Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 8 juillet 2020 par laquelle le préfet du Val-de-Marne a rejeté sa demande de regroupement familial au bénéfice de son époux.
Par un jugement n° 2006994 du 12 janvier 2022, le tribunal administratif de Melun a, d'une part, annulé la décision attaquée et, d'autre part, enjoint à la préfète du Val-de-Marne, ou tout autre service de l'Etat territorialement compétent, de procéder au réexamen de la demande de regroupement familial de Mme C... épouse E... dans un délai de trois mois suivant la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête sommaire et un mémoire ampliatif, enregistrés respectivement le
15 mars 2022 et le 25 avril 2022, la préfète du Val-de-Marne demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2006994 du 12 janvier 2022 du tribunal administratif de Melun ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme C... épouse E... devant le tribunal administratif.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont annulé son arrêté en considérant qu'elle avait méconnu l'étendue de sa compétence en se considérant en situation de compétence liée au motif que les ressources de la requérante étaient insuffisantes et qu'elle ne remplissait donc pas les conditions prévues à l'article 4 de l'accord franco-algérien ; si ses services ne sont en effet pas en situation de compétence liée en matière de regroupement familial et que les décisions portant refus doivent être édictées en prenant en compte la situation de l'étranger au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 4 de l'accord franco-algérien précise que le demandeur doit justifier de ressources stables et suffisantes, égales ou supérieures au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) s'agissant des ressortissants algériens et que, sur la période de référence, la demande ayant été déposée au mois de novembre 2018, l'intéressée avait un revenu mensuel moyen de 1 106,22 euros jusqu'en décembre 2017 (1 151,50 euros pour la période allant de novembre 2017 à novembre 2018), puis de 1 173,60 euros jusqu'en septembre 2018 et enfin de 1 187,83 pour le mois d'octobre 2018, sans qu'il soit justifié des revenus de son conjoint ; par ailleurs, Mme C... épouse E..., qui vit en France depuis 2003 avec son fils né en 2001, ne démontre pas en quoi le bénéfice du regroupement familial au profit de son époux serait contraire aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'ils vivaient séparément depuis plus de quinze ans à la date de la demande ;
- s'agissant des autres moyens soulevés par la requérante en première instance, ils ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juin 2022, Mme C... épouse E..., représentée par Me Le Gloan, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la préfète du Val-de-Marne ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,
- et les observations de Me Le Gloan, avocat de Mme C... épouse E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... épouse E..., ressortissante algérienne née le 31 décembre 1958, est entrée en France en avril 2003. Titulaire d'une carte de résidence valable du 23 avril 2020 au 22 avril 2030, elle a sollicité le 6 novembre 2018 le regroupement familial au bénéfice de son époux sur le fondement de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1986 modifié. Par une décision du 8 juillet 2020, la préfète du Val-de-Marne a rejeté cette demande. La préfète du Val-de-Marne relève appel du jugement du 12 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté et lui a enjoint de procéder au réexamen de la demande de regroupement familial de Mme C... dans un délai de trois mois suivant la notification du jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. D'une part, aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien du
27 décembre 1968 : " Les membres de la famille qui s'établissent en France sont mis en possession d'un certificat de résidence de même durée de validité que celui de la personne qu'ils rejoignent. / Sans préjudice des dispositions de l'article 9, l'admission sur le territoire français en vue de l'établissement des membres de famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de validité d'au moins un an, présent en France depuis au moins un an sauf cas de force majeure, et l'octroi du certificat de résidence sont subordonnés à la délivrance de l'autorisation de regroupement familial par l'autorité française compétente. / Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1 - le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont pris en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales. L'insuffisance des ressources ne peut motiver un refus si celles-ci sont égales ou supérieures au salaire minimum interprofessionnel de croissance / 2 - le demandeur ne dispose ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France. / Peut être exclu de regroupement familial : / (...) 2 - un membre de la famille séjournant à un autre titre ou irrégulièrement sur le territoire français (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Le droit au respect de la vie privée et familiale ne saurait s'interpréter comme comportant pour un Etat l'obligation générale de respecter le choix, par les couples mariés, de leur domicile commun et d'accepter l'installation de conjoints non nationaux dans le pays.
4. Si, lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet est en droit de rejeter la demande dans le cas où l'intéressé ne justifierait pas remplir l'une ou l'autre des conditions légalement requises, il dispose toutefois d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu par les dispositions précitées, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il ressort des termes de la décision litigieuse du 8 juillet 2020 que, pour refuser à Mme C... épouse E... le bénéfice du regroupement familial au profit de son époux, le préfet du Val-de-Marne s'est fondé sur le seul motif tiré de l'insuffisance des ressources de l'intéressée, en se bornant à énoncer que Mme C... épouse E... " ne justifi[ait] pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de votre conjoint(e) ", sans aucune autre précision ou élément issu d'un examen de la situation personnelle ou familiale de la requérante, alors qu'il lui appartenait de procéder à un examen de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment des incidences de son refus sur la situation de Mme C... épouse E... au regard de son droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, comme l'ont jugé à bon droit les premiers juges, en s'abstenant ainsi d'examiner si sa décision portait une atteinte excessive au droit au respect de la vie familiale de l'intéressée, le préfet du Val-de-Marne doit être regardé comme s'étant, à tort, estimé lié par l'insuffisance des ressources de celle-ci pour rejeter la demande dont il était saisi et ayant, dès lors, méconnu l'étendue de son pouvoir d'appréciation, entachant ainsi sa décision d'une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède que la préfète du Val-de-Marne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé sa décision du 8 juillet 2020 et lui a enjoint de de procéder au réexamen de la demande de regroupement familial de Mme C... épouse E... dans un délai de trois mois suivant la notification du jugement.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la préfète du Val-de-Marne est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme B... C... épouse E....
Copie en sera adressée à la préfète du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience publique du 21 juin 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 septembre 2022.
Le président-rapporteur,
I. A...
L'assesseure la plus ancienne,
M. D...La greffière,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA01230
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