Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... F... et M. G... F... ont, par deux requêtes distinctes, demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi que des intérêts de retard correspondants auxquels ils ont été chacun assujettis au titre de l'année 2007 en leur qualité d'ayants droit de leur mère, Mme E... F..., décédée en 2008.
Par un jugement nos 2016746-2016747/1-1 du 2 novembre 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté ces demandes.
Procédure devant la Cour :
Par deux requêtes distinctes enregistrées le 23 décembre 2021, M. D... F... et M. G... F..., représentés par Me Eric Planchat, demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 2 novembre 2021 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, en ce qui concerne chacune des deux requêtes, la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la proposition de rectification du 20 décembre 2017 est insuffisamment motivée ;
- c'est à tort que l'administration fiscale a fait application du droit de reprise prévu par l'article L. 169 du livre des procédures fiscales alors même que le compte étranger générateur des sommes litigieuses n'était pas soumis à l'obligation déclarative prévue à l'article 1649 A du code général des impôts, son ayant-droit économique étant une fondation qui n'est pas installée en France ;
- la réponse ministérielle C... du 29 décembre 2015 a précisé que l'obligation déclarative ne concerne que les titulaires de ces comptes et les bénéficiaires d'une procuration sur ces comptes ;
- l'administration ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article 123 bis du code général des impôts, dès lors qu'elle ne prouve pas que la fondation A... résulte d'un montage artificiel.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 mai 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de ces requêtes.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par MM. F... ne sont pas fondés.
Par des ordonnances du 13 juin 2022, la clôture de l'instruction de ces deux requêtes a été fixée au 28 juin 2022.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la décision n° 2017-659 QPC du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2017 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,
- et les observations de Me Planchat, représentant MM. F....
Considérant ce qui suit :
1. M. D... F... et M. G... F..., qui sont frères, ont souhaité régulariser auprès de l'administration fiscale leur situation fiscale, au regard d'avoirs détenus à l'étranger non déclarés, conformément à la circulaire n° 672 du 21 juin 2013 dite " circulaire Cazeneuve ". Ils ont chacun déposé le 8 octobre 2014 un dossier de régularisation comprenant notamment la déclaration d'un compte détenu par la fondation A... et ouvert sous le n° 240/584.520 au sein de la banque UBS de Genève. La procédure transactionnelle n'ayant pas abouti, les intéressés ont fait l'objet d'un contrôle fiscal. L'administration a considéré, nonobstant les explications apportées par les intéressés, que leur mère, décédée en 2008, et dont ils sont les ayants droit, était titulaire de ce compte via la fondation. Ce compte n'ayant pas été mentionné dans les déclarations de revenus de Mme F... au titre de l'année 2007, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ont été mises à leur charge par avis de mise en recouvrement du 30 novembre 2019. MM. F..., par les deux requêtes distinctes susvisées, relèvent appel du jugement en date du 2 novembre 2021 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes tendant à la décharge totale de ces impositions. Ces requêtes sont dirigées contre le même jugement, présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu, par conséquent, de les joindre pour y statuer par un seul et même arrêt.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile.
3. Les requérants soutiennent que la proposition de rectification dont chacun d'eux a été destinataire le 20 décembre 2017 n'est pas suffisamment motivée, dès lors qu'elle ne mentionne pas le fondement légal de la prescription décennale ayant permis à l'administration de rectifier leurs revenus au titre de l'année 2007. Les propositions de rectification, adressées respectivement à chacun des requérants, comportent un exposé précis des éléments de fait justifiant les redressements envisagés et indiquent, en particulier, que les revenus de la fondation A... sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers. L'administration fiscale fait référence à l'article 123 bis du code général des impôts qui fonde en droit les impositions contestées. Les propositions de rectifications sont ainsi suffisamment motivées, alors même qu'elles ne font pas mention des dispositions de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales justifiant l'application aux requérants du délai spécial de reprise de dix ans.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due.(...) Le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque les obligations déclaratives prévues aux articles 123 bis, 209 B, 1649 A, 1649 AA et 1649 AB du même code n'ont pas été respectées. (...) Le droit de reprise de l'administration concerne les seuls revenus ou bénéfices afférents aux obligations déclaratives qui n'ont pas été respectées ".
5. Aux termes de l'article 1649 A du code général des impôts : " (...) Les personnes physiques, les associations, les sociétés n'ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, sont tenues de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes ouverts, utilisés ou clos à l'étranger (...) ". Enfin, aux termes de l'article 344 A de l'annexe III au code général des impôts : " I. Les comptes à déclarer en application du deuxième alinéa de l'article 1649 A du code général des impôts sont ceux ouverts auprès de toute personne de droit privé ou public qui reçoit habituellement en dépôt des valeurs mobilières, titres ou espèces. / II. Les personnes physiques joignent la déclaration de compte à la déclaration annuelle de leurs revenus. (...) III. La déclaration de compte mentionnée au II porte sur le ou les comptes ouverts, utilisés ou clos, au cours de l'année ou de l'exercice par le déclarant, l'un des membres de son foyer fiscal ou une personne rattachée à ce foyer. Un compte est réputé être détenu par l'une des personnes visées au premier alinéa dès lors que celle-ci en est titulaire, co-titulaire, bénéficiaire économique ou ayant droit économique. Un compte est réputé avoir été utilisé par l'une des personnes visées au premier alinéa dès lors que celle-ci a effectué au moins une opération de crédit ou de débit pendant la période visée par la déclaration, qu'elle soit titulaire du compte ou qu'elle ait agi par procuration, soit pour elle-même, soit au profit d'une personne ayant la qualité de résident ".
6. Il résulte des dispositions de l'article 1649 A du code général des impôts et de l'article 344 A de l'annexe III à ce code que l'obligation de déclaration ne porte pas uniquement sur les comptes dont le contribuable est titulaire mais également sur les comptes qu'il a utilisés.
7. Les requérants soutiennent que, si Mme F... disposait de la qualité d'ayant droit économique de la fondation A... créée par elle en 1998, c'est bien la fondation A... qui est propriétaire du compte bancaire litigieux ouvert en Suisse et que cette fondation, sise hors de France, n'était pas soumise à l'obligation de déclarer ce compte conformément au droit français. Cependant, et en tout état de cause, il est constant que Mme E... F... était la seule bénéficiaire des avoirs figurant dans le compte n° 240/584.520 détenu au nom de la fondation A... en 2007. Il ressort de plus de l'instruction que le compte a encaissé des revenus de placement à hauteur de 10 949 euros pour l'année litigieuse. Ces seules circonstances suffisent à placer Mme E... F... sous le régime des obligations déclaratives de l'article 1649 A précité, alors même qu'elle ne disposait pas de procuration sur le compte. Dès lors que Mme E... F..., mère des requérants, n'a pas déclaré le compte ouvert en Suisse, dont elle disposait pour l'année 2007, en méconnaissance de l'obligation posée par l'article 1649 A, l'administration pouvait se prévaloir de la prescription décennale prévue par les dispositions précitées de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales. Les requérants, à supposer qu'ils aient entendu le faire, ne sont pas fondés à invoquer, eu égard à sa date, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, la réponse ministérielle à
M. C..., parlementaire, n° 82934 du 29 décembre 2015 qui, au demeurant, ne concerne pas le cas des contribuables disposant d'un compte bancaire par l'intermédiaire d'une fondation dont ils sont les ayants droit économiques.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 123 bis du code général des impôts : " 1. Lorsqu'une personne physique domiciliée en France détient directement ou indirectement 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une entité juridique - personne morale, organisme, fiducie ou institution comparable - établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié, les bénéfices ou les revenus positifs de cette entité juridique sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de cette personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu'elle détient directement ou indirectement lorsque l'actif ou les biens de la personne morale, de l'organisme, de la fiducie ou de l'institution comparable sont principalement constitués de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants. /Pour l'application du premier alinéa, le caractère privilégié d'un régime fiscal est déterminé conformément aux dispositions de l'article 238 A par comparaison avec le régime fiscal applicable à une société ou collectivité mentionnée au 1 de l'article 206. /2. Les actions, parts, droits financiers ou droits de vote détenus indirectement par la personne physique mentionnée au 1, s'entendent des actions, parts, droits financiers ou droits de vote détenus par l'intermédiaire d'une chaine d'actions, de parts, de droits financiers ou de droits de vote (...). /3. Les bénéfices ou les revenus positifs mentionnés au 1 sont réputés acquis le premier jour du mois qui suit la clôture de l'exercice de l'entité juridique établie ou constituée hors de France ou, en l'absence d'exercice clos au cours d'une année, le 31 décembre. Ils sont déterminés selon les règles fixées par le présent code comme si l'entité juridique était imposable à l'impôt sur les sociétés en France. L'impôt acquitté localement sur les bénéfices ou revenus positifs en cause par l'entité juridique est déductible du revenu réputé constituer un revenu de capitaux mobiliers de la personne physique, dans la proportion mentionnée au 1, à condition d'être comparable à l'impôt sur les sociétés ".
9. Par une décision n° 2017-659 QPC du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2017, cette juridiction a jugé qu'en adoptant l'article 123 bis, le législateur a poursuivi un but de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales de personnes physiques qui détiennent des participations dans des entités principalement financières localisées hors de France et bénéficiant d'un régime fiscal privilégié, que ce but constitue un objectif de valeur constitutionnelle, mais que toutefois, les dispositions en cause ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au principe d'égalité devant les charges publiques, faire obstacle à ce que le contribuable puisse être autorisé à prouver, afin d'être exempté de l'application de l'article 123 bis, que la participation qu'il détient dans l'entité établie ou constituée hors de France n'a ni pour objet ni pour effet de permettre, dans un but de fraude ou d'évasion fiscales, la localisation de revenus à l'étranger.
10. Contrairement à ce qui est soutenu, il ne résulte pas des dispositions précitées, telles qu'interprétées par le Conseil constitutionnel, que pèserait sur l'administration la charge d'apporter la preuve de l'existence d'un montage artificiel. Les requérants ne sauraient par suite valablement soutenir que, faute d'apporter cette preuve, les impositions ne seraient pas fondées. Il ne résulte d'ailleurs pas de l'instruction, s'agissant de l'année 2007, que la constitution d'une fondation disposant de comptes bancaires en Suisse ne procédait pas d'un montage artificiel destiné à éluder l'impôt français. Les requérants, qui sont seuls en mesure de le faire, ne fournissent aucun élément et ne développent aucune argumentation susceptible d'éclairer les motifs autres que fiscaux justifiant de la constitution de la fondation A... et des modalités de détention de ses actifs.
11. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que les requérants demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Les requêtes de M. D... F... et de M. G... F... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... F..., à M. G... F... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction nationale de vérification des situations fiscales.
Délibéré après l'audience du 7 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Topin, président assesseur,
- M. Magnard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 décembre 2022.
Le rapporteur,
F. B...Le président,
I. BROTONS
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 21PA06582, 21PA06583