2020, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'arrêté du 30 décembre 2011 portant règlement de sécurité pour la construction des immeubles de grande hauteur et leur protection contre les risques d'incendie et de panique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de M. Baronnet, rapporteur public,
- et les observations de Me E... pour le syndicat des copropriétaires de l'immeuble des deux moulins et autres.
Une note en délibéré a été produite pour le syndicat des copropriétaires de l'immeuble des deux moulins, M. I... et M. G... le 17 juin 2021.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite d'une visite périodique de l'immeuble " Ilôt des deux moulins ", situé 172 à 184, avenue de Choisy dans le 13ème arrondissement de Paris, la commission de sécurité de la préfecture de Paris a émis, le 19 avril 2018, un avis défavorable à la poursuite de l'occupation de cet immeuble en raison notamment de l'existence de défauts d'isolement entre les différentes parties de l'immeuble mettant en cause la sécurité des personnes en cas d'incendie, de la particularité de la desserte des appartements par des circulations secondaires non isolées présentant un risque pour les occupants et de la difficulté pour les services de secours d'intervenir dans certains logements, retardant ainsi l'évacuation de leurs occupants. Par une décision du 4 juillet 2018, le préfet de police a prescrit la réalisation des mesures préconisées par la commission de sécurité. Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble des deux moulins, M. I... et M. G... ont saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande tendant à l'annulation de cette décision. Par un jugement du 24 septembre 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande. Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble des deux moulins et les autres requérants relèvent appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article L. 2512-13 du code général des collectivités territoriales : " I.- Dans la Ville de Paris, le préfet de police exerce les pouvoirs et attributions qui lui sont conférés par l'arrêté des consuls du 12 messidor an VIII qui détermine les fonctions du préfet de police à Paris et par les textes qui l'ont modifié ainsi que par les articles L. 2512-7, L. 2512-14 et L. 2512-17. (...) ". L'article L. 2512-17 du même code dispose que " Le préfet de police est chargé du secours et de la défense contre l'incendie ". L'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales dispose que : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment :/ 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure ". Aux termes de l'article R. 122-28 du code de la construction et de l'habitation : " Pendant l'occupation de l'immeuble, la commission peut procéder à des visites de contrôle périodiques ou inopinées des parties communes de tous les immeubles de grande hauteur. Les propriétaires sont tenus d'assister aux visites dont ils ont été avisés. A l'issue de chaque visite de la commission, il est dressé un procès-verbal qui constate notamment la bonne exécution des prescriptions formulées à l'occasion d'une visite antérieure et mentionne éventuellement les mesures proposées. Le maire notifie ce procès-verbal au propriétaire qui dispose d'un délai de quinze jours pour faire connaître ses observations. Passé ce délai, le maire lui notifie les décisions prises ". Aux termes du 1er paragraphe de l'article GH 1 du règlement de sécurité pour la construction des immeubles de grande hauteur et leur protection contre les risques d'incendie et de panique, annexé à l'arrêté du 30 décembre 2011 : " A l'exception des dispositions à caractère administratif, de celles relatives aux contrôles et aux vérifications techniques ainsi qu'à l'entretien, le présent règlement ne s'applique pas aux immeubles de grande hauteur (IGH) existants. Lorsque des travaux de remplacement d'installation, d'aménagement ou d'agrandissement sont entrepris dans ces immeubles, les dispositions du présent règlement sont applicables aux seules parties de la construction ou des installations modifiées ".
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. En premier lieu, il ressort des dispositions précitées que les pouvoirs que le préfet de police détient en matière de police municipale et qu'il exerce effectivement lui sont conférés par des dispositions législatives expresses lui accordant lesdits pouvoirs en son nom propre. Il bénéficie par suite de la prérogative de représenter en justice la ville de Paris pour les affaires intéressant son administration. Dès lors, le préfet de police était recevable à défendre en justice l'arrêté du 4 juillet 2018. Pour les mêmes raisons, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les premiers juges ont entaché leur jugement d'irrégularité en n'appelant pas en la cause la ville de Paris.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 611-7 du code de justice administrative : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement (...) en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué. ". Ces dispositions impliquent que, pour permettre aux parties de présenter utilement leurs observations, un délai suffisant leur soit accordé.
5. Il ressort des pièces du dossier que le courrier par lequel le tribunal a informé les parties de ce qu'une substitution de base légale était envisagée a été mis à disposition des requérants au moyen de l'application Télérecours le 1er juillet 2019 et reçu par ces derniers le 3 juillet 2019. Ce courrier les informait qu'ils disposaient d'un délai de huit jours pour présenter leurs observations. Un tel délai était suffisant pour permettre aux parties de présenter utilement leurs observations. Il est d'ailleurs constant que le requérants ont, dans le délai qui leur était accordé, produit leurs observations dans un mémoire enregistré le 3 juillet 2019. Dans ces conditions, ils ne sont pas fondés à soutenir que le tribunal a méconnu le principe du contradictoire.
6. En troisième et dernier lieu, il résulte des motifs mêmes du jugement que le tribunal administratif a expressément répondu aux moyens contenus dans les mémoires produits par les requérants. En particulier, le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, n'a pas omis de répondre aux moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de l'acte et de l'illégalité de la base légale substituée.
7. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions principales :
8. En premier lieu, les requérants reprennent en appel, sans apporter d'éléments nouveaux, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision attaquée. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
9. En deuxième lieu, M. J... F..., sous-directeur de la sécurité du public, disposait, en vertu d'un arrêté du 28 juin 2017 régulièrement publié, d'une délégation de signature du préfet de police dans les limites des attributions de sa sous-direction, au nombre desquelles figure la police administrative des immeubles de grande hauteur. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée doit par conséquent être écarté.
10. En troisième lieu, les requérants soutiennent que l'arrêté du 18 octobre 1977 ne pouvait constituer le fondement légal de la décision attaquée. Or, si l'article 2 de l'arrêté du 30 décembre 2011 abroge l'arrêté du 18 octobre 1977, il adopte de nouvelles prescriptions de sécurité qui ne s'appliquent qu'aux projets déposés à partir du 1er avril 2012, et non pas aux immeubles préexistants. Les prescriptions de sécurité du règlement de 1977 subsistent ainsi nécessairement pour ces derniers. Toutefois, en application de l'article 3 de l'arrêté du 18 octobre 1977 modifié par un arrêté du 22 octobre 1982, les immeubles construits, comme en l'espèce, avant le 1er avril 1978 ne sont soumis qu'à des prescriptions limitativement énumérées parmi lesquelles ne figurent pas celles destinées à remédier aux quatre défauts de conformité relevés par la commission de sécurité. Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble des deux moulins, M. I... et M. G... étaient donc fondés à soutenir devant le tribunal administratif que la décision attaquée ne pouvait pas légalement être prise sur le fondement des dispositions des articles GH A 1er et suivants du règlement de sécurité pour la construction des immeubles de grande hauteur et leur protection contre les risques d'incendie et de panique.
11. Toutefois, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.
12. Après avoir relevé que le préfet de police ne pouvait se fonder sur les dispositions des articles GH A 1er et suivants du règlement de sécurité pour la construction des immeubles de grande hauteur et leur protection contre les risques d'incendie et de panique pour prendre la décision contestée, les premiers juges ont estimé qu'il convenait de substituer à cette base légale erronée celle relative au pouvoir de police générale dont dispose le préfet de police au titre de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales.
13. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, les premiers juges pouvaient valablement procéder à cette substitution de base légale dès lors, en premier lieu, que l'immeuble des requérants, eu égard à ses dimensions et caractéristiques particulières et sa localisation géographique, se trouvait dans la situation où le préfet de police, en tant qu'autorité municipale chargée d'assurer la sécurité publique, pouvait prescrire la réalisation des mesures prévues, lesquelles sont nécessaires et proportionnées à la prévention du risque d'incendie dans cet immeuble et n'excèdent pas les sujétions qui pouvaient être imposées aux propriétaires au regard du but poursuivi, en deuxième lieu, que cette substitution de base légale n'a pas pour effet de priver les intéressés d'une garantie, dès lors notamment qu'une procédure contradictoire équivalente à celle prévue à l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration a été mise en oeuvre sur le fondement des dispositions de l'article R. 122-18 du code de la construction et de l'habitation, au cours de laquelle les intéressés ont pu faire valoir leurs observations par le biais de leur conseil par un courrier du 30 mai 2018, et, en troisième lieu, que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions. Par ailleurs, M. J... F..., signataire de la décision attaquée, disposait en vertu d'un arrêté du 28 juin 2017 régulièrement publié d'une délégation de signature du préfet de police dans les limites de ses attributions, qui concernaient notamment la réglementation des immeubles de grande hauteur, laquelle pouvait englober le cas échéant des mesures prises en vertu des pouvoirs de police administrative générale. Enfin, l'existence d'un pouvoir de police spéciale reconnu au préfet de police en matière d'immeubles de grande hauteur ne fait pas obstacle à ce que ce dernier use de ses pouvoirs de police générale pour assurer le maintien de la sécurité publique, dès lors que cet usage n'a pas eu pour objet ni pour effet de s'affranchir de la procédure encadrant l'usage des pouvoirs de police spéciale. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal a prononcé une substitution de base légale.
14. Il résulte de tout ce qui précède que le syndicat des copropriétaires de l'immeuble des deux moulins, M. I... et M. G... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de police en date du 4 juillet 2018.
En ce qui concerne les conclusions subsidiaires, présentées pour la première fois en appel :
15. Aux termes de l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, " En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l'article
L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances
(...) ".
16. Il ressort des pièces du dossier que si les travaux de sécurisation préconisés doivent être réalisés rapidement, les risques identifiés, bien qu'ils représentent un danger, ne revêtent pas un caractère imminent au sens des dispositions précitées de l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales. Ainsi, l'arrêté attaqué pouvait se fonder sur les dispositions de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, qui trouvent à s'appliquer aux circonstances de l'espèce. Il en résulte que les travaux préconisés n'ont pas le caractère de travaux d'intérêt collectif dont la réalisation, aussi bien que la charge financière, incomberaient à la Ville de Paris. Dès lors, les conclusions subsidiaires des requérants, tendant à ce que la charge financière des travaux en cause ne leur soit pas maintenue, doivent, en tout état de cause, être rejetées.
17. Par voie de conséquence du rejet des conclusions de la requête dirigées contre le jugement attaqué et l'arrêté contesté, les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête du syndicat des copropriétaires de l'immeuble des deux moulins, de M. I... et de M. G... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat des copropriétaires de l'immeuble des deux moulins, à M. B... I..., à M. D... G... et à la ville de Paris.
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 17 juin 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme C..., présidente de chambre,
- Mme H..., présidente-assesseure,
- Mme A..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 juin 2021.
La présidente-rapporteure,
M. C... La présidente-assesseure,
M. H...
La greffière,
S. GASPARLa République mande et ordonne au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 19PA03586 7