Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté en date du 13 mai 2022 par lequel le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2212738/8 du 7 juillet 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des pièces complémentaires, enregistrées le 8 août 2022 et le 8 novembre 2022, et un mémoire non communiqué enregistré le 2 mars 2023, M. A..., représenté par Me Gardes, demande à la cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler le jugement n° 2212738/8 du 7 juillet 2022 du tribunal administratif de Paris ;
3°) d'annuler l'arrêté du préfet de police du 13 mai 2022 ;
4°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer l'attestation de demande d'asile prévue aux articles L. 521-7 et L. 541-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de sept jours à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier en l'absence de réponse aux moyens tirés de la méconnaissance des dispositions des articles L. 721-4 et du 9° de L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation et d'un défaut d'examen de sa situation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français prise sur le fondement de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'il bénéficie de la protection subsidiaire en Italie ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté attaqué méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ; ses conséquences sont disproportionnées par rapport aux buts recherchés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2023, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les observations de Me Benifla, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant afghan né en 1991, est entré en France le 24 juillet 2018 selon ses déclarations. Le 1er août 2018, il a déposé une demande d'asile qui a fait l'objet d'une décision de rejet par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 11 juin 2021 confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 6 avril 2022. Par un arrêté du 13 mai 2022, le préfet de police l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être éloigné. Par un jugement du 7 juillet 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 mai 2022. M. A... relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président (...) ".
3. M. A..., déjà représenté par un avocat, ne justifie pas, à ce jour, du dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle auprès du bureau d'aide juridictionnelle, alors que le courrier par lequel lui a été notifié le jugement attaqué mentionnait expressément qu'il devait justifier du dépôt d'une telle demande. Aucune urgence ne justifie que soit prononcée, en application des dispositions citées au point précédent, son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Sur la régularité du jugement :
4. D'une part, il ressort de la demande de première instance que M. A... s'est prévalu d'une méconnaissance de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 621-1 du même code, en soutenant que la décision portant obligation de quitter le territoire français était illégale au motif qu'il ne pouvait faire l'objet que d'une décision de remise aux autorités italiennes. La magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris, au point 5 du jugement attaqué, a répondu à ce moyen en relevant que M. A... pouvait légalement faire l'objet d'une mesure d'éloignement sur le fondement du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. D'autre part, M. A... soutient avoir soulevé lors de l'audience le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Si la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris n'a pas expressément cité ces dispositions dans le jugement attaqué, elle a en revanche relevé que le conseil de M. A... avait indiqué, au cours de l'audience, que son état de santé nécessitait son maintien en France et a suffisamment répondu à ce moyen au point de 7 de son jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
6. En premier lieu, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de l'arrêté attaqué et du défaut d'examen de la situation personnelle de M. A... doivent être écartés par adoption des motifs retenus, à bon droit, par la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Paris.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; (...) ". Aux termes de l'article L. 621-1 du même code : " Par dérogation au refus d'entrée à la frontière prévu à l'article L. 332-1, à la décision portant obligation de quitter le territoire français prévue à l'article L. 611-1 et à la mise en œuvre des décisions prises par un autre État prévue à l'article L. 615-1, l'étranger peut être remis, en application des conventions internationales ou du droit de l'Union européenne, aux autorités compétentes d'un autre État, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas prévus aux articles L. 621-2 à L. 621-7. / L'étranger est informé de cette remise par décision écrite et motivée prise par une autorité administrative définie par décret en Conseil d'État. Il est mis en mesure de présenter des observations et d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. ". Aux termes de l'article L. 621-2 du même code : " Peut faire l'objet d'une décision de remise aux autorités compétentes d'un État membre de l'Union européenne, de la République d'Islande, de la Principauté du Liechtenstein, du Royaume de Norvège ou de la Confédération suisse l'étranger qui, admis à entrer ou à séjourner sur le territoire de cet État, a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 311-1, L. 311-2 et L. 411-1, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec cet État, en vigueur au 13 janvier 2009. ".
8. Il résulte des dispositions des articles L. 611-1 et L. 611-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, relative à l'obligation de quitter le territoire français, et des articles L. 621-1 et suivants du même code, relatives aux procédures de remise aux Etats membres de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen, que le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre Etat ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et que le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Il s'ensuit que, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application des articles L. 621-2 à L. 621-7, elle peut légalement soit le remettre aux autorités compétentes de l'Etat membre de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, sur le fondement des articles L. 621-1 et suivants, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 611-1. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce que l'administration engage l'une de ces procédures alors qu'elle avait préalablement engagé l'autre.
9. Si M. A... soutient que le préfet de police aurait dû prendre à son encontre une décision de remise sur le fondement de l'article L. 621-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ressort toutefois des pièces du dossier qu'à la date à laquelle le préfet de police a pris une obligation de quitter le territoire français à l'encontre du requérant, les autorités italiennes s'étaient prononcées sur sa demande de protection internationale et lui avaient accordé le bénéfice de la protection subsidiaire. Dans ces conditions, M. A..., qui bénéficiait des droits conférés par le titre de séjour délivré par les autorités italiennes au titre de la protection subsidiaire, n'était pas insusceptible de faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Dès lors que sa demande d'asile en France avait été rejetée, sa situation relevait du champ d'application tant des dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que de l'article L. 621-2 de ce code. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 621-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au motif qu'il était insusceptible de faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français mais pouvait seulement être remis aux autorités italiennes, doit être écarté.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) ".
11. M. A... produit deux certificats médicaux établis les 7 mars et 29 juin 2022 par un psychiatre du groupe hospitalier universitaire Paris Psychiatrie et Neurosciences indiquant qu'il est suivi depuis janvier 2022 pour des troubles psychiatriques sévères en lien avec un syndrome de stress post-traumatique nécessitant un traitement anxiolytique et antidépresseur. Toutefois, il ne ressort pas des documents médicaux produits que l'état de santé du requérant, qui n'a pas présenté de demande de titre de séjour pour raisons médicales, serait susceptible de le faire entrer dans la catégorie des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire alors qu'il n'est par ailleurs pas démontré que les traitements médicamenteux prescrits seraient indisponibles dans le pays de renvoi, en particulier en Italie où il bénéficie de la protection subsidiaire. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
12. En dernier lieu, aux termes des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants ". Si le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations est inopérant à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français, qui n'a ni pour objet ni pour effet de contraindre M. A... à retourner dans son pays d'origine, il peut, en revanche, être utilement invoqué à l'encontre de la décision fixant le pays de destination.
13. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire en Italie. Dans ces conditions, le préfet de police ne pouvait renvoyer l'intéressé dans son pays d'origine sans prendre en compte la protection qui lui avait été attribuée par un Etat membre de l'Union Européenne, laquelle révèle l'existence de menaces graves en cas de retour en Afghanistan. Par suite, l'arrêté attaqué, en tant qu'il fixe le pays d'origine de M. A... comme pays de renvoi, méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
14. Il résulte tout de ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander l'annulation de la décision du 13 mai 2022 par laquelle le préfet de police a fixé comme pays de destination l'Afghanistan.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
15. Le présent jugement, qui n'annule que la décision fixant le pays de renvoi, n'implique aucun mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : L'arrêté du 13 mai 2022 du préfet de police pris à l'encontre de M. A... est annulé en tant qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de destination.
Article 2 : Le jugement du 7 juillet 2022 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., au préfet de police et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 6 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président,
- Mme Marianne Julliard, présidente assesseure,
- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mars 2023.
La rapporteure,
G. B...Le président,
I. LUBEN
Le greffier,
E. MOULIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA03699