Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulouse, par deux demandes distinctes, l'annulation des décisions des 1er février et 15 mars 2021 par lesquelles le directeur territorial de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a refusé de rétablir à son profit le bénéfice des conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile.
Par un jugement n°s 2101358-2102643 du 3 mai 2022, le tribunal administratif de Toulouse a joint ces deux demandes et les a rejetées.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 août 2022 et un mémoire en réplique du 15 janvier 2024 non communiqué, Mme B..., représentée par Me Sarasqueta, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 3 mai 2022 du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) d'annuler les décisions des 1er février et 15 mars 2021 par lesquelles le directeur territorial de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a refusé de rétablir à son profit le bénéfice des conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile ;
3°) d'enjoindre au directeur territorial de l'Office français de l'immigration et de l'intégration de rétablir à son profit le bénéfice des conditions matérielles d'accueil dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'arrêt de la cour et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre au directeur territorial de l'Office français de l'immigration et de l'intégration de lui verser les sommes dues au titre de l'allocation pour demandeur d'asile à compter de la notification de l'arrêt de la cour, et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 2 000 euros au profit de son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle et, dans l'hypothèse où elle ne serait pas admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle, au seul bénéfice de Mme B....
Elle soutient que :
- elle satisfait aux conditions lui permettant le rétablissement des conditions matérielles d'accueil ; les décisions de refus de rétablissement à son profit du bénéfice des conditions matérielles d'accueil sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle est vulnérable et que l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, prévoit des cas de vulnérabilité dits " objectifs ", tels que ceux concernant " les victimes de la traite des êtres humains " ;
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, elle a été victime en Italie d'un réseau de prostitution qui l'a contrainte à se prostituer, ce qui a été admis par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides ;
-pour ce qui est de l'absence de respect des conditions de maintien des conditions matérielles d'accueil, si elle a refusé d'embarquer dans l'avion à destination de l'Italie, le 27 février 2019, elle a respecté l'arrêté d'assignation à résidence du 5 décembre 2018 ; elle ne présentait donc aucun risque de fuite.
Par ordonnance du 28 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 16 janvier 2024.
Par une décision du 5 octobre 2022, le bureau d'aide juridictionnelle auprès du tribunal judiciaire de Toulouse a accordé à Mme B... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Bentolila, président a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante nigériane née le 29 juin 1994, a sollicité le bénéfice de l'asile en France le 9 octobre 2018 et a accepté, le même jour, le bénéfice des conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile, qui lui ont été accordées . Par un arrêté du 5 décembre 2018, le préfet de la Haute-Garonne a décidé son transfert aux autorités italiennes, responsables de sa demande d'asile. Par un jugement n° 1805876 du 27 décembre 2018, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande en annulation de cet arrêté présentée par Mme B.... L'intéressée a interjeté appel et, par un arrêt n° 19BX02320 du 5 novembre 2019, la cour administrative d'appel de Bordeaux a constaté la caducité des conclusions de Mme B... dirigées à l'encontre de cet arrêté au motif que, faute d'exécution du transfert, la France était devenue responsable de sa demande d'asile le 28 juin 2019. Le préfet de la Haute-Garonne a, le 11 janvier 2021, enregistré la demande d'asile de Mme B.... Par une lettre du 1er février 2021, Mme B... a sollicité de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le rétablissement des conditions matérielles d'accueil qu'il lui avait retirées le 18 mars 2019. Par deux décisions des 1er février et 15 mars 2021, le directeur territorial a rejeté cette demande.
2. Par la présente requête, Mme B... relève appel du jugement du 3 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes d'annulation des décisions des 1er février et 15 mars 2021 précitées.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. La directive susvisée du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale vise à harmoniser les conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile en leur garantissant un niveau de vie digne et des conditions de vie comparables dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne. Aux termes, toutefois, de l'article 20 de cette directive : " 1. Les États membres peuvent limiter ou, dans des cas exceptionnels et dûment justifiés, retirer le bénéfice des conditions matérielles d'accueil lorsqu'un demandeur : (...) / b) ne respecte pas l'obligation de se présenter aux autorités (...) ".
4. Aux termes de l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, transposant ces dispositions : " À la suite de la présentation d'une demande d'asile, l'Office français de l'immigration et de l'intégration est chargé de procéder, dans un délai raisonnable et après un entretien personnel avec le demandeur d'asile, à une évaluation de la vulnérabilité de ce dernier afin de déterminer, le cas échéant, ses besoins particuliers en matière d'accueil. Ces besoins particuliers sont également pris en compte s'ils deviennent manifestes à une étape ultérieure de la procédure d'asile. Dans la mise en œuvre des droits des demandeurs d'asile et pendant toute la période d'instruction de leur demande, il est tenu compte de la situation spécifique des personnes vulnérables ". Aux termes de l'article L. 744-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le bénéfice des conditions matérielles d'accueil prévues à l'article L. 744-1 est subordonné : / (...) 2° Au respect des exigences des autorités chargées de l'asile, notamment en se rendant aux entretiens, en se présentant aux autorités et en fournissant les informations utiles afin de faciliter l'instruction des demandes. / Le demandeur est préalablement informé, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, (...) que le non-respect des exigences des autorités chargées de l'asile prévues au 2° entraîne de plein droit le refus ou, le cas échéant, le retrait du bénéfice des conditions matérielles d'accueil ". Aux termes de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction résultant de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, les conditions matérielles d'accueil ayant été accordées à l'intéressé avant le 1er janvier 2019 : " Le bénéfice des conditions matérielles d'accueil peut être : / 1° Suspendu si, sans motif légitime, le demandeur d'asile a abandonné son lieu d'hébergement déterminé en application de l'article L. 744-7, n'a pas respecté l'obligation de se présenter aux autorités, n'a pas répondu aux demandes d'informations ou ne s'est pas rendu aux entretiens personnels concernant la procédure d'asile (...) ". Aux termes de l'article D. 744-35 dans sa version applicable : " Le versement de l'allocation peut être suspendu lorsqu'un bénéficiaire : (...) / 2° Sans motif légitime, n'a pas respecté l'obligation de se présenter aux autorités, n'a pas répondu aux demandes d'information ou ne s'est pas rendu aux entretiens personnels concernant sa situation (...) ". Enfin, aux termes de l'article D. 744-38 du même code dans sa version applicable : " (...) Lorsque le bénéfice de l'allocation a été suspendu, l'allocataire peut en demander le rétablissement à l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / La reprise du versement intervient à compter de la date de la décision de réouverture ". Si les termes de ces articles ont été modifiés par différentes dispositions du I de l'article 13 de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, il résulte du III de l'article 71 de cette loi que ces modifications, compte tenu de leur portée et du lien qui les unit, ne sont entrées en vigueur ensemble qu'à compter du 1er janvier 2019 et ne s'appliquent qu'aux décisions initiales, prises à compter de cette date, relatives au bénéfice des conditions matérielles d'accueil proposées et acceptées après l'enregistrement de la demande d'asile. Les décisions relatives à la suspension et au rétablissement de conditions matérielles d'accueil accordées avant le 1er janvier 2019, comme c'est le cas en l'espèce par la décision du 9 octobre 2018, restent régies par les dispositions antérieures à la loi du 10 septembre 2018.
5. Il résulte de l'article L. 744-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que les conditions matérielles d'accueil sont proposées au demandeur d'asile par l'Office français de l'immigration et de l'intégration après l'enregistrement de la demande d'asile auquel il est procédé en application de l'article L. 741-1 de ce code. Si, par la suite, les conditions matérielles proposées et acceptées initialement peuvent être modifiées, en fonction notamment de l'évolution de la situation du demandeur ou de son comportement, la circonstance que, postérieurement à l'enregistrement de sa demande, l'examen de celle-ci devienne de la compétence de la France n'emporte pas l'obligation pour l'Office de réexaminer, d'office et de plein droit, les conditions matérielles d'accueil qui avaient été proposées et acceptées initialement par le demandeur. Dans le cas où les conditions matérielles d'accueil ont été suspendues sur le fondement de l'article L. 744-8, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, le demandeur peut, notamment dans l'hypothèse où la France est devenue responsable de l'examen de sa demande d'asile, en demander le rétablissement. Il appartient alors à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, pour statuer sur une telle demande de rétablissement, d'apprécier la situation particulière du demandeur à la date de la demande de rétablissement au regard notamment de sa vulnérabilité, de ses besoins en matière d'accueil ainsi que, le cas échéant, des raisons pour lesquelles il n'a pas respecté les obligations auxquelles il avait consenti au moment de l'acception initiale des conditions matérielles d'accueil.
6. Il ressort des pièces du dossier qu'ainsi que l'ont considéré les premiers juges et sans qu'il n'y ait de contestation à cet égard de l'appelante, les refus litigieux fondés initialement sur le fait que Mme B... n'avait pas respecté son obligation de pointage, ainsi que l'avait constaté un procès-verbal de carence le 12 février 2019, doivent être regardés comme se trouvant comme également fondés, ainsi que le faisait valoir en première instance l'Office français de l'immigration et de l'intégration dans son mémoire en défense, sur le motif tiré de ce que l'intéressée n'avait pas respecté son obligation de se présenter aux autorités le 27 février 2019 pour son embarquement sur un vol à destination de l'Italie en exécution de son arrêté de transfert à destination de ce pays.
7. Mme B... fait valoir, tant pour expliquer qu'elle se soit soustraite à cette obligation que pour établir l'existence d'une situation de vulnérabilité particulière, qu'elle était victime au Nigéria d'un réseau de prostitution ayant une influence importante en Italie, qui l'aurait contrainte à se prostituer en Italie, et qu'en cas de retour dans ce pays elle serait la victime de la traite d'êtres humains. Toutefois, ses craintes d'être victime d'un tel réseau en Italie ne sont pas assorties d'éléments susceptibles d'en établir la véracité, alors que la décision du 22 décembre 2021 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dont l'appelante se prévaut, a considéré que, contrairement à ce qu'elle soutenait, ses allégations relatives à sa participation forcée à un réseau de proxénétisme en Italie n'étaient pas établies.
8. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle justifierait d'une situation de vulnérabilité particulière aux dates des décisions attaquées, alors que, célibataire, elle était âgée de 26 ans et ne se prévalait d'aucune difficulté personnelle tel qu'un problème de santé ou de l'existence d'une vie familiale en France, et qu'elle n'a pas demandé le rétablissement des conditions matérielles d'accueil avant le 11 janvier 2021, et ce alors que la France était, redevenue responsable de sa demande d'asile dès le 5 novembre 2019 date de l'arrêt précité de la cour administrative d'appel de Bordeaux. Dans ces conditions et dès lors qu'elle a bénéficié d'un réexamen de sa vulnérabilité le 11 janvier 2021 et qu'elle disposait d'un hébergement d'urgence depuis le mois d'avril 2019, la situation de la requérante ne justifiait pas, en application des principes exposés au point 5, que le bénéfice des conditions matérielles d'accueil lui soit rétabli. Le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation à cet égard doit, par suite, être écarté.
9. Il résulte de l'instruction que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides aurait pris les mêmes décisions en se fondant, s'agissant des obligations méconnues par la requérante, non sur la méconnaissance de son obligation de pointage le 12 février 2019 mais seulement sur le défaut de présentation à son embarquement le 27 février 2019.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre l'intérieur et des
outre-mer. Copie en sera adressée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 30 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2024.
Le rapporteur,
P. Bentolila
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22TL21818 2