Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... A... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat au paiement de la somme de 140 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la carence fautive de l'Etat en matière de lutte contre la pollution atmosphérique.
Par un jugement n° 1709333/4-3 du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 2 septembre 2019 et un mémoire en réplique enregistré le 10 décembre 2020, Mme A..., représentée par Me Lafforgue, demande à la Cour dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 1709333/4-3 du 4 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat au paiement de la somme de 140 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la carence fautive de l'Etat en matière de lutte contre la pollution atmosphérique ;
2°) de condamner l'Etat au paiement de la somme de 140 000 euros, majorée des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation formée le 27 février 2017 et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de condamner l'Etat aux entiers dépens en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'Etat régulateur méconnaît les obligations qui lui incombent en vertu de l'article 13 de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe transposé aux articles R. 221-1 et suivants du code de l'environnement et de l'article 23 de ladite directive transposé aux articles L. 222-4 et L. 222-5 du code de l'environnement, dès lors, d'une part, que les valeurs limites de concentration de polluants dans l'air pour le dioxyde d'azote et les particules fines PM10 ont été systématiquement dépassées entre 2011 et 2017, et, d'autre part, que les plans de protection de l'atmosphère, en particulier le plan de protection de l'atmosphère pour l'Île-de-France, sont inefficaces et insuffisants ; une telle carence constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat ;
- l'Etat régulateur méconnaît les articles 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'aucun dispositif efficace n'a été mis en place pour enrayer le phénomène de la pollution atmosphérique sur le long terme ; cette violation ne peut être justifiée par un intérêt économique supérieur et constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat ;
- l'Etat régulateur méconnaît l'article 1er de la Charte de l'environnement et l'article L. 220-1 du code de l'environnement qui reconnaît le droit de chacun de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé, dès lors que le dispositif législatif destiné à lutter contre la pollution de l'air est complexe et inefficace ; une telle méconnaissance constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat ;
- les services déconcentrés de l'Etat ont commis une faute dans la gestion de l'épisode de pollution intervenu fin 2016, dès lors que le préfet de police a mis en œuvre des mesures d'information et de recommandation insuffisantes, n'a pas retenu l'ensemble des mesures d'urgence prévues par la réglementation, et que les mesures prises étaient inefficaces et tardives ; en outre, le contrôle des prescriptions édictées était insuffisant ;
- il existe des présomptions graves, précises et concordantes qui permettent d'établir le lien de causalité entre ses pathologies respiratoires qui se sont aggravées depuis son emménagement en région parisienne en 1978, et la pollution atmosphérique, dès lors que ses symptômes à cette période coïncident avec les effets de la pollution atmosphérique sur la santé, tels qu'établis par de nombreuses études scientifiques et qu'il n'y a pas d'autres facteurs pouvant expliquer la survenue de ses symptômes et leur aggravation ;
- elle justifie d'un préjudice patrimonial, résultant de l'incidence de ses pathologies sur son activité professionnelle, et de préjudices extra-patrimoniaux, résultant des souffrances endurées, de troubles dans ses conditions d'existence, d'un préjudice moral d'angoisse face à l'inaction de l'Etat et d'un préjudice d'anxiété face à une contamination ; l'Etat ne saurait invoquer une cause d'exonération pour diminuer le montant des préjudices qu'il est tenu de réparer.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 octobre 2020, la ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par un arrêt avant-dire droit du 11 mars 2021, la Cour a jugé que l'Etat avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ce que les mesures adoptées n'ont pas permis, pour la région Île-de-France, une amélioration suffisante de la qualité de l'air, et a ordonné une expertise afin d'apprécier les conséquences des dépassements des seuils de concentration de gaz polluants fixés à l'article R. 221-1 du code de l'environnement sur l'état de santé de Mme A... et, par suite, l'importance des préjudices en lien avec la faute de l'Etat, ayant pour mission de :
1°) prendre connaissance, avec l'autorisation de Mme A..., de son entier dossier médical, notamment de tous documents relatifs aux pathologies respiratoires qu'elle invoque ; consulter tout document, même détenu par un tiers, et recueillir tout renseignement utile à l'expertise ; convoquer et entendre les parties et tous sachants ; procéder à l'examen médical de Mme A... ;
2°) décrire l'état de santé de Mme A... et les perspectives d'évolution ;
3°) donner tous les éléments utiles d'appréciation sur la ou les causes de cet état, notamment s'agissant des pathologies respiratoires dont souffre Mme A... et, le cas échéant, préciser le rôle de la pollution atmosphérique ;
4°) donner plus précisément tous les éléments utiles d'appréciation des conséquences des dépassements des seuils fixés par l'article R. 221-1 du code de l'environnement sur l'état de santé de Mme A..., tant en identifiant et en quantifiant l'aggravation éventuelle des symptômes lors de ces dépassements que les effets de ces dépassements sur l'évolution de son état de santé à long terme ;
5°) donner tous les éléments utiles d'appréciation sur les préjudices subis par Mme A..., en distinguant les préjudices imputables aux dépassements de ces seuils de ceux imputables à son état de santé chronique ;
6°) de déposer un pré-rapport afin de permettre aux parties de faire valoir contradictoirement leurs observations préalablement au dépôt du rapport définitif.
Le rapport de l'expert a été enregistré le 10 juin 2022.
Par un mémoire enregistré le 17 octobre 2022, Mme A... maintient ses conclusions.
Elle soutient que :
- le lien entre la pollution atmosphérique et les pathologies respiratoires est documenté par les études médicales ;
- le lien est en l'espèce établi ;
- l'expertise est entachée de manquements.
Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Par une ordonnance en date du 3 novembre 2022 du premier vice-président de la Cour, les frais d'expertise ont été taxés et liquidés à la somme de 1 200 euros.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,
- les observations de Me Lafforgue, représentant Mme A...,
- et les observations de Mme C..., représentant le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., née en 1960 et résidant en Île-de-France depuis 1978, souffre de pathologies respiratoires pour lesquelles elle a fait l'objet d'hospitalisations à compter de 2005 qu'elle impute à la pollution atmosphérique de la région parisienne. En décembre 2016, elle a été victime d'une péricardite avec un épanchement important. Elle a adressé une réclamation indemnitaire à la ministre de la transition écologique et solidaire et au préfet de police en date du 27 février 2017. Mme A... relève appel du jugement du 4 juillet 2019 rejetant sa requête tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de la pollution de l'air en Île-de-France. Par un arrêt du 11 mars 2021, la Cour, a jugé que l'Etat avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ce que les mesures adoptées n'ont pas permis, pour la région Île-de-France, une amélioration suffisante de la qualité de l'air, et a ordonné une expertise afin d'apprécier les conséquences des dépassements des seuils de concentration de gaz polluants fixés à l'article R. 221-1 du code de l'environnement sur son état de santé et, par suite, l'importance des préjudices en lien avec la faute de l'Etat.
2. En premier lieu, si Mme A..., qui souffre d'un asthme apparu dans les années 1980 traité depuis de nombreuses années avec une composante allergique et favorisé par des surinfections bronchiques notamment l'hiver, soutient que l'évolution de sa pathologie est due à la détérioration de la qualité de l'air en région parisienne, un tel lien de causalité ne résulte toutefois pas de l'instruction dès lors d'une part que les études produites ne permettent pas, dans les termes dans lesquels elles sont rédigées, d'établir un lien de causalité direct et certain entre les pathologies respiratoires étudiées et l'aggravation de la qualité de l'air du fait de la pollution atmosphérique, d'autre part qu'elle ne produit que des documents médicaux récents alors qu'elle vit en Île-de-France depuis 1978 et qu'il n'est enfin pas possible d'établir une concomitance certaine entre les épisodes de dégradation de la qualité de l'air et les consultations médicales qu'elle a effectuées, notamment pour l'année 2013 pour laquelle les relevés qu'elle produit ne mentionnent aucun épisode de dégradation de la qualité de l'air alors qu'elle avait loué un appareil à aérosols soniques, l'année 2015 au cours de laquelle de simples procédures d'information ont été relevées les 9 avril et 5 juillet et l'année 2016 pour laquelle, en dépit de son passage aux Urgences le 6 décembre après une alerte de dépassement des seuils, la requérante n'établit aucune dégradation de la qualité de l'air en février, l'expertise relevant en outre et sans être utilement contestée sur ce point, qu'aucune donnée ne permet de conclure que la péricardite dont elle souffre serait reliée à un épisode de pollution atmosphérique. Il ne résulte en outre pas de l'instruction que les troubles dans les conditions d'existence ainsi que l'anxiété et l'angoisse qu'elle invoque, en se fondant notamment sur des attestations de ses proches, seraient établis ni qu'ils seraient en lien avec les épisodes d'aggravation de la qualité de l'air observés.
3. En second lieu, le rapport d'expertise relève qu'il n'est pas possible de relier chaque épisode d'exacerbation à un pic de pollution et que l'épisode de 2016 de péricardite ne peut être rapporté à un épisode de pollution, ce qui répond aux griefs tirés de l'absence de quantification de l'aggravation éventuelle de son état de santé et de prise en compte des concomitances entre ses crises et l'augmentation de la pollution. Il n'est ainsi entaché d'aucun des manquements allégués.
4. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin de condamnation de l'Etat ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
Sur les frais et honoraires d'expertise :
5. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise (...). Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre les frais et honoraires de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 200,00 euros, pour moitié à la charge de Mme A... et pour moitié à la charge de l'Etat (ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires).
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par Mme A... à ce titre soit mise à la charge de l'Etat, lequel n'est pas partie perdante à l'instance.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les frais et honoraires d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 200,00 euros sont mis pour moitié à la charge de Mme A... et pour moitié à la charge de l'Etat (ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires).
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... A... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au docteur F... D..., expert.
Délibéré après l'audience du 15 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- Mme Bernard, première conseillère,
- M. Gobeill, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 décembre 2022.
Le rapporteur, Le président,
J.-F. B... J. LAPOUZADE
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19PA02869