Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 2 décembre 2021 par lequel le préfet de police a décidé qu'il serait transféré aux autorités espagnoles.
Par un jugement n° 2127125 du 14 janvier 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 14 février 2022, M. C..., représenté par Me Pafundi, demande à la Cour :
1°) de l'admettre provisoirement à l'aide juridictionnelle ;
2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 14 janvier 2022 ;
3°) d'annuler l'arrêté du préfet de police du 2 décembre 2021 ;
4°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un dossier de demande d'asile en procédure normale ainsi qu'une attestation de demande d'asile dans le délai de 24 heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté méconnaît l'article 11 du règlement (UE) n° 604/2013, dès lors que l'Italie doit être considéré comme l'Etat responsable de l'examen des demandes d'asile formées par son épouse et lui-même ;
- il méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en raison du risque que les autorités espagnoles le renvoient en Côte d'Ivoire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mai 2022, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 31 janvier 2022, M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de la méconnaissance du champ d'application de la loi, le préfet de police ne pouvant fonder l'arrêté litigieux sur le 2 de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'à la date de cet arrêté, M. C... avait déjà fait l'objet d'une décision sur le fond.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- et les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... C..., ressortissant ivoirien né le 1er janvier 1983, a sollicité son admission au séjour en France au titre de l'asile. Estimant que les autorités françaises n'étaient pas responsables de l'examen de sa demande d'asile, le préfet de police a saisi les autorités espagnoles d'une demande de prise en charge, qu'elles ont acceptée implicitement le 25 août 2021. Par un arrêté du 2 décembre 2021, le préfet a décidé son transfert aux autorités espagnoles. M. C... fait appel du jugement du 14 janvier 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Par une décision du 31 janvier 2022, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a admis M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Ses conclusions tendant à ce que la Cour lui accorde le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire sont ainsi dépourvues d'objet.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, figurant dans le chapitre II de ce règlement intitulé " Principes généraux et garanties " : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. (...) ". Aux termes de l'article 11 figurant dans le chapitre III de ce règlement intitulé " Critères de détermination de l'Etat responsable " : " Lorsque plusieurs membres d'une famille (...) introduisent une demande de protection internationale dans un même État membre simultanément, ou à des dates suffisamment rapprochées pour que les procédures de détermination de l'État membre responsable puissent être conduites conjointement, et que l'application des critères énoncés dans le présent règlement conduirait à les séparer, la détermination de l'État membre responsable se fonde sur les dispositions suivantes : / a) est responsable de l'examen des demandes de protection internationale de l'ensemble des membres de la famille (...), l'État membre que les critères désignent comme responsable de la prise en charge du plus grand nombre d'entre eux ; / b) à défaut, est responsable l'État membre que les critères désignent comme responsable de l'examen de la demande du plus âgé d'entre eux ". Aux termes de l'article 17 du même règlement, figurant dans son chapitre IV " Personnes à charge et clauses discrétionnaires " : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque A... membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité (...) / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit. / (...) / Si l'État membre requis accède à la requête, la responsabilité de l'examen de la demande lui est transférée ". Aux termes de l'article 18 du même règlement, figurant dans son chapitre V, intitulé " Obligations de l'Etat membre responsable " : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) / b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; (...) / d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. (...) ". Enfin, aux termes du 1 de l'article 23, figurant dans le chapitre VI du règlement, intitulé " Procédures de prise en charge et de reprise en charge " : " Lorsqu'un État membre auprès duquel une personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), a introduit une nouvelle demande de protection internationale estime qu'un autre État membre est responsable conformément (...) à l'article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne ".
4. En vertu du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013, lorsqu'une demande de protection internationale est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, un seul A..., parmi ceux auxquels s'applique ce règlement, est responsable de son examen. Cet A..., dit A... membre responsable, est déterminé en faisant application des critères énoncés aux articles 7 à 15 du chapitre III du règlement ou, lorsqu'aucun A... membre ne peut être désigné sur la base des critères du règlement, en faisant application du premier alinéa du paragraphe 2 de l'article 3. L'article 17 du règlement prévoit en outre des clauses discrétionnaires, en vertu desquelles un A... membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale alors même que cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par ce règlement.
5. L'Etat membre responsable est tenu de prendre en charge, sur le fondement du a) du paragraphe 1 de l'article 18 du chapitre V du règlement, l'étranger qui présente sa demande de protection internationale dans un autre A... membre. S'il a déjà commencé à examiner une demande de protection internationale présentée auprès de lui par l'intéressé, il est tenu, sur le fondement des b), c) et d) du paragraphe 1 de l'article 18, de reprendre en charge ce dernier lorsque celui-ci a présenté une demande dans un autre État membre ou se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé en grande chambre dans son arrêt du 2 avril 2019, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie c/ H. et a.,
C-582/17 et C-583/17, dans le cadre de la procédure de prise en charge, l'autorité compétente de l'État membre auprès duquel une demande a été introduite ne peut adresser à un autre État membre une requête aux fins d'une telle prise en charge que si elle l'estime responsable de l'examen de la demande sur la base des critères énoncés au chapitre III du règlement. Il n'en va pas de même pour la procédure de reprise en charge lorsque l'État membre requérant estime qu'un autre État membre est responsable conformément à l'article 18, paragraphe 1, b) à d), les obligations prévues par ces dispositions n'étant applicables que si le processus de détermination de l'État membre responsable de l'examen de la demande a auparavant été achevé dans l'État membre requis et a conduit ce dernier à reconnaître sa responsabilité. Dans une telle situation en effet, la responsabilité de l'examen de la demande étant déjà établie, il n'y a pas lieu de procéder à une nouvelle application des règles régissant le processus de détermination de cette responsabilité, au premier rang desquelles figurent les critères énoncés au chapitre III du règlement.
6. Enfin, en vertu du paragraphe 1 de l'article 19 du règlement, les obligations de l'Etat membre responsable sont transférées à l'Etat membre qui délivre au demandeur un titre de séjour. En vertu du paragraphe 1 de son article 21, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'Etat membre auprès duquel la demande a été introduite s'il ne formule pas de requête aux fins de prise en charge du demandeur dans un certain délai. Et, en vertu du paragraphe 2 de son article 29, la responsabilité de prendre en charge ou de reprendre en charge un demandeur peut être transférée à l'Etat membre requérant si le transfert n'est pas exécuté dans un certain délai.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. C... et son épouse ou concubine Mme B..., de nationalité ivoirienne, sont entrés irrégulièrement sur le territoire français et y ont sollicité l'asile par des demandes enregistrées le 28 mai 2021. La consultation du fichier " Eurodac " a montré que M. C... avait sollicité l'asile auprès des autorités italiennes le 8 mars 2017, tandis que sa compagne avait fait l'objet d'une prise d'empreintes par les autorités espagnoles le 26 janvier 2021. Les autorités italiennes ont alors été saisies d'une demande de reprise en charge de M. C..., sur le fondement du b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ainsi que d'une demande de prise en charge de Mme B... sur le fondement de l'article 11 du même règlement. Elles ont accepté, le 28 juin 2021, de reprendre en charge M. C... sur le fondement du d) du 1 de l'article 18 du règlement mais refusé de prendre en charge sa compagne. Le préfet de police a également saisi, le 24 juin 2021, les autorités espagnoles d'une demande de prise en charge de Mme B..., sur le fondement de l'article 13 du règlement, au titre de l'entrée ou du séjour dans un A... membre, ainsi que de M. C..., sur le fondement de l'article 11 du règlement. Par des décisions implicites du 25 août 2021, les autorités espagnoles ont accepté de prendre en charge les intéressés. Le préfet de police a pris, le 2 décembre 2021, l'arrêté attaqué décidant le transfert de M. C... à ces autorités, qu'il a regardées comme responsables de sa demande d'asile en application de l'article 17 du règlement.
8. Toutefois, il résulte des termes mêmes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, intitulé " clauses discrétionnaires ", que son paragraphe 1 donne la possibilité à tout A... membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride. Quant à son paragraphe 2, il ouvre la faculté à un A... membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable, ou bien à l'Etat responsable lui-même, si une première décision n'a pas déjà été prise sur le fond, de demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16 du règlement. Or il ressort des pièces du dossier que M. C... avait déjà présenté une demande d'asile auprès de l'Italie, que les autorités de cet A... avaient rejetée, et qu'ainsi une première décision avait déjà été prise sur le fond. Par suite, en regardant l'Espagne comme responsable de l'examen de la demande de protection internationale de M. C... et en prenant, sur le fondement des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, un arrêté décidant de le transférer vers ce A..., le préfet de police a, alors même que l'Espagne avait implicitement accepté de prendre en charge l'intéressé, méconnu le champ d'application de ces dispositions.
9. Si le préfet de police a saisi les autorités espagnoles d'une demande de prise en charge présentée au titre de l'article 11 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, les dispositions de cet article 11 s'appliquent uniquement à la procédure de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale. Dès lors que l'Italie avait déjà admis sa responsabilité pour examiner la demande de protection internationale de M. C..., dont elle avait même, au demeurant, achevé l'examen, il résulte des dispositions du paragraphe 1 de l'article 3 du règlement, prévoyant que la demande de protection internationale est examinée par un seul A... membre, qu'il n'y avait pas lieu de faire application des critères énoncés au chapitre III du règlement pour procéder à une nouvelle détermination de cette responsabilité. Par suite, le préfet de police ne pouvait pas davantage prendre un arrêté de transfert de M. C... aux autorités espagnoles sur le fondement de l'article 11 du règlement.
10. Il résulte de ce qui précède que, alors même que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas de nature à entraîner l'annulation de l'arrêté contesté, le requérant est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 5 octobre 2021.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
11. Eu égard au motif de l'annulation de l'arrêté contesté, et alors que M. C... ne conteste pas que le délai de son transfert a été porté à dix-huit mois, le présent arrêt n'implique pas que le préfet de police enregistre, en reconnaissant la compétence de la France, sa demande d'asile mais seulement qu'il prenne une nouvelle décision sur sa situation. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de police de prendre une nouvelle décision dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 14 janvier 2022 et l'arrêté du préfet de police du 2 décembre 2021 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de prendre, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, une nouvelle décision sur la situation de M. C....
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 30 juin 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Fombeur, présidente de la Cour,
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- M. Aggiouri, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 septembre 2022.
La présidente de chambre,
H. VINOT La présidente-rapporteure,
P. E...
La greffière,
F. DUBUY-THIAM
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA00673