Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 28 décembre 2020 et un mémoire en réplique enregistré le 26 avril 2021, l'association Mouvement national de lutte pour l'environnement-93 et Nord Est parisien, l'association Collectif pour le Triangle de Gonesse, Mme Michèle T..., Mme D... X..., Mme O... V..., M. F... C..., Mme H... S..., Mme R... J..., M. I... Q..., Mme L... U..., M. Michel K... et M. G... P..., représentés par Me B..., demandent à la Cour :
1°) d'annuler les délibérations nos 01-03 et 01-04 du 10 décembre 2020 par lesquelles la commission permanente du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis a, d'une part, déclassé du domaine public départemental un terrain non bâti, d'une superficie totale de 115 316 m2, faisant partie de la zone d'aménagement concerté du Cluster des médias et, d'autre part, a autorisé la cession de ce terrain à l'établissement public Société de livraison des ouvrages olympiques (SOLIDEO) ;
2°) d'enjoindre au département de la Seine-Saint-Denis et à SOLIDEO de saisir le juge judiciaire afin qu'il tire les conséquences de l'annulation de la délibération n° 01-04 du
10 décembre 2020 sur l'acte de vente du 17 décembre 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
S'agissant de la recevabilité de leur demande :
- ils ont intérêt à agir contre l'arrêté contesté, pour les deux associations à raison de leur objet statutaire voué à la protection de l'environnement et, pour les trente-six personnes physiques, comme riverains ou usagers réguliers de l'Aire des vents, en particulier à des fins de promenades, de loisirs et de pratiques sportives ;
- la requête n'est pas tardive ;
- la Cour administrative d'appel de Paris est compétente en application des dispositions du 5° de l'article R. 311-2 du code de justice administrative ;
S'agissant de la légalité externe :
- l'avis de la direction nationale d'interventions domaniales est irrégulier dès lors qu'il a été rendu par une autorité incompétente ; l'évaluation relevait de la compétence du directeur départemental des finances publiques ;
- cet avis ne comporte aucune évaluation de la valeur vénale des terrains en cause, l'autorité se bornant à produire un commentaire général sur le prix de cession prévu ; la Charte du Domaine prévoit que le service " doit émettre un avis sur la valeur vénale ou locative du bien " ; cette obligation est confirmée par la circulaire du 12 février 1996 ;
- ces irrégularités ont eu une influence sur le sens de la délibération du 10 décembre 2020 ;
S'agissant de la légalité interne :
- contrairement aux exigences de l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, le département de la Seine-Saint-Denis a procédé au déclassement de parcelles qui sont toujours affectées à l'usage direct du public, celui-ci continuant d'y accéder et de les utiliser librement.
Par des mémoires en défense enregistrés les 4 mars et 11 mai 2021, le département de la Seine-Saint-Denis, représenté par Me W..., conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge des requérants une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- les requérants n'ont pas d'intérêt à agir ;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par des mémoires en défense enregistrés le 5 mars et le 10 mai 2021, l'établissement public SOLIDEO, représenté par Me Y... et par Me N..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge des requérants sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
L'établissement public SOLIDEO fait valoir que :
- la requête est irrecevable, ni les associations, ni les personnes physiques requérantes n'ayant d'intérêt à agir ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ;
- le décret n° 2017-1764 du 27 décembre 2017 relatif à l'établissement public Société de livraison des ouvrages olympiques ;
- le décret n° 2018-223 du 30 mars 2018 relatif à la réalisation du village olympique et paralympique, du village des médias et des sites olympiques pour le tir, le volley-ball et le badminton, en Seine-Saint-Denis ;
- le décret n° 2018-1249 du 26 décembre 2018 attribuant à la cour administrative d'appel de Paris le contentieux des opérations d'urbanisme, d'aménagement et de maîtrise foncière afférentes aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu, lors de l'audience publique du 23 juin 2021 :
- le rapport de M. A... ;
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteure publique ;
- Me B..., avocat des requérants ;
- Me Goachet, avocat du département de la Seine-Saint-Denis ;
- Me Condemine, avocat de la Société de livraison des ouvrages olympiques.
Considérant ce qui suit :
1. Le département de la Seine-Saint-Denis était propriétaire de plusieurs parcelles situées dans le périmètre de la zone d'aménagement concerté dite du " Cluster des Médias ", sur la commune de Dugny, dont la Société de livraison des ouvrages olympiques (SOLIDEO) a sollicité l'achat en vue de la réalisation, dans la perspective des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, d'un " village des médias ". Par sa délibération n° 01-03 du 10 décembre 2020, la commission permanente du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis a, dans ce cadre, prononcé le déclassement du domaine public départemental de parcelles non bâties d'une superficie totale de 115 316 m2. Puis, par sa délibération n° 01-04 du 10 décembre 2020, elle a décidé de céder ces parcelles au profit de la Société de livraison des ouvrages olympiques. Les requérants demandent à la Cour d'annuler ces délibérations.
Sur les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 3213-2 du code général des collectivités territoriales : " Toute cession d'immeubles (...) par un département donne lieu à délibération motivée du conseil départemental portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles. Le conseil départemental délibère au vu de l'avis de l'autorité compétente de l'Etat (...) ". Aux termes de l'article R. 3132-1-1 de ce code : " L'autorité compétente de l'Etat mentionnée à l'article L. 3213-2 est le directeur départemental des finances publiques ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 1212-19 du code général de la propriété des personnes publiques : " Dans la région d'Ile-de-France, un service spécialisé, placé sous l'autorité du directeur général des finances publiques, est chargé de participer (...) à la réalisation des acquisitions amiables d'immeubles, (...) lorsque ces opérations sont poursuivies au nom de l'Etat, en vue : / 1° De la construction d'ensembles immobiliers à usage d'habitation et de leurs installations annexes (...) " et aux termes de l'article R. 1212-20 de ce code : " Le service spécialisé est habilité à procéder au lieu et place de l'administration chargée des domaines dans les départements d'Ile-de-France :1° Aux estimations des biens à acquérir aux fins prévues à l'article R. 1212-19 (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que le département de Seine-Saint-Denis a saisi la direction départementale des finances publiques d'une demande d'avis sur la valeur vénale des terrains en cause et que cette demande a été transmise à la direction nationale d'interventions domaniales, service spécialisé prévu par les dispositions précitées du code général de la propriété des personnes publiques, qui a rendu un avis le 10 juin 2020.
5. L'acquisition des terrains en cause par SOLIDEO, établissement public de l'Etat, s'inscrit dans ses missions de livraison des ouvrages et de réalisation des opérations d'aménagement nécessaires à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques à Paris en 2024. Cette acquisition ne peut dès lors pas être regardée comme une opération poursuivie au nom de l'Etat en vue de la construction d'un ensemble immobilier à usage d'habitation. Dès lors, le directeur départemental des finances publiques était compétent pour estimer la valeur des terrains cédés par le département de la Seine-Saint-Denis.
6. Toutefois, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie. L'application de ce principe n'est pas exclue en cas d'omission d'une procédure obligatoire, à condition qu'une telle omission n'ait pas pour effet d'affecter la compétence de l'auteur de l'acte.
7. La consultation prévue par les dispositions précitées de l'article L. 3213-2 du code général des collectivités territoriales ne présente pas le caractère d'une garantie et il ressort des pièces du dossier qu'en l'espèce, la circonstance que l'avis ait été émis par un service incompétent de l'administration des domaines n'a eu aucune incidence sur le sens des délibérations attaquées. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure en raison de l'incompétence de la direction nationale des interventions domaniales sera écarté.
8. En deuxième lieu, il ressort de l'avis du domaine du 10 juin 2020 que la valeur vénale des parcelles en cause a été déterminée par comparaison et que " le prix négocié de 6 812 000 euros n'appelle pas d'observations particulières et peut être accepté ". Le service a ainsi évalué la valeur vénale de ces parcelles à 6 812 000 euros, chiffre qui apparaît d'ailleurs en tête de l'avis. Dans ces conditions, les requérants, qui ne contestent d'ailleurs pas le montant ainsi retenu, ne sont pas fondés à soutenir que le service aurait omis de procéder à l'évaluation des biens devant être aliénés par le département de la Seine-Saint-Denis. Enfin, les requérants ne peuvent pas utilement se prévaloir de la " charte de l'évaluation du Domaine " qui est dépourvue de valeur règlementaire.
9. En troisième lieu, il résulte des articles L. 1 et L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques que les biens, à caractère mobilier ou immobilier, appartenant aux collectivités territoriales, qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles. Aux termes de l'article L. 2111-1 du même code : " Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public ". Enfin aux termes de l'article L. 2141-1 de ce même code : " Un bien d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1, qui n'est plus affecté à un service public ou à l'usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l'intervention de l'acte administratif constatant son déclassement ".
10. Si les requérants font valoir qu'une partie des parcelles cédées correspondant à la frange sud-ouest de l'aire des vents, étaient toujours affectées à l'usage direct au public, il ressort des pièces du dossier, notamment des constats établis les 30 novembre et 2 décembre 2020 par un huissier de justice, que l'accès à la partie de l'aire des vents concernée était interdit, l'entrée correspondante ayant été fermée par une chaîne cadenassée et des clôtures installées. En particulier, s'agissant de la manifestation organisée le 13 décembre 2020, il ressort du rapport d'un agent départemental chargé de la surveillance du parc, auquel sont jointes des photographies, que " la chaine et le cadenas (...) ont été cassées (...) une échelle a été installée sur les clôtures pour pouvoir rentrer dans les lieux (...) les barrières de douane sont mises au sol sur 500 m (...) ". Il ressort ainsi des pièces du dossier que les parcelles déclassées puis cédées n'étaient plus affectées à l'usage direct du public et les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques aurait été méconnu.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des délibérations attaquées du 10 décembre 2020. Par voie de conséquence, leurs conclusions aux fins d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais du litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de la Seine-Saint-Denis, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par les requérants. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge des requérants le versement à SOLIDEO et au département de la Seine-Saint-Denis d'une somme au titre des frais liés à l'instance.
DECIDE :
Article 1er : La requête de l'association Mouvement national de lutte pour l'environnement - 93 et Nord Est parisien et autres est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la Société de livraison des ouvrages olympiques et par le département de la Seine-Saint-Denis sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Mouvement nationale de lutte pour l'environnement - 93 et Nord Est parisien (MNLE 93), désignée en application de l'article R.751-3 du code de justice administrative, au département de la Seine-Saint-Denis et à la Société de livraison des ouvrages olympiques.
Copie en sera adressée au préfet de Seine-Saint-Denis, au ministre de la transition écologique, à la commune de Dugny et à la commune du Bourget.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Gobeill, premier conseiller,
- M. A..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 juillet 2021.
Le rapporteur,
F. A...
Le président,
J. LAPOUZADE La greffière,
A. LOUNIS
La République mande et ordonne à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20PA04255