Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Premium Export a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés d'un montant, en droit et pénalités, de 473 500 euros, qui lui a été assignée au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2010 du fait de la remise en cause d'un crédit d'impôt recherche dont elle estime être bénéficiaire.
Par un jugement n° 1807681/1-1 du 18 décembre 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 29 janvier et 30 juin 2020, la société Premium Export, représentée par Me Jacques Guillot, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 18 décembre 2019 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 413 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que
- la vérification de comptabilité a excédé la durée prévue à l'article L. 52 du livre des procédures fiscales, l'administration ayant indiqué, dans une attestation en date du 29 mars, que la vérification n'était pas terminée ;
- le tribunal administratif n'a pas relevé ce moyen ;
- la perquisition effectuée le 19 avril 2012 au domicile de son président était directement liée à la vérification de comptabilité et établit la prolongation de la vérification de comptabilité au-delà du délai légal ;
- elle exerçait une activité industrielle au sens des dispositions de l'article 244 quater B du code général des impôts dès lors qu'elle supportait les risques liés à la fabrication et à la commercialisation ;
- la doctrine administrative référencée D. adm. 4 A-4151 n° 3, 9 mars 2001, BOI-BIC-RICI-10-10-40 n° 30, 12 septembre 2012 prévoit que doivent être regardées comme exerçant une activité industrielle les entreprises qui supportent les risques liés à la fabrication et à la commercialisation ;
- les prestations réalisées par la société AMS Studio sont réelles ;
- les matières premières ont été acquises et livrées au façonnier (STMC Tunisie) chargé de réaliser les produits sur la base des modèles conçus par la société AMS Studio ;
- la majoration de 5 % n'est pas justifiée en l'absence de retard de paiement ;
- aucune manœuvre frauduleuse ne peut être lui être reprochée.
Par un mémoire en défense et des pièces enregistrés les 25 mai et 2 juin 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au non-lieu à concurrence du dégrèvement prononcé en cours d'instance et au rejet du surplus de la requête.
Il prononce le dégrèvement de la majoration appliquée sur le fondement de l'article 1731-I du code général des impôts et, pour le surplus, soutient que les moyens soulevés par la société Premium Export ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 25 juin 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 10 juillet 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Magnard,
- et les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Premium Export, créée le 1er juillet 2010 avec une publication au registre du commerce de Paris le 27 décembre 2010, a indiqué, dans ses statuts, exercer une activité d'élaboration, de création, d'étude, de fabrication, de conception, d'importation, d'exportation, de distribution, de diffusion en France et à l'étranger, de gammes de produits ouvrés ou manufacturés, notamment dans le domaine de la lingerie, du textile, de la mode et du luxe. Par une décision de l'administration fiscale du 16 août 2011, elle a bénéficié du remboursement d'une créance de crédit d'impôt au titre de l'année 2010 pour un montant de 250 000 euros. A l'issue d'une vérification de sa comptabilité ayant porté sur la période du 1er juillet au 31 décembre 2010, l'administration a cependant procédé à la reprise de l'intégralité de ce crédit, au motif que la société n'exerçait pas d'activité industrielle et n'avait pas élaboré de nouvelle collection au titre de l'année en cause. En conséquence, un rappel d'impôt sur les sociétés correspondant au montant précité indûment accordé lui a été notifié selon la procédure contradictoire, assorti de pénalités. Par la présente requête, la société Premium Export relève appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur les sociétés, d'un montant en droits et pénalités de 473 500 euros, qui lui a ainsi été assignée au titre de l'exercice clos le
31 décembre 2010.
Sur l'étendue du litige :
2. Par décision du 28 mai 2020, postérieure à l'introduction de la requête, le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris a prononcé le dégrèvement de la majoration de 5 % mise à la charge de la société Premium Export au titre de l'année 2010. Les conclusions de la requête relatives à cette majoration sont, dans cette mesure, devenues sans objet.
Sur la régularité du jugement :
3. Les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments développés par la société requérante à l'appui de ses moyens, ont statué sur le moyen tiré de ce que la vérification de comptabilité avait dépassé le délai de trois mois qui s'achevait le 3 avril 2012. Ils ont par suite suffisamment motivé leur jugement à cet égard, alors même qu'ils n'auraient pas relevé l'argument tiré de ce que le vérificateur aurait indiqué le 29 mars 2012 que la vérification était toujours en cours.
Sur la procédure d'imposition :
4. Aux termes du I de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales : " Sous peine de nullité de l'imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois en ce qui concerne : / 1° Les entreprises industrielles et commerciales ou les contribuables se livrant à une activité non commerciale dont le chiffre d'affaires ou le montant annuel des recettes brutes n'excède pas les limites prévues au I de l'article 302 septies A du code général des impôts ".
5. Il résulte de l'instruction, et en particulier de la proposition de rectification du 12 juillet 2012, que les opérations de contrôle, qui ont débuté le 3 janvier 2012, devaient s'achever, pour respecter les dispositions précitées, le 3 avril 2012. Si la société requérante soutient que les opérations se sont poursuivies jusqu'au 19 avril 2012, date à laquelle une visite et saisie domiciliaire a été diligentée au domicile de son président, il résulte de l'instruction que cette opération, autorisée par une ordonnance rendue le 17 avril 2012 par le juge des libertés et de la détention au Tribunal de grande instance de Paris au motif que les locaux étaient susceptibles de contenir des documents ou supports d'information relatifs à la fraude présumée de diverses sociétés, dont la société requérante, est intervenue dans le cadre d'une procédure distincte de la vérification de comptabilité et ne saurait être assimilée à un contrôle sur place de la société requérante. Le seul fait, pour l'administration, d'obtenir d'un tiers, postérieurement aux opérations de vérification de comptabilité d'un contribuable, d'autres informations relatives audit contribuable, ne constitue pas une prolongation de la vérification de comptabilité de ce contribuable. Il ne résulte pas de l'instruction que les investigations réalisées par l'administration dans le cadre de cette perquisition auraient donné lieu à un nouvel examen des pièces comptables de la société Premium Export. Le moyen tiré de ce que les dispositions précitées de l'article L.52 du livre des procédures fiscales aurait été méconnues ne peut en conséquence qu'être écarté.
Sur le bien-fondé de l'impôt :
En ce qui concerne la loi fiscale :
6. Aux termes des dispositions de l'article 244 quater B du code général des impôts dans leur version alors en vigueur : " I. Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. (...) / II. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : (...) h) Les dépenses liées à l'élaboration de nouvelles collections exposées par les entreprises industrielles du secteur textile-habillement-cuir et définies comme suit : 1° Les dépenses de personnel afférentes aux stylistes et techniciens des bureaux de style directement et exclusivement chargés de la conception de nouveaux produits et aux ingénieurs et techniciens de production chargés de la réalisation de prototypes ou d'échantillons non vendus ; / 2° Les dotations aux amortissements des immobilisations créées ou acquises à l'état neuf qui sont directement affectées à la réalisation d'opérations visées au 1° ; / 3° Les autres dépenses de fonctionnement exposées à raison de ces mêmes opérations ; ces dépenses sont fixées forfaitairement à 75 p. 100 des dépenses de personnel mentionnées au 1° ; / 4° Les frais de dépôt des dessins et modèles. / 5° Les frais de défense des dessins et modèles, dans la limite de 60 000 € par an ; / i) Les dépenses liées à l'élaboration de nouvelles collections confiée par les entreprises industrielles du secteur textile-habillement-cuir à des stylistes ou bureaux de style agréés selon des modalités définies par décret (...) ".
7. Il résulte de l'application combinée des dispositions précitées des h) et i) de l'article 244 quater B du code général des impôts, que le bénéfice du crédit d'impôt recherche ne peut être accordé, en ce qui concerne les entreprises du secteur textile-habillement-cuir, qu'aux seules entreprises industrielles, dont les activités concourent directement à la transformation de matières premières ou de produits semi-finis en produits fabriqués et pour lesquelles le rôle du matériel ou de l'outillage est prépondérant.
8. Il résulte de l'instruction que le siège social de la société requérante était situé à l'adresse d'une société de domiciliation commerciale et que l'intéressée n'avait pas de personnel salarié. L'examen de la déclaration modèle 2065 déposée au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2010 met également en évidence l'absence de tout moyen d'exploitation de nature à établir l'exercice d'une activité salariée. L'actif du bilan ne comporte en outre pas le moindre matériel, outillage ou immobilisation permettant une exploitation de production. La société Premium Export ne se prévaut d'ailleurs d'aucun matériel ou outillage propre, mais seulement du financement de matières premières livrées à un façonnier situé en Tunisie. Il suit de là qu'elle ne peut être regardée comme une entreprise industrielle au sens des dispositions rappelées ci-dessus.
En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :
9. La requérante invoque la documentation administrative de base 4 A-4151, n° 3, du
9 mars 2001, reprise au BOI-BIC-RICI-10-10-40 du 12 septembre 2012, selon laquelle " les entreprises industrielles qui sous-traitent leur fabrication à des tiers peuvent bénéficier du crédit d'impôt. Le bénéfice du dispositif ne peut donc être refusé aux entreprises ayant recours à la sous-traitance dès lors qu'elles sont propriétaires de la matière première et qu'elles assurent tous les risques de la fabrication et de la commercialisation ".
10. Il résulte toutefois de l'instruction que la société Premium Export n'a constaté aucun achat de matières premières au cours de l'exercice clos en 2010. Les documents fournis établissant la livraison de tissus à un façonnier tunisien et l'établissement de factures par ce dernier ne permettent pas de constater le régime de propriété des matières premières utilisées dans le cycle de production. En outre, si la société requérante produit le contrat de collaboration du 8 juillet 2010 avec la société AMS portant sur une étude de recherche et de création de la collection 2011, les trois factures datées des 2 septembre, 7 octobre et 16 novembre 2010 pour des montants respectifs de 200 000 euros, 100 000 euros et 200 000 euros hors taxe, établies dans le cadre de ce contrat, le contrat de licence de marque datant du 31 décembre 2010, la preuve du dépôt chez un huissier, le 3 janvier 2011, d'un échantillonnage de prototypes réalisés par la société AMS Studio, la facture de l'expéditeur de produits finis en provenance de la Tunisie, la facture du façonnier établie en juin 2011, les factures de vente établies en 2011 ainsi que les pièces comptables attestant de la comptabilisation en stocks de produits finis à la clôture de l'exercice 2011, aucun de ces documents ne permet d'établir qu'au cours de l'année 2010 la société Premium Export assurait déjà tous les risques de la fabrication et de la commercialisation. Il suit de là que la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir de la doctrine susmentionnée, dans les prévisions de laquelle elle n'entre pas.
11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6. à 10. qu'à supposer même que la réalité des dépenses litigieuses, liées à l'élaboration de nouvelles collections, soit établie, elle ne sauraient être regardées comme exposées par une entreprise industrielle. Elles n'ouvraient par suite pas droit au crédit d'impôt prévu par les dispositions mentionnées au point 6.
Sur les pénalités :
12. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de (...) c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses ou de dissimulation d'une partie du prix stipulé dans un contrat ou en cas d'application de l'article 792 bis (...) ".
13. Il résulte de l'instruction que la société requérante a demandé et obtenu la restitution d'un crédit d'impôt auquel elle n'avait pas droit, n'étant pas, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, une entreprise industrielle. Par ailleurs, pour justifier de la réalité des dépenses litigieuses, elle s'est prévalue de factures établies par une société AMS Studios dont il résulte de l'instruction qu'elle ne disposait pas des capacités pour effectuer les dépenses correspondantes, la déclaration annuelle des salaires qu'elle a déposée au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010 ne mentionnant qu'une seule styliste junior. La société requérante, à la date des factures en cause, ne disposait pas des capacités financières pour en assurer le règlement, son compte bancaire, sur lequel il n'a été effectué qu'un dépôt de 1 000 euros représentant le capital social, n'ayant été ouvert que le 23 décembre 2010, soit plus de trois mois après l'établissement par le fournisseur AMS de sa première facture. Aucune précision n'est fournie sur les modalités de règlement des factures en cause, qui sont d'ailleurs particulièrement imprécises dans leurs libellés et dont les montants sont sans commune mesure avec les factures de vente produites au dossier. Dans ces conditions, et alors même que des prototypes de collection auraient été déposés chez un huissier le 3 janvier 2011, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, des manœuvres frauduleuses commises par la contribuable dans l'intention d'obtenir indûment un crédit d'impôt auquel elle ne pouvait en aucun cas prétendre. La requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que les pénalités correspondantes ne sont pas justifiées.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Premium Export n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a rejeté le surplus de sa demande. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête de la société Premium Export à hauteur du dégrèvement prononcé en cours d'instance.
Article 2 : Le surplus de la requête de la société Premium Export est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Premium Export et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Platillero, président assesseur,
- M. Magnard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2021.
Le rapporteur,
F. MAGNARDLe président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA00335