Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Finaréa a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler le rescrit délivré le 12 janvier 2010 à la société Truffle Capital et le rescrit délivré le 17 mars 2010 aux sociétés OCP Finance et Partech International Partners, après communication de ces actes, et, à titre subsidiaire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles.
Par un jugement n°s 1801153 et 1801151/1-1 du 12 février 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 14 avril 2020, 15 septembre 2020 et 24 septembre 2021, la société Finaréa, représentée par Me Guillaume Hannotin, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement n°s 1801153 et 1801151/1-1 du 12 février 2020 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'enjoindre à l'administration fiscale de lui communiquer le texte exact des rescrits délivrés les 12 janvier et 17 mars 2010, après occultation, le cas échéant, des éléments confidentiels ou, à titre subsidiaire, d'ordonner à l'administration de communiquer à la Cour ces rescrits ;
3°) d'annuler les rescrits délivrés les 12 janvier et 17 mars 2010 ;
4°) de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles suivantes :
- " Les principes de primauté du droit de l'Union et d'égalité de traitement doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet à un contribuable d'opposer à l'administration fiscale une prise de position de celle-ci sur sa situation de fait en dépit de l'incompatibilité de cette position avec le droit de l'Union ' " ;
- " Le principe d'effectivité du droit européen, ensemble le principe d'accès au juge tel que garanti, en particulier, par l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils exigent du juge national qu'il examine au fond la demande d'un opérateur économique se plaignant d'une distorsion de concurrence liée à l'édiction, en faveur de l'un de ses concurrents, d'un rescrit fiscal ayant permis audit concurrent de lever des fonds, là où l'opérateur requérant s'est trouvé en butte à des redressements systématiques de ses apporteurs de fonds ' " ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Finaréa soutient que :
- la juridiction administrative est compétente ;
- le jugement attaqué ne mentionne pas les dispositions législatives et réglementaires dont le tribunal a fait application, en méconnaissance de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- elle a intérêt à agir, dès lors qu'elle appartenait au même cercle d'intérêts que les bénéficiaires des rescrits attaqués, que ces rescrits procèdent d'une rupture d'égalité des citoyens devant la loi fiscale et qu'elle subit un préjudice économique qui résulte directement de l'avantage octroyé à ses concurrentes ; le schéma mis en place en 2008 était similaire à celui validé par l'administration fiscale en 2010 sous l'empire des mêmes dispositions législatives ; l'avantage octroyé aux sociétés bénéficiaires des rescrits leur a permis de tirer parti de la situation ; son préjudice a été aggravé par ces décisions qui ont conduit les investisseurs à se tourner vers des sociétés concurrentes proposant les mêmes services mais bénéficiant d'une sécurité juridique accrue ; les rescrits ont produit des effets dès 2010, alors que l'administration fiscale remettait en cause l'avantage fiscal qu'elle revendiquait pour ses investisseurs pour cette même année ;
- le principe d'effectivité du droit européen et le principe d'accès au juge garantis par l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne imposent d'admettre son intérêt à agir ; à titre subsidiaire, la Cour de justice de l'Union européenne doit être saisie d'une question préjudicielle sur ce point ;
- le tribunal a dénaturé ses conclusions aux fins d'injonction en jugeant qu'elle demandait l'annulation de la décision de refus de l'administration de communiquer les rescrits ;
- il est demandé, avant dire droit, d'enjoindre à l'administration de produire le texte intégral des rescrits, conformément aux principes de légalité et de sécurité juridique et aux attentes des institutions européennes quant à la transparence des rescrits fiscaux, l'administration ne pouvant opposer le secret professionnel protégé par l'article L. 103 du livre des procédures fiscales ;
- l'auteur des rescrits ne bénéficiait pas d'une délégation de signature ;
- les rescrits sont contraires aux dispositions de l'article 885-0 V bis du code général des impôts, dans sa version alors applicable ; alors que seules les souscriptions réalisées au capital d'une société holding animatrice ouvrent droit à la réduction d'impôt, l'administration a estimé qu'une société holding peut être qualifiée d'animatrice alors qu'elle est en phase de levée de fonds et de recherche d'investissements et non pas encore effectivement animatrice ; l'administration a également estimé qu'une prise de participation minoritaire peut suffire sous conditions à qualifier une société de holding animatrice ;
- si le dispositif de réduction d'impôt prévu à l'article 885-0 V bis du code général des impôts a été notifié à la Commission européenne, qui a pris, le 11 mars 2008, la décision de ne pas soulever d'objection à l'encontre de l'aide d'Etat instituée par cet article, il n'est pas établi que les rescrits litigieux s'inscrivent dans le cadre de cette autorisation ;
- les articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales ne sont pas compatibles avec les principes de primauté du droit de l'Union européenne et d'égalité de traitement et ne peuvent ainsi servir de base légale à des rescrits opposables ; le mécanisme du rescrit est également contraire au principe de neutralité fiscale ;
- le comportement d'une autorité nationale contraire au droit de l'Union ne peut fonder une confiance légitime ;
- à titre subsidiaire, la Cour de justice de l'Union européenne doit être saisie d'une question préjudicielle sur la compatibilité de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales avec le principe de primauté du droit de l'Union, sur le fondement de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 novembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Le ministre soutient que :
- les demandes de première instance étaient tardives ;
- la société Finaréa n'a pas intérêt à agir ;
- à défaut de saisine de la commission d'accès aux documents administratifs, la demande de communication est irrecevable ;
- les règles régissant le secret fiscal font obstacle à la communication ;
- les moyens invoqués par la société Finaréa ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 2 septembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 24 septembre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Platillero,
- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Hannotin, représentant la société Finaréa.
Considérant ce qui suit :
1. En vue de promouvoir le développement des investissements dans les petites et moyennes entreprises, la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat a mis en place un dispositif de réduction de l'impôt de solidarité sur la fortune, codifié à l'article 885-0 V bis du code général des impôts alors en vigueur. Sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, l'administration a délivré le 12 janvier 2010 à la société Truffle Capital et le 17 mars 2010 aux sociétés OCP Finance et Partech International Partners des rescrits par lesquels elle a admis l'éligibilité à ce dispositif des souscriptions au capital de ces sociétés, permettant aux particuliers investisseurs de bénéficier du crédit d'impôt. La société Finaréa relève appel du jugement du 12 février 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces décisions de rescrits.
Sur la régularité du jugement attaqué :
En ce qui concerne la régularité en la forme du jugement :
2. D'une part, si la société Finaréa soutient que le jugement attaqué ne mentionne pas les dispositions législatives et réglementaires dont le tribunal a fait application, en méconnaissance de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, ce jugement mentionne le code général des impôts, le livre des procédures fiscales et le code de justice administrative. La société Finaréa ne précisant pas quelle autre disposition aurait dû être visée, le moyen doit ainsi être écarté.
3. D'autre part, le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments présentés par la requérante, a suffisamment justifié aux points 4 à 6 du jugement attaqué les motifs pour lesquels il n'a pas admis l'intérêt à agir de la société Finaréa. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de ce jugement doit ainsi être écarté.
4. Enfin, en réponse aux conclusions à fin d'injonction présentées par la société Finaréa, le tribunal, qui a jugé au point 9 que la solution du litige n'impliquait pas d'ordonner la production des décisions de rescrit contestées, refusant ainsi de procéder à la mesure d'instruction demandée par la requérante, a jugé au point 8 que " Si la société devait être regardée comme demandant l'annulation de la décision de refus de l'administration de communiquer les décisions de rescrits contestées, ces conclusions, faute d'avoir été précédées de la saisine de la Commission d'accès aux documents administratifs, sont en tout état de cause irrecevables. Elles ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ". Le tribunal, qui s'est ainsi borné à répondre à une fin de non-recevoir opposée par l'administration, n'a pas, compte tenu de ces motifs et des écritures, statué au-delà des moyens et conclusions dont il était saisi par les parties. Le jugement attaqué n'est ainsi pas irrégulier sur ce point.
En ce qui concerne la recevabilité des demandes de première instance :
5. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration ". Aux termes de l'article L. 80 B du même livre : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : 1° Lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal. Elle se prononce dans un délai de trois mois lorsqu'elle est saisie d'une demande écrite, précise et complète par un redevable de bonne foi (...) ".
6. Une prise de position formelle de l'administration sur une situation de fait au regard d'un texte fiscal en réponse à une demande présentée par un contribuable dans les conditions prévues par les dispositions précédemment mentionnées a, eu égard aux effets qu'elle est susceptible d'avoir pour le contribuable et, le cas échéant, pour les tiers intéressés, le caractère d'une décision.
7. Pour rejeter les demandes de la société Finaréa, les premiers juges ont estimé que la requérante ne justifiait pas d'un intérêt à demander l'annulation des décisions de rescrit contestées. Si la société Finaréa qui, contrairement à ce qu'elle soutient, n'a pas déposé de demande de rescrit, fait valoir qu'elle appartient au même cercle d'intérêts que les bénéficiaires des rescrits attaqués, cette seule circonstance, au demeurant non établie faute de précisions sur les produits de défiscalisation proposées par elle-même, ne suffit pas à établir qu'elle aurait été directement affectée dans son activité économique par une distorsion de concurrence qui résulterait de ces rescrits.
8. La société Finaréa soutient également que la garantie de l'éligibilité des souscriptions des investisseurs à la réduction d'impôt prévue à l'article 885-0 V bis du code général des impôts a conféré un avantage aux sociétés qui ont bénéficié des rescrits contestés, dès lors qu'elle n'a plus pu réaliser les levées de fonds nécessaires pour assurer le développement des petites et moyennes entreprises qu'elle avait ciblées dans les premiers temps de son existence, son développement étant par suite pénalisé, également par la circonstance qu'elle n'a plus pu délivrer de reçus d'éligibilité à la réduction d'impôt, les investisseurs s'étant par suite tournés vers des concurrents proposant les mêmes services mais qui ont bénéficié d'une sécurité juridique accrue. Toutefois, le seul élément dont elle se prévaut à l'appui de ses allégations est tiré de ce que les investisseurs qui avaient acquis des parts des sociétés holdings qu'elle avait constituées ont fait l'objet de contrôles par l'administration fiscale qui ont abouti à des remises en cause des réductions d'impôt de solidarité sur la fortune dont ils avaient bénéficié en application de l'article 885-0 V bis du code général des impôts. Or, dès lors que les souscriptions ont été réalisées en 2008, 2009 et 2010, les rescrits délivrés les 12 janvier et 17 mars 2010 n'ont pu avoir aucun des effets concurrentiels dont se prévaut la société Finaréa sur ces années, pour lesquelles les campagnes de souscription à son capital étaient terminées. Pour les années postérieures, la société Finaréa ne produit aucun élément à l'appui de ses allégations, en se bornant à constater que son activité et celle des sociétés bénéficiaires des rescrits relevaient des mêmes dispositions législatives au titre de l'année 2010.
9. Dans ces conditions, la société Finaréa, en se bornant à se référer aux litiges de plein contentieux pendants devant le juge judiciaire en matière d'impôt de solidarité sur la fortune, n'établit pas qu'elle aurait été directement affectée dans son activité économique par une distorsion de concurrence qui résulterait des rescrits attaqués. Par suite, le jugement attaqué, qui a rejeté les demandes pour défaut d'intérêt à agir, n'est pas irrégulier.
10. A cet égard, à défaut de justifier que son recours serait susceptible, par son résultat, de lui procurer un bénéfice, la société Finaréa n'est en tout état de cause pas fondée à soutenir que les principes d'effectivité du droit européen et d'accès au juge garanti par l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne exigeraient que le fond de sa demande soit examiné.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner la production des rescrits contestés et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles, que la société Finaréa n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes. Ses conclusions aux fins d'annulation de ce jugement et des rescrits attaqués doivent dès lors être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Finaréa demande au titre des frais qu'elle a exposés.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Finaréa est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Finaréa et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Platillero, président assesseur,
- M. Magnard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 novembre 2021.
Le rapporteur,
F. PLATILLEROLe président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVALa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA01197