Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Carmignac Gestion a demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision implicite de l'inspecteur du travail en date du 19 mai 2019 refusant d'autoriser le licenciement de M. B..., ensemble la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique du 17 juin 2019, d'autre part, d'annuler la décision de l'inspecteur du travail en date du 13 juin 2019 confirmant la décision implicite du 20 mai 2019, ensemble la décision implicite du ministre du travail rejetant le recours hiérarchique formé le 19 juillet 2019, enfin, d'ordonner une expertise psychiatrique de M. B... en vue de déterminer si son état de santé psychique était compatible avec les faits de harcèlement moral qui lui sont reprochés et de déterminer si les faits dont il est l'auteur sont constitutifs de harcèlement moral.
Par un jugement n° 1927078 du 30 mars 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 10 mai 2021 et un mémoire en réplique enregistré le
11 octobre 2021, la société Carmignac Gestion représentée par Maître Arnaud Blanc de la Naulte demande à la Cour :
1°) avant dire droit, de désigner un expert psychiatre chargé de se prononcer sur l'état de santé psychique de Monsieur A... B... ;
2°) d'annuler le jugement du 30 mars 2021 du Tribunal administratif de Paris ;
3°) d'annuler la décision implicite de l'inspection du travail née le 20 mai 2019 refusant d'autoriser le licenciement de Monsieur B... ;
4°) d'annuler la décision de l'inspection du travail du 13 juin 2019 confirmant la décision implicite née le 20 mai 2019 ;
5°) d'annuler les décisions implicites de rejet nées du silence gardé sur les recours hiérarchiques formés les 17 juin 2019 et 19 juillet 2019 et confirmant les décisions rendues par l'inspectrice du travail les 20 mai 2019 et 13 juin 2019.
Elle soutient que :
- il ressort de l'enquête réalisée par le cabinet indépendant USIDE qu'une situation de souffrance au travail a été constatée dans l'entreprise qu'il convient d'imputer aux faits de harcèlement reprochés à M. B... ; les experts psychologues sollicités par Carmignac Gestion ont estimé qu'une expertise psychiatrique de l'intéressé serait opportune ;
- l'enquête réalisée par l'inspection du travail est entachée d'un défaut de respect du contradictoire ; en effet, l'inspectrice du travail a écarté le premier grief tiré du harcèlement moral au motif que le rapport de l'expert agréé serait tendancieux ; elle n'a pas cherché à entendre les salariés victimes des agissements de M. B..., le médecin du travail, les enquêteurs et rédacteurs du rapport ; les trois élus de la DUP ont été auditionnés après la décision implicite et à l'insu de l'employeur ; l'inspectrice du travail devait porter à la connaissance de la société le contenu des auditions des élus de la DUP qui ne sont même pas mentionnées dans sa décision ; contrairement à ce qu'a indiqué le jugement attaqué, la société Carmignac avait bien fait valoir que le rapport de l'ingénieur prévention de la DIRECCTE avait eu un caractère déterminant dans la décision de l'inspection du travail alors qu'il n'a été ni communiqué ni mentionné dans sa décision ;
- l'enquête contradictoire menée par le ministre du travail visait à régulariser les manquements de l'inspection du travail en communiquant après-coup le rapport de l'ingénieur prévention ; l'administration a imposé à la société des délais de réponse intenables, soit quatre jours ouvrables pour répondre à 39 fichiers ou encore cinq jours ouvrables pour remettre un grand nombre de documents ; en outre, la ministre du travail n'a pas transmis à la société le mémoire adressé le
29 août 2019 par M. B... et a communiqué le 1er octobre le dernier document transmis par le salarié tout en clôturant son enquête et en empêchant la société d'y répondre ;
- la matérialité du premier grief tiré du harcèlement est établie par le rapport du cabinet USIDE ainsi que par les deux experts mandatés par la société ; l'inspection du travail a préféré retenir l'analyse de la psychologue non agréée et personnelle de M. B... sans réaliser d'enquête au sein de la société ; elle s'est manifestement méprise sur les faits ; contrairement à ce qu'indique l'inspection du travail, la situation générale de l'entreprise ainsi que la souffrance de
M. B... ont été pris en considération par le rapport USIDE ; l'anonymat des témoignages était justifié compte tenu des représailles auxquels les salariés auraient été exposés de la part de
M. B... ; en outre, ont été versés au débat des courriels non biffés ainsi que des attestations nominatives ; ces témoignages sont circonstanciés et étayés d'exemples concrets et datés ; contrairement à ce qu'a estimé l'inspectrice du travail, le message adressé aux équipes lors de la réintégration de M. B... était menaçant et l'inspectrice a tronqué la partie de ce message la plus menaçante, manquant au principe général d'impartialité ; le tribunal n'a pas tiré les conséquences du caractère particulièrement menaçant de ce courriel ;
- en ce qui concerne le second grief tiré de la situation de pression qui a conduit la direction à demander à plusieurs reprises à M. B... de cesser ses agissements déstabilisants et manipulateurs, le tribunal a commis une erreur de fait en considérant qu'aucun élément médical portant sur la détérioration de l'état de santé des salariés ne venait corroborer l'existence d'un harcèlement dont M. B... serait l'auteur alors que le rapport USIDE, l'alerte du médecin du travail, la DUP, des attestations et courriels de salariés viennent établir la matérialité du grief ;
- en ce qui concerne le troisième grief tiré des faits antérieurs pour lesquels la société avait obtenu l'autorisation de licencier M. B..., c'est à tort que l'inspection du travail a indiqué que les faits de 2014 avaient déjà fait l'objet d'une précédente demande et qu'ils étaient revêtus de l'autorité de la chose jugée alors qu'ils n'étaient pas définitivement jugés ; le tribunal n'a pas tiré de conséquences de cette erreur de droit ;
- en ce qui concerne le quatrième grief tiré de l'impossibilité de conserver M. B... dans l'entreprise eu égard à son comportement et à la nature de ses fonctions, l'inspection du travail aurait pu interroger l'employeur sur le nom du salarié dont le courrier le 8 mars 2019 avait été anonymisé ; en outre, d'autres salariés ont fait part de façon non anonyme de leur détresse ; si l'inspection du travail a retenu que M. B... en raison d'un mi-temps thérapeutique et d'arrêts de travail était souvent absent, il était en mesure de harceler ses collaborateurs par courriels ;
- la demande de licenciement et sans lien avec le mandat, les difficultés rencontrées étant antérieures au mandat comme l'a reconnu le Défenseur des droits.
Par un mémoire en défense et d'appel incident enregistré le 4 octobre 2021,
M. B... représenté par Me Sintes, conclut dans le dernier état de ses écritures au rejet de la requête, et à ce que soit mise à la charge de la société Carmignac Gestion la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il ne soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Les parties ont été informées, par lettre du 1er octobre 2021, en application de l'article
R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt est susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office.
M. B... a produit un mémoire récapitulatif enregistré le 14 octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Julliard ;
- les conclusions de Mme Péna, rapporteure publique ;
- les observations de Me Curtus, représentant la société Carmignac Gestion, et les observations de Me Levassor, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été recruté par la société Carmignac Gestion, société de gestion de portefeuille pour compte de tiers, le 16 mars 2005 en qualité de directeur de la clientèle privée. La société Carmignac Gestion a obtenu par une décision du 29 mai 2015 l'autorisation de le licencier pour faute disciplinaire. Cette décision a été annulée par un jugement du Tribunal administratif de Paris du 17 janvier 2017 confirmé par un arrêt de la Cour administrative d'appel du 7 juin 2018 à l'encontre duquel un pourvoi en cassation a été rejeté par le Conseil d'Etat le 12 décembre 2018. Une nouvelle demande d'autorisation de licenciement de M. B... a donné lieu à un refus de l'inspecteur du travail en date du 8 juin 2017, annulée par le ministre du travail par une décision du 12 décembre 2017 qui a cependant rejeté cette deuxième demande d'autorisation de licenciement, rejet confirmé par un jugement du Tribunal administratif de Paris du 21 décembre 2018 confirmé par un arrêt de la Cour administrative d'appel du 22 mai 2020. L'inspecteur du travail de l'unité départementale de Paris a été saisi le 19 mars 2019 d'une troisième demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire de M. B..., titulaire d'un mandat en tant que représentant de la section syndicale et de conseiller du salarié. Du silence gardé par l'inspecteur du travail à l'issue d'un délai de deux mois est née une décision implicite de rejet, confirmée par une décision explicite en date du 13 juin 2019 qui s'y est substituée. Deux recours hiérarchiques auprès du ministre du travail ont été formés les 17 juin et 19 juillet 2019 auxquels le ministre du travail n'a pas répondu. La société Carmignac Gestion relève appel du jugement du 30 mars 2021 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision implicite de l'inspecteur du travail en date du 19 mai 2019 refusant d'autoriser le licenciement de
M. B..., ensemble la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique du 17 juin 2019, d'autre part, à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail en date du 13 juin 2019 confirmant sa décision implicite, ensemble la décision implicite du ministre du travail rejetant le recours hiérarchique formé le 19 juillet 2019, enfin, à ce que le tribunal ordonne une expertise psychiatrique de M. B....
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la régularité de l'enquête de l'inspecteur du travail et du ministre du travail :
2. Aux termes de l'article R. 2421-11 du code du travail, l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat / (...) / L'inspecteur du travail prend sa décision dans un délai de deux mois. Ce délai court à compter de la réception de la demande d'autorisation de licenciement. Le silence gardé pendant plus de deux mois vaut décision de rejet ". Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément à ces dispositions impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation.
3. La société Carmignac Gestion soutient, en premier lieu, que l'enquête réalisée par l'inspection du travail est entachée d'un défaut de respect du contradictoire dès lors que les trois élus de la délégation unique du personnel (DUP) ont été auditionnés à l'insu de l'employeur après la décision implicite de rejet de l'inspectrice du travail et que cette dernière devait porter à la connaissance de la société le contenu de cette audition ainsi que le rapport de l'ingénieur prévention de la DIRECCTE qui a revêtu un caractère déterminant, contrairement à ce qu'indique le jugement attaqué.
4. S'il ressort des pièces du dossier qu'une délégation de trois membres de la DUP a été reçue à sa demande le 21 mai 2019 par l'inspectrice du travail après la fin de l'enquête contradictoire qui s'était déroulée les 9 et 11 avril 2019, d'une part la société appelante en a été informée par un courriel du 6 juin 2019 d'un membre de la délégation relatant les échanges avec l'inspectrice, d'autre part les membres de la DUP ont nettement appuyé les conclusions du rapport d'expertise du cabinet USIDE et sont intervenus à l'appui de la demande de licenciement présentée par l'employeur, enfin cette audition a eu lieu après que cette demande avait déjà fait l'objet d'une décision implicite de rejet acquise le 19 mai 2019. Dès lors, la circonstance qui viennent d'être rappelées, la circonstance que cette intervention des membres de la DUP n'ait pas été portée à la connaissance de l'employeur par l'administration n'a pas porté atteinte au principe du contradictoire et cette intervention tardive ne saurait avoir exercé une influence sur le sens de la décision explicite du 13 juin 2019 qui a confirmé le rejet implicite de la demande de licenciement. Par ailleurs, il ressort également des pièces du dossier que le " rapport " de l'ingénieur prévention de la DIRECCTE, évoqué dans un courrier électronique de l'administration du 25 septembre 2019 est une note succincte qui donne des précisions sur les conditions d'habilitation IPRP (intervenant en prévention des risques professionnels) et d'agrément des experts auprès des CHSCT. Cette note, qui formule des interrogations sur les conditions de restitution à l'ensemble des salariés de la société Carmignac Gestion du rapport USIDE et sur la portée de ses recommandations finales, notamment sur l'absence de propositions d'action de prévention, conformément aux dispositions des articles
L. 4121-1 et suivants du code du travail, ne se prononce pas sur la matérialité des faits reprochés à M. B.... Enfin, si la société Carmignac Gestion soutient que l'inspectrice du travail ne pouvait écarter les conclusions du rapport d'expertise du cabinet USIDE sans entendre les salariés qui se plaignaient des agissements imputés à M. B..., le médecin du travail, les enquêteurs et rédacteurs du rapport, il ressort des pièces du dossier que l'inspectrice du travail disposait des témoignages des salariés fournis par l'employeur et qu'elle n'était pas dès lors tenue de les auditionner, pas plus que le médecin du travail et les rédacteurs du rapport d'expertise. Par suite, la société Carmignac Gestion n'est pas fondée à soutenir que l'inspectrice du travail aurait mené son enquête en violation du principe du contradictoire. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier qu'elle aurait manqué d'impartialité dans le traitement de la demande.
5. La société Carmignac Gestion soutient, en deuxième lieu, que l'enquête menée par la ministre du travail visait à régulariser les manquements de l'inspection du travail en communiquant après-coup le rapport de l'ingénieur prévention, qu'elle a imposé à la société des délais de réponse intenables, soit quatre jours ouvrables pour répondre à 39 fichiers ou encore cinq jours ouvrables pour remettre une longue liste de documents, enfin que l'enquête est entachée d'un défaut de respect du contradictoire dès lors que la ministre du travail n'a pas transmis à la société le mémoire adressé le 29 août 2019 par M. B... et a communiqué le 1er octobre le dernier document transmis par le salarié tout en clôturant son enquête et en empêchant la société d'y répondre. Toutefois, lorsque le ministre rejette le recours hiérarchique qui lui est présenté contre la décision de l'inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement formée par un employeur, sa décision ne se substitue pas à celle de l'inspecteur. Par suite, s'il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre ces deux décisions, d'annuler, le cas échéant, celle du ministre par voie de conséquence de l'annulation de celle de l'inspecteur, des moyens critiquant les vices propres dont serait entachée la décision du ministre ne peuvent être utilement invoqués au soutien des conclusions dirigées contre cette décision. Il s'ensuit que le moyen tiré de la violation du principe du contradictoire par le ministre du travail doit être écarté comme inopérant.
En ce qui concerne la matérialité des faits allégués :
6. Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail : " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Il résulte de ces dispositions que le harcèlement moral se caractérise par des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel. Il s'en déduit que, pour apprécier si des agissements sont constitutifs d'un harcèlement moral, l'inspecteur du travail doit, sous le contrôle du juge administratif, tenir compte des comportements respectifs du salarié auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et du salarié susceptible d'en être victime, indépendamment du comportement de l'employeur. Il appartient, en revanche, à l'inspecteur du travail, lorsqu'il estime, par l'appréciation ainsi portée, qu'un comportement de harcèlement moral est caractérisé, de prendre en compte le comportement de l'employeur pour apprécier si la faute résultant d'un tel comportement est d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement.
7. La société Carmignac Gestion a fondé sa demande d'autorisation de licenciement pour faute de M. B... sur des faits de harcèlement dont il se serait rendu coupable, notamment au sein de la direction de la clientèle privée qu'il dirige, ainsi que sur des " pressions sur les collaborateurs avec des agissements déstabilisants et manipulateurs ". Elle s'appuie notamment sur un rapport d'enquête daté du mois de décembre 2018 du cabinet USIDE, spécialisé dans la prévention des risques psycho-sociaux, commandité à la suite d'un courrier du médecin du travail du
18 janvier 2018 informant la direction de l'entreprise d'une situation de souffrance au travail attestée par une dizaine de salariés. Ce rapport, qui impute à M. B... l'entière responsabilité de cette situation, recommande à la direction de l'entreprise d'user des voies de droit à son encontre.
8. D'une part, le message adressé le 13 juin 2017 par M. B... à ses collaborateurs, à l'occasion de sa réintégration dans ses fonctions de directeur de la clientèle privée à la suite de l'annulation de son licenciement du 29 mai 2015 par le tribunal administratif, contient la phrase suivante : " Aux anciens avec qui j'ai déjà collaboré et malgré les différends que certains ont pu entretenir à mon égard, allant jusqu'à établir des attestations sévèrement mises en défaut par l'Autorité administrative et légitimement communiqués au Parquet, je veux dire que ceux qui sauront comme moi donner la priorité au succès de notre société, et partager tant ma motivation que mon énergie intactes pour parfaire son fonctionnement dans un climat de loyauté retrouvée, bénéficieront du meilleur accueil de ma part ". Si ces termes ont pleinement justifié le courrier adressé le lendemain à M. B... par sa hiérarchie qui les a jugés inappropriés car " pouvant être perçus comme des menaces " susceptibles de déstabiliser ses collaborateurs, à rebours de ses devoirs de manager qui impliquent de s'assurer de l'épanouissement et du bien-être de ses équipes dans un climat de sérénité, une telle lettre ne saurait être regardée, en elle-même, comme constitutive d'un fait de harcèlement. Elle ne présente pas par ailleurs le caractère d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement.
9. Il ressort, d'autre part, tant des témoignages anonymisés contenus dans le rapport USIDE que des courriels nominatifs échangés entre M. B... et ses collaborateurs, dont certains ont également produit des témoignages non anonymisés au soutien de la demande de licenciement de l'employeur, que les relations professionnelles entretenues avec certains de ses subordonnés se caractérisent par la conflictualité et la méfiance réciproque. Si la détérioration du climat de travail au sein de la société Carmignac Gestion n'est pas contestable, aucune pièce du dossier ne permet d'établir que M. B..., dans ses échanges écrits avec ses collaborateurs ou dans ses actes, adopterait une attitude de harcèlement. Ainsi, à supposer que des faux-pas de
M. B... auraient pu altérer davantage l'ambiance au sein du service, déjà fortement dégradée par les tentatives infructueuses de l'employeur pour le licencier, ces faits ne sauraient être qualifiés de harcèlement moral au sens de l'article précité L. 1152-1 du code du travail.
10. Enfin, si la société Carmignac Gestion soutient que c'est à tort que, pour écarter le grief tiré des faits antérieurs pour lesquels elle avait obtenu l'autorisation de licencier M. B..., l'inspection du travail a opposé que l'autorité de la chose jugée faisait obstacle à ce qu'ils soient pris en compte, il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif au point 14 du jugement attaqué.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise psychiatrique sollicitée par la société Carmignac Gestion, que cette dernière n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Il y a lieu de mettre à la charge de la société Carmignac Gestion une somme de 1 500 euros à verser à M. B... sur le fondement des dispositions susvisées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Carmignac Gestion est rejetée.
Article 2 : La société Carmignac Gestion versera à M. B... une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Carmignac Gestion, à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Bernier, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Julliard, présidente assesseure,
- Mme Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2021
La rapporteure,
M. JULLIARDLe président de la formation de jugement,
Ch. BERNIER
La greffière,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA02529