Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... E... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision du 18 juillet 2019 par laquelle le préfet de la Seine-et-Marne a refusé de lui délivrer une carte nationale d'identité et un passeport.
Par un jugement n° 2000962 du 29 septembre 2020, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 28 octobre 2020 et le 3 juin 2021, Mme E..., représentée par Me Peiffer-Devonec, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2000962 du 29 septembre 2020 du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler la décision du 18 juillet 2019 par laquelle le préfet de la Seine-et-Marne a refusé de lui délivrer une carte nationale d'identité et un passeport ;
3°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer une carte nationale d'identité et un passeport français dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de lui délivrer un récépissé de demande d'une carte nationale d'identité et un passeport français dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- faute pour le préfet d'établir que la personne l'ayant reconnue n'est pas M. A... C..., il devait renouveler le passeport en application de l'article 5-1 du décret du 30 décembre 2005 :
- aucune pièce du dossier ne permettait au tribunal de s'assurer que la décision contestée était fondée sur un doute suffisant quant à l'identité de son père ;
- à supposer même établi le caractère frauduleux de l'acte de reconnaissance, l'action en contestation par le ministère public était prescrite en application de l'article 321 du code civil dès lors que la filiation a été établie le 10 avril 2008, sans qu'y fasse obstacle la suspension prévue par ces dispositions pendant la minorité de l'enfant ;
- elle ne peut revendiquer la possession d'état de Français en application des dispositions de l'article 21-13 du code civil dès lors qu'elle a été constituée par fraude ;
- elle ne peut revendiquer la nationalité ivoirienne, faute de détenir de documents d'identité de sa mère décédée en 2002.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 mai 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 ;
- le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,
- et les observations de Me Peiffer-Devonec, représentant Mme E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., née le 17 octobre 2000, a sollicité la délivrance d'un passeport et d'une carte nationale d'identité. Par une décision du 18 juillet 2019, le préfet de la Seine-et-Marne lui a opposé un refus. Mme E... relève appel du jugement du 29 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Montreuil, saisi par elle à cette fin, a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 2 du décret du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité : " La carte nationale d'identité est délivrée sans condition d'âge à tout Français qui en fait la demande. / Elle est délivrée ou renouvelée par le préfet ou le sous-préfet. / (...) ". Aux termes du II de l'article 4 de ce même décret: " La preuve de la nationalité française du demandeur peut être établie à partir de l'extrait d'acte de naissance mentionné au c du I portant en marge l'une des mentions prévues aux articles 28 et 28-1 du code civil. / Lorsque l'extrait d'acte de naissance mentionné à l'alinéa précédent ne suffit pas à établir la nationalité française du demandeur, la carte nationale d'identité est délivrée sur production de l'une des pièces justificatives mentionnées aux articles 34 ou 52 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 modifié relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française. / Lorsque les documents mentionnés aux alinéas précédents ne suffisent pas à établir sa nationalité française, le demandeur peut justifier d'une possession d'état de Français de plus de dix ans. / Lorsque le demandeur ne peut produire aucune des pièces prévues aux alinéas précédents afin d'établir sa qualité de Français, celle-ci peut être établie par la production d'un certificat de nationalité française. ".
3. Aux termes de l'article 4 du décret du 30 décembre 2005 relatif aux passeports : " Le passeport est délivré, sans condition d'âge, à tout Français qui en fait la demande. / (...) ". L'article 5-1 du même décret précise que : " (...) II. - En cas de perte ou de vol d'un passeport délivré en application du décret n° 2008-426 du 30 avril 2008 ayant modifié le présent décret, valide ou périmé depuis moins de cinq ans à la date de la demande du renouvellement, un nouveau passeport est délivré sur production par le demandeur de sa déclaration de perte ou de vol ; en pareil cas, sous réserve de la vérification des informations produites à l'appui de la demande du titre perdu ou volé, le demandeur est dispensé d'avoir à justifier de son état civil et de sa nationalité française. / (...) ".
4. Aux termes de l'article 334 du code civil : " A défaut de possession d'état conforme au titre, l'action en contestation peut être engagée par toute personne qui y a un intérêt dans le délai prévu à l'article 321. ". L'article 336 du même code dispose que : " La filiation légalement établie peut être contestée par le ministère public si des indices tirés des actes eux-mêmes la rendent invraisemblable ou en cas de fraude à la loi. ". En vertu de l'article 321 du même code : " Sauf lorsqu'elles sont enfermées par la loi dans un autre délai, les actions relatives à la filiation se prescrivent par dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l'état qu'elle réclame, ou a commencé à jouir de l'état qui lui est contesté. A l'égard de l'enfant, ce délai est suspendu pendant sa minorité. ".
5. Pour l'application des dispositions citées aux points 2 et 3, il appartient aux autorités administratives de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que les pièces produites à l'appui d'une demande de carte d'identité ou de passeport sont de nature à établir l'identité et la nationalité du demandeur. Seul un doute suffisant sur l'identité ou la nationalité de l'intéressé peut justifier le refus de délivrance ou de renouvellement de ces titres. Pour l'application des dispositions citées au point 4, si la reconnaissance d'un enfant est opposable aux tiers, en tant qu'elle établit un lien de filiation et, le cas échéant, en tant qu'elle permet l'acquisition par l'enfant de la nationalité française, dès lors que cette reconnaissance a été effectuée conformément aux conditions prévues par le code civil, et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'une action en contestation de filiation n'a pas abouti, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi, lors de l'examen d'une demande de carte nationale d'identité ou de passeport français, que la reconnaissance de paternité a été souscrite dans le but de faciliter l'obtention de la nationalité française, de faire échec à cette fraude et de refuser, tant que la prescription prévue par l'article 321 du code civil n'est pas acquise, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la délivrance du titre d'identité.
6. Mme E..., née le 17 octobre 2000 à Abidjan de Mme B... E..., et reconnue le 10 avril 2008 par M. A... C..., a été titulaire d'une carte nationale d'identité valable du 28 mai 2008 au 27 mai 2018 et d'un passeport valable du 28 mai 2008 au 27 mai 2013. Elle a déposé une demande de renouvellement de ces documents à laquelle le préfet de la Seine-et-Marne a opposé un refus par une décision du 18 juillet 2019. La décision contestée relève que l'identité de M. A... C... est revendiquée par plusieurs personnes, que le ministère de l'intérieur considère que le passeport n° 06AY30747 établi à ce nom n'a pas été délivré au titulaire de cet état-civil, que ce passeport a été invalidé au motif d'une usurpation d'identité, que l'homme l'ayant reconnue n'est pas le véritable titulaire de cet état-civil et n'a pas effectué cette reconnaissance sous sa véritable identité et qu'elle ne peut de ce fait, prétendre à la délivrance des documents demandés en déclarant qu'elle est française par filiation paternelle telle que prévue par l'article 18 du code civil.
7. Quand bien même le préfet de la Seine-et-Marne pouvait refuser à Mme E... la délivrance de la carte nationale d'identité et du passeport demandés s'il avait un doute suffisant quant à sa nationalité, il ne pouvait cependant le faire que dans le délai prévu par l'article 321 du code civil sans qu'y fassent obstacle les dispositions de cet article prévoyant une suspension du délai de prescription " à l'égard de l'enfant ", seul à même de bénéficier de cette suspension, délai qui était en l'espèce acquis du fait de la reconnaissance de paternité effectuée le 10 avril 2008. Mme E... est dès lors fondée à soutenir qu'en prenant la décision contestée, le préfet de la Seine-et-Marne a méconnu les dispositions de l'article 2 du décret du 22 octobre 1955 et de l'article 4 du décret du 30 décembre 2005 susvisés et que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, ce jugement doit être annulé, ainsi que la décision du 18 juillet 2019.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Eu égard au motif d'annulation de l'arrêté attaqué ci-dessus retenu, le présent arrêt implique nécessairement que le préfet de la Seine-Saint-Denis délivre à Mme E... une carte nationale d'identité et un passeport. Il y a donc lieu d'enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis d'y procéder dans un délai de trois mois sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Mme E... de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er: Le jugement n° 2000962 du 29 septembre 2020 du tribunal administratif de Montreuil ainsi que la décision du 18 juillet 2019 du préfet de la Seine-et-Marne sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer à Mme E... une carte nationale d'identité et un passeport dans le délai de trois mois à compter de la notification qui sera faite du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme E... une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... E..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Seine-Saint-Denis.
Copie en sera délivrée au préfet de la Seine-et-Marne.
Délibéré après l'audience du 29 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. Gobeill, premier conseiller,
- Mme Guilloteau, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 octobre 2022.
Le rapporteur,
J.F D...Le président,
J. LAPOUZADE
La greffière
C. POVSE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA03124