Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A... B... ont demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contributions sociales, de contribution sur les hauts revenus et des pénalités correspondantes auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011.
Par un jugement n° 1604720/2-2 du 19 avril 2017, le Tribunal administratif de Paris a prononcé un non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement prononcé en cours d'instance et rejeté le surplus de leur demande.
Par un arrêt n° 17PA01421 du 12 juillet 2018, la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par M. et Mme B... contre ce jugement.
Par une décision n°s 424052, 424062 du 22 juillet 2020, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris du 12 juillet 2018 et renvoyé l'affaire devant ladite Cour.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 27 avril 2017, 22 février 2018, 28 juin 2018, 30 octobre 2020 et 17 décembre 2020, M. et Mme B..., représentés par la SCP Bersagol, Piro et Perrot, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement précité ;
2°) de prononcer la décharge sollicitée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les premiers juges ont omis de répondre à leur critique portant sur la pertinence de la méthode de reconstitution de recettes utilisée par le service qui ne concerne que les restaurants, alors que la société dont M. B... est le gérant exerce principalement une activité de café-bar et accessoirement de brasserie et que le chiffre d'affaires des solides ne représente que 35 % du chiffre d'affaires total ;
- les premiers juges ont écarté à tort les deux méthodes de reconstitution de recettes proposées alors même que la jurisprudence admet de procéder à une extrapolation de données d'une année postérieure aux années vérifiées sous réserve que les conditions d'exploitation soient suffisamment stables ;
- les premiers juges n'ont pas appliqué la dialectique de la charge de la preuve ; ils ont repris la rédaction du jugement relatif à la situation de la société pour lequel la charge de la preuve pesait sur cette dernière ; ils ont ainsi méconnu les règles relatives à la charge de la preuve ;
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que l'administration s'est fondée sur les conditions d'exploitation ;
- la décision rejetant leur réclamation préalable n'est pas suffisamment motivée ;
- le service n'a pas respecté le principe du débat oral et contradictoire lors des opérations de contrôle ;
- la critique émise par le service, qui a considéré que certains stocks n'étaient pas fiables, n'est pas sérieuse et résulte d'une affirmation péremptoire ;
- l'administration ne saurait opposer à la société JB3C la circonstance qu'elle n'a pas enregistré des factures dès lors que le fournisseur, qui a commis une erreur, a établi un avoir et que les serviettes de la facture en cause n'ont jamais été commandées ;
- l'administration ne justifie pas les raisons pour lesquelles elle n'a pas retenu la méthode dite " des liquides " ; l'utilisation de cette méthode permet d'obtenir des résultats proches de ceux déclarés par la société ;
- l'administration a utilisé des paramètres arbitraires pour la méthode dite " des serviettes " au lieu de se fonder sur des éléments issus des bandes de contrôles de l'année 2013 ; l'utilisation de la méthode dite " des serviettes " corrigée permet également d'obtenir des résultats proches de ceux déclarés par la société ;
- la seule augmentation des prix ne révèle pas une modification des résultats d'exploitation.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 26 juillet 2017, 17 novembre 2020 et 5 janvier 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 17 décembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 11 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Magnard,
- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique,
- et les observations de Me Piro, représentant M. et Mme B....
Une note en délibéré, enregistrée le 25 novembre 2021, a été présentée par Me Piro pour M. et Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. La SARL JB3C, qui exerce une activité de bar-brasserie et dont M. A... B... est le gérant et associé à hauteur de 50,10 %, a fait l'objet d'un contrôle inopiné le 18 avril 2013 suivi d'une vérification de comptabilité qui a porté sur les exercices clos en 2010 et 2011, dans le cadre de laquelle l'administration a écarté la comptabilité comme non probante et a procédé à la reconstitution des recettes de la période vérifiée. Les minorations de recettes toutes taxes comprises révélées par cette reconstitution au titre des exercices clos en 2010 et 2011, pour des montants respectifs de 799 556 euros et 1 052 669 euros, ont été regardées par l'administration comme distribuées par cette société à M. B..., en sa qualité de maître de l'affaire. L'administration lui a assigné en conséquence des compléments d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre des années 2010 et 2011. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du 19 avril 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la décharge de ces compléments d'impositions et des pénalités correspondantes.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si M. et Mme B... soutiennent que les premiers juges n'ont pas statué sur leur moyen tiré de ce que la méthode de reconstitution de recettes utilisée par le vérificateur, qui ne concerne que les restaurants, n'était pas adaptée à l'activité de bar-brasserie de la société JB3C dont le chiffre d'affaires des solides ne représente que 35 % du chiffre d'affaires total, il résulte du point 12. du jugement attaqué que les premiers juges ont répondu à ce moyen pour l'écarter. Par suite M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier et devrait être annulé.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
3. Les vices susceptibles d'affecter la décision par laquelle l'administration statue sur la réclamation préalable du contribuable sont sans influence sur la régularité ou le bien-fondé des impositions contestées. Par suite, doit être écarté comme inopérant le moyen tiré par M. et Mme B... de ce que la décision du 11 février 2016 prise sur leur réclamation serait insuffisamment motivée.
4. En vertu du principe d'indépendance des procédures, les moyens relatifs à la régularité de la procédure d'imposition suivie à l'encontre d'une société soumise au régime d'imposition des sociétés de capitaux sont sans influence sur les impositions personnelles mises à la charge des bénéficiaires des revenus de capitaux mobiliers distribués par cette société. Par suite, pour contester les impositions en litige, M. et Mme B... ne peuvent utilement faire valoir que la procédure de vérification de comptabilité de la société JB3C était irrégulière au motif que l'administration n'aurait pas respecté le principe du débat oral et contradictoire lors des opérations de contrôle. Ainsi le moyen tiré de l'irrégularité de cette procédure doit être écarté comme inopérant.
Sur le bien-fondé des impositions :
5. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; (...) ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109 les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés ".
6. Aux termes de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales : " Lorsque, ayant donné son accord à la rectification ou s'étant abstenu de répondre dans le délai légal à la proposition de rectification, le contribuable présente cependant une réclamation faisant suite à une procédure contradictoire de rectification, il peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition, en démontrant son caractère exagéré (...) ". M. et Mme B... ayant présenté des observations en réponse aux rectifications qui leur ont été notifiées par la proposition de rectification du 16 décembre 2013, dans le délai de trente jours régulièrement prolongé, la charge de la preuve de la réalité et du montant des distributions incombe à l'administration.
7. Lors des opérations de contrôle sur place, le vérificateur a relevé que la société JB3C n'avait pas été en mesure de présenter les doubles des notes de restaurant, les tickets de caisse et les tickets Z, de nature à justifier du détail de ses recettes. Les recettes étaient globalisées et reportées quotidiennement sur une feuille de papier. Les achats n'avaient pas été comptabilisés. L'inventaire des stocks était imprécis, incomplet et présentait de nombreuses anomalies. Dans ces conditions, l'administration pouvait estimer que la comptabilité de la société JB3C comportait de graves irrégularités et procéder à la reconstitution des recettes et résultats taxables à l'aide d'une méthode extra comptable.
8. Le vérificateur a reconstitué les recettes et résultats imposables de l'établissement exploité par la société JB3C selon la méthode dite " des serviettes ". En l'espèce, cette méthode a consisté, tout d'abord, à déterminer le nombre de couverts servis à partir des serviettes en tissu utilisées au cours de chaque exercice en exploitant les factures de blanchisserie. Un abattement de 10 % a été appliqué pour tenir compte des remplacements des serviettes et de celles utilisées par le personnel en salle et en cuisine. Le vérificateur a ensuite, en tenant compte du nombre de serviettes blanchies et de la circonstance que l'établissement était ouvert tous les jours de l'année, déterminé le nombre de repas servis par jour en moyenne. Il a ainsi retenu 131 repas par jour au titre de l'année 2010 et 132 repas au titre de l'année 2011. Le vérificateur a ensuite déterminé le prix moyen d'un repas hors boisson en se fondant sur la carte de la brasserie avec les tarifs pratiqués en 2010 et 2011, en l'absence de justificatif des recettes. Pour calculer le prix moyen d'un repas, il a fait une moyenne arithmétique des prix des entrées, des plats et des desserts inscrits à la carte, puis il a calculé le montant du prix moyen sur la base d'un repas composé d'un plat et d'un dessert et sur celle d'une entrée et d'un plat. Après avoir effectué la moyenne de ces deux formules, il a obtenu un prix moyen de 21 euros en 2010 et de 24 euros en 2011. A partir de ces éléments, le vérificateur a arrêté le montant du chiffre d'affaires
" brasserie " hors boisson en multipliant le nombre de repas par le prix moyen du ticket. Il a ensuite tenu compte des indications mentionnées par le dirigeant de la société dans son récapitulatif des conditions d'exploitation du 18 septembre 2013, lequel mentionne que le chiffre d'affaires des liquides représente 65 % du chiffre d'affaires total. Il a ainsi reconstitué le chiffre d'affaires total en estimant que le chiffre d'affaires " brasserie hors boisson " représentait 35 % du chiffre d'affaires d'ensemble. Il a corrigé le résultat ainsi obtenu en appliquant un taux forfaitaire de 0,54 % correspondant aux offerts à la clientèle, conformément aux données relevées dans la comptabilité.
9. Les requérants contestent en premier lieu le recours à cette méthode de reconstitution en faisant valoir qu'elle est inadaptée à l'activité de la société JB3C, qui est principalement une activité de café bar, son activité de brasserie étant selon eux accessoire et ne représentant, boissons non comprises, que 35 % du chiffre d'affaires d'ensemble. Cependant, il résulte de l'instruction que le code Naf sous lequel est enregistré la SARL est " restauration traditionnelle " et que l'établissement " Les Trois Obus " exploité par cette société dispose de 12 tables pour le bar, d'une salle intérieure de 140 places assises et d'une terrasse extérieure pouvant accueillir 111 places assises environ. La part de l'activité brasserie hors boisson ne saurait, dans ces conditions, être regardée comme dépourvue de signification eu égard à l'activité globale de l'établissement, alors même qu'elle représenterait 35 % de son chiffre d'affaires. Le moyen tiré de ce que ce pourcentage serait trop faible pour justifier du bien-fondé de la méthode de reconstitution utilisée par l'administration ne peut qu'être écarté. En outre, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le service ne pouvait recourir à la méthode dite " des liquides " en l'absence d'informations suffisamment précises sur les repas servis et les achats revendus de produits liquides. En effet la société n'a pas été en mesure de présenter les doubles de notes de restaurant, les tickets de caisse et les tickets Z, pour l'ensemble de la période de vérifiée, et les inventaires de stocks présentaient de nombreuses anomalies concernant le vin, les alcools forts et les sodas, et ne mentionnaient pas le poids, le format de conditionnement ou la contenance des différents produits en stock.
10. M. et Mme B... contestent en deuxième lieu les paramètres retenus par le vérificateur. Il n'apparaît pas, cependant, que les nombres de 131 et 132 repas journaliers pris en compte seraient exagérés. Un ticket Z édité à 16h16 le 18 avril 2013 lors du contrôle inopiné fait d'ailleurs ressortir 131 repas, alors même que le service du soir n'avait pas débuté et quand bien même cette journée était particulière du fait de la présence d'un groupe de 17 personnes et d'un fort ensoleillement. Il n'apparaît pas non plus que l'abattement de 10 % appliqué pour tenir compte des remplacements des serviettes et de celles utilisées par le personnel en salle et en cuisine aurait été insuffisant, ou que les prix moyens seraient excessifs faute pour le service d'avoir pondéré les entrées, les plats et les desserts. Si les requérants font valoir que le prix moyen du ticket hors boisson fixé par l'administration au titre des années 2010 et 2011 serait anormalement supérieur à celui constaté au titre de l'année 2013, ils ne l'établissent pas, en admettant même que les conditions d'exploitation n'auraient pas évolué entre les années d'imposition et l'année 2013, en se bornant à retenir une journée par mois choisie par eux au cours de la période de juin à décembre 2013, journée dont rien ne permet de constater qu'elle serait significative de l'activité moyenne de l'année 2013. Aucun élément ne permet de s'assurer du caractère probant du document produit devant la Cour, établi par la société JB3C elle-même, prétendument au vu des bandes de contrôles exploitées au cours de 240 jours courant du 1er mai au 31 décembre 2013, soit postérieurement au début des opérations de vérification, et dont il résulterait que le prix du ticket moyen s'élèverait à 18,61 euros inférieur à celui retenu par le service au titre des années d'imposition.
11. M. et Mme B... proposent enfin deux méthodes alternatives, celle
dite " des liquides " et celle dite " des serviettes " corrigée, fondées sur des éléments tirés de l'exploitation de l'année 2013. En l'absence de justificatifs de recettes autorisant la constitution d'un échantillon représentatif de recettes permettant de déterminer la part des liquides dans le chiffre d'affaires total, la méthode dite " des liquides " proposée par la société, qui aboutit à des montants inférieurs aux chiffres d'affaires déclarés, ne saurait être retenue. Il en est de même de la méthode dite " des serviettes " corrigée, qui se borne à reprendre la méthode appliquée par le vérificateur mais avec des données observées au cours d'une période postérieure au contrôle inopiné, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'elles soient plus représentatives de l'activité des années vérifiées que celles retenues par l'administration dans le cadre de sa reconstitution. Rien ne permet notamment de considérer que le nombre de serviettes consacrées aux couverts, calculé par la société sur une période postérieure au début du contrôle, puisse être regardé, alors même que les conditions d'exploitation n'auraient pas changé entre 2010 et 2013, comme identique en 2013, 2010 et 2011.
12. Il résulte de ce qui précède que l'administration apporte la preuve du bien-fondé de la reconstitution des recettes à laquelle elle a procédé.
13. Les requérants n'ayant pas accepté les rectifications en litige, lesquelles leur ont été notifiées selon la procédure contradictoire, il incombe à l'administration de démontrer l'appréhension par M. B... des revenus distribués en cause. L'administration est réputée apporter cette preuve lorsqu'elle établit que l'intéressé disposait seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, était en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et devait ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire.
14. Il est constant que M. B... était, au cours de années en cause, le gérant de droit de la SARL JB3C dont il détenait 50,10 % du capital social. En outre les requérants ne contestent pas les constatations effectuées par l'administration dont il ressort que M. B... était notamment le seul détenteur de la signature sur les comptes bancaires de la société, était en rapport avec les fournisseurs, recrutait et gérait le personnel et signait les déclarations de résultats déposées par la société. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a considéré que M. B... était le maître de l'affaire et devait, par suite, être regardé comme ayant appréhendé les sommes réputées distribuées par la société JB3C.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris, qui a correctement appliqué les règles relatives à la dévolution de la charge de la preuve, a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction de contrôle fiscal d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 24 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 décembre 2021.
Le rapporteur,
F. MAGNARDLe président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA01893