Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. I..., M. M..., M. A... C..., M. H..., M. L..., M. B..., M. D..., Mme N... et le syndicat général CFDT Transports Centre Francilien ont demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 21 mai 2021 par laquelle le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société Kuehne + Nagel SAS.
Par un jugement n° 2106963 du 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 21 mai 2021 par laquelle le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société Kuehne + Nagel et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 10 décembre 2021, et un mémoire en réplique, enregistré le 22 février 2022, la société Kuehne + Nagel, représentée par Me Bredon, demande à la Cour :
1°) à titre principal, d'annuler le jugement n° 2106963 du 14 octobre 2021 du tribunal administratif de Melun ;
2°) et de rejeter la demande présentée par M. I..., M. M..., M. A... C...,
M. H..., M. L..., M. B..., M. D..., Mme N... et le syndicat général CFDT Transports Centre Francilien devant le tribunal administratif de Melun ;
3°) à titre subsidiaire, de rejeter l'appel incident des intimés ;
4°) en tout état de cause, de mettre à la charge solidaire de M. I..., M. M...,
M. A... C..., M. H..., M. L..., M. B..., M. D..., Mme N... et le syndicat général CFDT Transports Centre Francilien le paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif a commis une erreur de droit en considérant que la direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France n'aurait pas pris en compte les moyens internationaux du groupe Kuehne + Nagel pour apprécier le caractère suffisant du plan de sauvegarde de l'emploi dès lors qu'il ne résulte pas des mémoires communiqués par l'administration dans le cadre de la première instance qu'elle a limité son analyse au groupe national et alors qu'il résulte de la décision d'homologation que la direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France, qui a eu connaissance des informations relatives au groupe capitalistique au niveau international, a apprécié le caractère suffisant du plan de sauvegarde de l'emploi au regard des moyens de ce groupe capitalistique ;
- la demande de première instance des requérants doit être rejetée dès lors que la décision du 21 mai 2021 de la direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi est régulière, légale et bien fondée ; en effet, la décision litigieuse a été adoptée par une personne compétente et disposant d'une délégation de signature régulière ; elle fait apparaître les éléments essentiels de l'examen de la direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France, conformément à la jurisprudence, et est ainsi suffisamment motivée ; le comité social et économique central et le comité social et économique d'établissement de Mitry-Mory ont été régulièrement consultés ; la détermination des catégories professionnelles par le document unilatéral est légale ; la fixation de la zone d'emploi d'application des critères d'ordre n'est pas erronée ; le plan de sauvegarde de l'emploi n'est pas insuffisant, le reclassement interne tant au sein de la société Kuehne + Nagel qu'au sein du groupe Kuehne + Nagel étant suffisant, comme les mesures sociales de reclassement interne ; le reclassement externe est également suffisant en ce qui concerne le congé de reclassement, la durée de la mission du cabinet BPI au titre de l'antenne emploi, le montant du budget individuel de formation, l'allocation de différentiel de salaire, l'absence de versement d'une prime à l'embauche à une entreprise extérieure, les aides à la mobilité géographique, l'aide financière à la création ou reprise d'entreprise ; par ailleurs, il n'existe aucune obligation de saisir la commission paritaire nationale de l'emploi et de la formation professionnelle des transports routiers en cas de licenciement pour motif économique collectif ; en outre, les mesures listées à l'article L. 1233-62 du code du travail ne doivent pas obligatoirement figurer dans un plan de sauvegarde de l'emploi ; la société Kuehne + Nagel, qui n'avait aucune obligation de prévoir une priorité de réembauche d'une durée supérieure à celle prévue par les dispositions conventionnelles applicables, a été au-delà de celles-ci en prévoyant dans le document unilatéral une priorité de réembauche d'une durée de 24 mois et en élargissant cette priorité de réembauche d'une durée de 24 mois à tous les salariés quelle que soit leur ancienneté ; enfin, l'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi ne peut être refusée du fait que ce dernier ne prévoit pas le versement d'indemnités supra-légales de licenciement ;
- l'appel incident des intimés doit être rejeté dès lors qu'aucune des deux solutions proposées par les intimés n'est envisageable.
Par un mémoire en appel incident, enregistré le 12 janvier 2022, M. P... I..., M. E... M..., M. T... A... C..., M. K... H..., M. U... L..., M. Q... B..., M. J... D..., Mme F... N... et le syndicat général CFDT Transports Centre Francilien, représentés par Me Champion, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2106963 du 14 octobre 2021 du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 21 mai 2021 par laquelle le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société Kuehne + Nagel et a rejeté le surplus des conclusions des parties ;
3°) à titre principal, de mettre à la charge de la société Kuehne + Nagel, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, d'une part le versement à chacun des requérants personnes physiques de la somme de 1 500 euros et d'autre part le versement au syndicat général CFDT Transports Centre Francilien de la somme de 500 euros ;
4°) de condamner la société Kuehne + Nagel aux dépens de première instance et d'appel sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) à titre subsidiaire, de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, d'une part le versement à chacun des requérants personnes physiques de la somme de 1 500 euros et d'autre part le versement au syndicat général CFDT Transports Centre Francilien de la somme de 500 euros ;
6°) à titre subsidiaire, de condamner l'Etat aux dépens de première instance et d'appel sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- dès lors que, d'une part, en application de l'article L. 1235-10 du code du travail seule l'annulation pour absence ou insuffisance du plan conduit à la nullité des licenciements pour motif économique prononcés ultérieurement par l'employeur, et que, d'autre part, alors que les requérants avaient hiérarchisé dans leur demande de première instance, comme dans leur dernier mémoire en réponse, l'ordre d'examen des moyens, et qu'ainsi le tribunal administratif aurait dû statuer sur les moyens relatifs à l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi, puis sur les autres moyens exposés dans la requête, celui-ci n'a pas statué sur l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi, les requérants sont fondés à présenter un appel incident pour demander l'annulation du plan de sauvegarde de l'emploi ;
- si le juge administratif ne peut pas se substituer à l'employeur ou à l'administration pour délimiter le périmètre exact du groupe de moyens, deux solutions autres que l'annulation de la décision d'homologation pour erreur de droit du fait de la délimitation erronée du groupe de moyens sont envisageables, la première consistant à soutenir que la délimitation erronée du groupe de moyens engendre de facto l'insuffisance du plan de sauvegarde pour l'emploi, permettant ainsi aux salariés de bénéficier d'une réintégration, la seconde consistant, pour le juge administratif, à statuer sur la suffisance du plan à partir du périmètre erroné de groupe de moyens retenu par le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités, le juge administratif prononçant ainsi l'annulation pour insuffisance du plan si, sur le fondement du groupe de moyens erroné, son insuffisance est avérée, et, dans le cas contraire, prononçant l'annulation pour erreur de droit du fait du caractère inexact du périmètre du groupe de moyens ;
- la décision litigieuse du 21 mai 2021 ayant été signée par M. O... S..., directeur régional adjoint, responsable du Pôle Entreprises, économie et emploi, il appartiendra à l'autorité administrative de justifier d'une délégation de pouvoir valide ; à défaut, cette décision est entachée d'illégalité externe ;
- la décision contestée du 21 mai 2021 est entachée d'illégalité externe en raison de l'absence d'une motivation suffisante ;
- la consultation du comité social et économique central et du comité social et économique de l'établissement de Mitry-Mory a été irrégulière, l'employeur n'ayant pas respecté les dispositions conventionnelles de l'accord d'entreprise du 28 novembre 2018 intitulé Accord collectif sur le fonctionnement des CSE et la représentation du personnel au sein de la société Kuehne + Nagel ;
- le périmètre du groupe de moyens n'a pas été déterminé pour apprécier le caractère suffisant du plan de sauvegarde de l'emploi, entachant ainsi d'illégalité la décision querellée du
21 mai 2021 ;
- tant les catégories professionnelles que la zone d'emploi d'application des critères d'ordre déterminées par le document unilatéral homologué sont erronées ;
- le plan de sauvegarde pour l'emploi présente un caractère insuffisant au regard des moyens du groupe ;
- les mesures prises relatives au reclassement interne et au reclassement externe sont insuffisantes ;
- le plan de sauvegarde pour l'emploi présente un caractère insuffisant du fait de l'absence d'action favorisant la reprise de tout ou partie des activités en vue d'éviter la fermeture de l'établissement, en raison de ce que l'allongement de douze mois supplémentaires de la période de priorité de réembauche n'a aucun rapport avec les moyens dont dispose le groupe auquel appartient la société Kuehne + Nagel et du fait du choix de la société Kuehne + Nagel de ne verser aucune indemnité supra-légale aux salariés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. G...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bredon, avocat de la société Kuehne + Nagel, et de Me Fowdar, avocat de M. I..., de M. M..., de M. A... C..., de M. H..., de M. L..., de
M. B..., de M. D..., de Mme N... et du syndicat général CFDT Transports Centre Francilien, en présence de Mme R..., représentant la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 21 mai 2021, le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral portant sur le projet de licenciement économique collectif donnant lieu à la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l'emploi de l'entreprise Kuehne + Nagel SAS. Par le jugement du
14 octobre 2021 dont il est relevé appel, le tribunal administratif de Melun a annulé cette décision du 21 mai 2021.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 1233-24-4 du code du travail : " A défaut d'accord mentionné à l'article L. 1233-24-1, un document élaboré par l'employeur après la dernière réunion du comité social et économique fixe le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi et précise les éléments prévus aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, dans le cadre des dispositions légales et conventionnelles en vigueur. ". Aux termes de l'article L. 1233-57-3 du même code : " En l'absence d'accord collectif ou en cas d'accord ne portant pas sur l'ensemble des points mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié (...) le respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 en fonction des critères suivants : / 1° Les moyens dont disposent l'entreprise, l'unité économique et sociale et le groupe (...) ".
3. Lorsqu'elle est saisie d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail, il appartient ainsi à l'administration, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de vérifier la conformité de ce document et du plan de sauvegarde de l'emploi dont il fixe le contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles applicables, en s'assurant notamment du respect par le plan de sauvegarde de l'emploi des dispositions des articles L. 1233-61 à L. 1233-63 du même code. A ce titre elle doit, au regard de l'importance du projet de licenciement, apprécier si les mesures contenues dans le plan sont précises et concrètes et si, à raison, pour chacune, de sa contribution aux objectifs de maintien dans l'emploi et de reclassement des salariés, elles sont, prises dans leur ensemble, propres à satisfaire à ces objectifs compte tenu, d'une part, des efforts de formation et d'adaptation déjà réalisés par l'employeur et, d'autre part, des moyens dont disposent l'entreprise et, le cas échéant, l'unité économique et sociale et le groupe.
4. Pour l'application des dispositions de l'article L. 1233-57-3 du code du travail, les moyens du groupe s'entendent des moyens, notamment financiers, dont dispose l'ensemble des entreprises placées, ainsi qu'il est dit au I de l'article L. 2331-1 du code du travail, sous le contrôle d'une même entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce, ainsi que de ceux dont dispose cette entreprise dominante, quel que soit le lieu d'implantation du siège de ces entreprises.
5. La décision d'homologation litigieuse du 21 mai 2021 est notamment motivée par la considération " que le plan de sauvegarde de l'emploi est proportionné aux moyens dont dispose l'entreprise et le groupe, compte tenu notamment des moyens dévolus au PSE au regard de la capacité contributive du groupe ", sans préciser si le groupe auquel il est fait référence est le groupe Kuehne + Nagel France ou le groupe Kuehne + Nagel au niveau international. Comme l'ont justement relevé les premiers juges, la direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France, dans ses mémoires en défense de première instance du 27 août 2021 et du 30 septembre 2021, fait preuve d'une certaine ambiguïté en ne distinguant pas clairement les trois périmètres qui doivent être pris en considération (du motif économique, de la recherche de reclassement interne et de moyens) et en évoquant soit les moyens du groupe Kuehne + Nagel France, soit ceux du " groupe " sans autre précision, et non, de manière explicite, le groupe international du même nom auquel appartient la société Kuehne + Nagel France ; elle indique ainsi, s'agissant du groupe de moyens, " qu'il convient de préciser que la direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a bien effectué un contrôle des mesures d'accompagnement prévues au regard des moyens dont dispose le groupe, conformément à l'article L. 1233-57-3 du code du travail ". Par ailleurs, si la direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a adressé le 18 février 2021 à la société Kuehne + Nagel SAS une lettre d'observation rappelant " que les mesures d'accompagnement prévues par le PSE doivent être proportionnées aux moyens dont dispose l'entreprise et le groupe Kuehne + Nagel (...) Par ailleurs, vous nous adresserez les derniers comptes consolidés du groupe ", elle n'a toutefois pas précisé de quel groupe il s'agissait, français ou international. Enfin, la circonstance que le rapport d'expertise du cabinet CE Consultant sur le " Livre 2 ", rédigé à la demande du comité social et économique central de la société, qui présente la situation économique du groupe Kuehne + Nagel dans son ensemble, et donc au niveau international, a été communiqué à l'administration qui l'a visé dans la décision litigieuse, ne saurait établir à lui-seul que la direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France a apprécié le plan de sauvegarde de l'emploi au regard du groupe de moyens considéré au niveau international. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le fait de ne pas avoir pris en considération les moyens du groupe Kuehne + Nagel au niveau international entachait d'illégalité la décision contestée d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi du 21 mai 2021.
Sur l'appel incident :
6. Aux termes de l'article L. 1235-10 du code du travail : " Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, le licenciement intervenu en l'absence de toute décision relative à la validation ou à l'homologation ou alors qu'une décision négative a été rendue est nul. / En cas d'annulation d'une décision de validation mentionnée à l'article L. 1233-57-2 ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-3 en raison d'une absence ou d'une insuffisance de plan de sauvegarde de l'emploi mentionné à l'article L. 1233-61, la procédure de licenciement est nulle. / (...) ". Aux termes de l'article L. 1235-11 du même code : " Lorsque le juge constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de licenciement est nulle, conformément aux dispositions des deux premiers alinéas de l'article L. 1235-10, il peut ordonner la poursuite du contrat de travail ou prononcer la nullité du licenciement et ordonner la réintégration du salarié à la demande de ce dernier, sauf si cette réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l'établissement ou du site ou de l'absence d'emploi disponible. / Lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou lorsque la réintégration est impossible, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. ". Aux termes de l'article L. 1235-16 du même code : " L'annulation de la décision de validation mentionnée à l'article L. 1233-57-2 ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-3 pour un motif autre que celui mentionné au dernier alinéa du présent article et au deuxième alinéa de l'article L. 1235-10 donne lieu, sous réserve de l'accord des parties, à la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. / A défaut, le salarié a droit à une indemnité à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice de l'indemnité de licenciement prévue à l'article
L. 1234-9. / En cas d'annulation d'une décision de validation mentionnée à l'article L. 1233-57-2 ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-3 en raison d'une insuffisance de motivation, l'autorité administrative prend une nouvelle décision suffisamment motivée dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à l'administration. Cette décision est portée par l'employeur à la connaissance des salariés licenciés à la suite de la première décision de validation ou d'homologation, par tout moyen permettant de conférer une date certaine à cette information. / Dès lors que l'autorité administrative a édicté cette nouvelle décision, l'annulation pour le seul motif d'insuffisance de motivation de la première décision de l'autorité administrative est sans incidence sur la validité du licenciement et ne donne lieu ni à réintégration, ni au versement d'une indemnité à la charge de l'employeur. ".
7. D'une part, il résulte des dispositions qui viennent d'être citées que, pour les entreprises qui ne sont pas en redressement ou en liquidation judiciaire, le législateur a attaché à l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision d'homologation ou de validation d'un plan de sauvegarde de l'emploi des effets qui diffèrent selon le motif pour lequel cette annulation est prononcée. Par suite, lorsque le juge administratif est saisi d'une requête dirigée contre une décision d'homologation ou de validation d'un plan de sauvegarde de l'emploi d'une entreprise qui n'est pas en redressement ou en liquidation judiciaire, il doit, si cette requête soulève plusieurs moyens, toujours commencer par se prononcer, s'il est soulevé devant lui, sur le moyen tiré de l'absence ou de l'insuffisance du plan, même lorsqu'un autre moyen est de nature à fonder l'annulation de la décision administrative, compte tenu des conséquences particulières qui, en application de l'article L. 1235-11 du code du travail, sont susceptibles d'en découler pour les salariés. En outre, compte tenu de ce que l'article
L. 1235-16 de ce code, dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015, prévoit désormais que l'annulation d'une telle décision administrative, pour un autre motif que celui tiré de l'absence ou de l'insuffisance du plan, est susceptible d'avoir des conséquences différentes selon que cette annulation est fondée sur un moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision en cause ou sur un autre moyen, il appartient au juge administratif de se prononcer ensuite sur les autres moyens éventuellement présentés à l'appui des conclusions aux fins d'annulation pour excès de pouvoir de cette décision, en réservant, à ce stade, celui tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision administrative. Enfin, lorsqu'aucun de ces moyens n'est fondé, le juge administratif doit se prononcer sur le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision administrative lorsqu'il est soulevé.
8. D'autre part, l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision d'homologation ou de validation d'un plan de sauvegarde de l'emploi ayant des effets qui diffèrent, comme il a été dit ci-dessus, selon le motif pour lequel cette annulation est prononcée, des conclusions à fin d'appel incident dirigées contre le dispositif du jugement ayant annulé pour excès de pouvoir une telle décision, présentées par les parties de première instance qui avaient conclu à cette annulation, sont recevables dès lors que celles-ci soutiennent que le motif d'annulation retenu par le jugement n'était pas celui sur lequel les premiers juges auraient dû se prononcer en premier lieu et qui était susceptible d'avoir des conséquences plus favorables pour les salariés concernés.
9. Par le jugement attaqué du 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 21 mai 2021 du directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France homologuant le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société Kuehne + Nagel au motif " qu'il ne ressort donc pas des pièces du dossier que les moyens internationaux du groupe auraient été pris en compte pour apprécier le caractère suffisant du plan. Par suite, cette omission entache d'illégalité la décision d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi ". Dès lors que la détermination erronée du périmètre d'appréciation des moyens du groupe a nécessairement une incidence sur l'appréciation du caractère suffisant du plan de sauvegarde de l'emploi, le motif d'annulation ainsi retenu par les premiers juges doit être regardé comme fondant " l'annulation d'une décision (...) d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-3 en raison (...) d'une insuffisance de plan de sauvegarde de l'emploi " au sens des dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article L. 1235-10 du code du travail et doit entraîner les effets prévus par ces dispositions. Par suite, M. I..., M. M..., M. A... C..., M. H..., M. L..., M. B..., M. D..., Mme N... et le syndicat général CFDT Transports Centre Francilien, dont les conclusions à fin d'appel incident sont recevables, ne sont pas fondés à soutenir que le tribunal administratif aurait méconnu l'ordre d'examen des moyens soulevés et qu'il n'a pas statué, comme il aurait dû le faire en premier lieu, sur le moyen relatif à l'insuffisance du plan de sauvegarde de l'emploi. Il s'ensuit que leurs conclusions à fin d'appel incident doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
10. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais liés à l'instance. Dès lors, les conclusions présentées à ce titre par la société Kuehne + Nagel doivent être rejetées.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Kuehne + Nagel le paiement à M. I..., à M. M..., à M. A... C..., à M. H..., à M. L..., à M. B..., à M. D..., à Mme N... et au syndicat général CFDT Transports Centre Francilien, pris solidairement, de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Kuehne + Nagel est rejetée.
Article 2 : Les conclusions à fin d'appel incident de M. I..., de M. M..., de M. A... C..., de M. H..., de M. L..., de M. B..., de M. D..., de Mme N... et du syndicat général CFDT Transports Centre Francilien sont rejetées.
Article 3 : La société Kuehne + Nagel versera à M. I..., à M. M..., à M. A... C..., à
M. H..., à M. L..., à M. B..., à M. D..., à Mme N... et au syndicat général CFDT Transports Centre Francilien, pris solidairement, une somme de 1 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Kuehne + Nagel, à M. P... I..., à
M. E... M..., à M. T... A... C..., à M. K... H..., à M. U... L..., à
M. Q... B..., à M. J... D..., à Mme F... N..., au syndicat général CFDT Transports Centre Francilien et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Copie en sera délivrée au directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 7 mars 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marie-Dominique Jayer, première conseillère.
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mars 2022.
Le président-rapporteur,
I. G...L'assesseure la plus ancienne,
M.D. JAYER
Le greffier,
E. MOULINLa République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 21PA06289