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30/04/2024 | FRANCE | N°22TL21894

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 3ème chambre, 30 avril 2024, 22TL21894


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la commune de Reyniès à lui verser les sommes de 80 000 euros au titre de son préjudice de jouissance et de 10 000 euros au titre de son préjudice moral, assorties des intérêts de retard à compter du 18 février 2020, en réparation de la carence fautive du maire de la commune dans l'exercice de sa mission de police des déchets.



Par un jugement n° 2004102 du 1er juillet 2022, le tr

ibunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la commune de Reyniès à lui verser les sommes de 80 000 euros au titre de son préjudice de jouissance et de 10 000 euros au titre de son préjudice moral, assorties des intérêts de retard à compter du 18 février 2020, en réparation de la carence fautive du maire de la commune dans l'exercice de sa mission de police des déchets.

Par un jugement n° 2004102 du 1er juillet 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 30 août 2022, et des mémoires en réplique, enregistrés le 2 février 2023 et le 28 mars 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, M. C..., représenté par Me Dalbin, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 1er juillet 2022 ;

2°) de condamner la commune de Reyniès à lui verser la somme totale de 90 000 euros en réparation des préjudices subis, assortie des intérêts de retard et de leur capitalisation ;

3°) d'enjoindre au maire de cette commune de faire usage des pouvoirs de police qu'il tient de l'article L. 541-3 du code de l'environnement et de mettre en demeure la société civile immobilière La Clémence de procéder à l'enlèvement des trois cuves d'hydrocarbure, sous astreinte de 150 euros par jour de retour à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de cette commune la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la commune de Reyniès engage sa responsabilité du fait de la carence fautive de son maire à utiliser ses pouvoirs de police en matière d'élimination des déchets et en particulier en s'abstenant de mettre en demeure la société Clémence de procéder à l'enlèvement des trois cuves d'hydrocarbure en litige ;

- les cuves d'hydrocarbure en litige qui ne peuvent pas être qualifiées d'immeuble par destination puisqu'elles ne sont plus affectées à l'exploitation du fonds de commerce pour lequel elles avaient été instituées, constituent un déchet.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 9 décembre 2022 et le 23 avril 2023, et un mémoire en production de pièces, enregistré le 14 décembre 2022, la commune de Reyniès, représentée par Me Chambaret, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) et à ce qu'il soit mis à la charge de M. C... la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les cuves d'hydrocarbure litigieuses ne constituent pas des déchets au sens de l'article L. 541-1 du code de l'environnement en ce qu'elles ne constituent pas des meubles et ne sont pas des biens dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire ;

- dans la mesure où l'autorisation d'exploitation du point de vente de carburant sur le site avait été accordée par le préfet, l'autorité préfectorale est seule compétente ;

- aucune défaillance du maire au titre de la police des déchets ne peut être retenue sur le fondement de l'article L. 541-3 du code de l'environnement dès lors que l'appelant n'établit ni même n'allègue avoir saisi le préfet d'une demande tendant à ce que ce dernier se substitue à l'autorité municipale eu égard à sa carence ;

- les préjudices invoqués par l'appelant ne sont pas justifiés.

En application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées, par lettre du 27 mars 2024, que la cour est susceptible de soulever d'office l'irrecevabilité des conclusions en injonction présentées à titre principal.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Beltrami, rapporteure,

- es conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique,

- et les observations de Me Chambaret, représentant la commune de Reyniès.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., qui est exploitant d'un fonds de commerce de café, tabac, snack à Reyniès (Tarn-et-Garonne), subit de fortes odeurs d'essence qu'il impute à la présence de cuves enterrées dans le sol de la cour de son commerce. Par un courrier du 18 février 2020, il a présenté à la commune de Reyniès une demande préalable tendant à l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la carence fautive de son maire à ne pas avoir mis en œuvre ses pouvoirs de police spéciale des déchets qu'il tient de l'article L. 541-3 du code de l'environnement. Il a également demandé au maire de cette commune de faire usage de ses pouvoirs à l'égard du producteur de déchets présents sur le terrain qu'il occupe. M. C... relève appel du jugement du 1er juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes.

Sur la responsabilité de la commune de Reyniès du fait de la carence fautive du maire au titre de la police spéciale des déchets :

2. Aux termes de l'article L. 541-3 du code de l'environnement : " I. -Lorsque des déchets sont abandonnés, déposés ou gérés contrairement aux prescriptions du présent chapitre et des règlements pris pour leur application, à l'exception des prescriptions prévues au I de l'article L. 541-21-2-3 et de celles prévues à la section 4 du présent chapitre, l'autorité titulaire du pouvoir de police compétente avise le producteur ou détenteur de déchets des faits qui lui sont reprochés ainsi que des sanctions qu'il encourt et, après l'avoir informé de la possibilité de présenter ses observations, écrites ou orales, dans un délai de dix jours, le cas échéant assisté par un conseil ou représenté par un mandataire de son choix, peut lui ordonner le paiement d'une amende au plus égale à 15 000 € et le mettre en demeure d'effectuer les opérations nécessaires au respect de cette réglementation dans un délai déterminé. (...) ". La carence fautive du maire dans l'exercice des pouvoirs de police spéciale en matière d'élimination des déchets qu'il tient de ces dispositions, est de nature à engager la responsabilité de la commune.

3. Les dispositions de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement définissent comme déchet " toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire ". Aux fins d'apprécier si un bien constitue ou non un déchet au sens de ces dispositions, il y a notamment lieu de prendre en compte le caractère suffisamment certain d'une réutilisation du bien sans opération de transformation préalable. À cet égard, lorsque des biens se trouvent, compte tenu en particulier de leur état matériel, de leur perte d'usage et de la durée et des conditions de leur dépôt, en état d'abandon sur un terrain, ils peuvent alors être regardés comme des biens dont leur détenteur s'est effectivement défait et présenter dès lors le caractère de déchets au regard de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement, alors même qu'ils y ont été déposés par le propriétaire du terrain.

4. Aux termes de l'article 527 du code civil : " Les biens sont meubles par leur nature ou par la détermination de la loi ". Aux termes de l'article 528 de ce code : " Sont meubles par leur nature les biens qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre ". Aux termes de l'article 524 de ce code : " Les objets que le propriétaire d'un fonds y a placés pour le service et l'exploitation de ce fonds sont immeubles par destination. (...) Sont aussi immeubles par destination tous effets mobiliers que le propriétaire a attachés au fonds à perpétuelle demeure ". Aux termes de l'article 525 de ce code : " Le propriétaire est censé avoir attaché à son fonds des effets mobiliers à perpétuelle demeure, quand ils y sont scellés en plâtre ou à chaux ou à ciment, ou, lorsqu'ils ne peuvent être détachés sans être fracturés ou détériorés, ou sans briser ou détériorer la partie du fonds à laquelle ils sont attachés. (...) ".

5. Enfin, même si, en vertu de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, la responsabilité du propriétaire du terrain sur lequel se trouvent les déchets présente un caractère subsidiaire par rapport à celle encourue par le producteur ou le détenteur de déchets, elle peut toutefois être recherchée au titre de la police des déchets s'il apparaît que tout autre détenteur de ces déchets est inconnu ou a disparu.

6. S'il ressort de l'attestation du 2 février 1982 établie par le chef du service des équipements de la direction départementale de l'équipement de Tarn-et-Garonne que le point de vente de carburant exploité par M. A... a été complètement démonté le 1er septembre 1981, les procès-verbaux de constat d'huissier du 4 octobre 2013 et du 8 octobre 2018 mettent toutefois en évidence la présence d'une cuve enterrée dans la cour du fonds de commerce exploitée par M. C.... Au cours de l'expertise judiciaire, l'existence de trois cuves ayant contenu des hydrocarbures a été confirmée par le propriétaire du fonds, qui a précisé qu'en 1981, ces cuves ont été vidées et neutralisées au moyen d'un matériau inerte.

7. Il résulte ainsi de l'instruction que les cuves litigieuses qui, par nature, constituent un meuble, ont été affectées jusqu'en 1981 à l'exploitation d'un fonds de commerce de distribution de carburant qui n'entrait pas dans la catégorie des installations classées et ont été enterrées dans le sol de la cour de ce fonds donnant sur la rue Maréchal Galliéni. Jusqu'à la cessation de cette activité, ces biens avaient le caractère d'immeubles par destination au sens de l'article 524 du code civil. Toutefois, dès lors qu'il est constant que ces cuves ne sont pas utilisées par M. C... pour l'exploitation de son commerce de café, tabac, snack, elles ont perdu ce caractère. Par ailleurs, si elles demeurent enfouies dans le sol, elles ne se confondent pas avec lui et peuvent en être retirées sans détérioration pour elles-mêmes comme pour le sol. En conséquence, elles ne peuvent être regardées comme attachées au fonds à perpétuelle demeure. Il en résulte que les cuves en litige doivent être qualifiées de meubles. Compte tenu de leur état matériel, de leur perte d'usage, de la durée et des conditions de leur enfouissement ces cuves sont en état d'abandon et doivent être regardées comme des biens dont leur détenteur s'est effectivement défait. Elles présentent dès lors le caractère de déchets au sens l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement.

8. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que, de 1979 à 1981, l'activité commerciale de vente de carburant a été exercée par M. A.... Dès lors, il doit être regardé comme la personne responsable de l'élimination de ces déchets. À cet égard, la circonstance que M. A... ait apporté le 25 avril 2014 à la SCI la Clémence l'immeuble sur lequel il avait consenti le 31 mai 2006 un bail commercial au profit de M. C..., n'a pas pour effet de transférer à cette société la charge de leur élimination puisque le producteur de ces déchets est connu.

9. Le maire de Reyniès s'est borné à adresser à la SCI la Clémence, gérée par M. A..., un courrier daté du 23 juin 2014 l'informant de la procédure à suivre pour enlever ou neutraliser le cas échéant les cuves et les pompes de distribution. En outre, par son courrier du 18 avril 2016, le maire s'est contenté de l'information communiquée par le propriétaire selon laquelle les cuves ont été inertées. Il n'a toutefois pas mis le propriétaire en demeure d'effectuer les mesures d'élimination de ces déchets. Dès lors, la carence fautive du maire pourrait être de nature à engager la responsabilité de la commune de Reyniès.

10. Cependant, il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise judiciaire du 26 décembre 2017, que les odeurs subies par M. C... proviennent d'un élément extérieur au bâtiment, éventuellement d'une cuve aérienne située en limite de propriété au sud-est du terrain. Dès lors, le lien de causalité entre les cuves enterrées en litige et les désagréments subis par M. C... n'est pas établi. Par suite, la responsabilité de la commune de Reyniès ne peut être engagée au titre de la carence fautive du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police spéciale en matière de déchets.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur les conclusions en injonction :

12. En dehors de l'hypothèse où les mesures sollicitées constituent des mesures d'exécution d'une décision rendue par lui, il n'appartient pas au juge administratif d'adresser des injonctions à l'administration. Dès lors, les conclusions tendant à ce que le juge ordonne au maire de la commune de Reyniès de faire usage des pouvoirs de police qu'il tient de l'article L. 541-3 du code de l'environnement et de mettre en demeure la société civile immobilière La Clémence de procéder à l'enlèvement des trois cuves d'hydrocarbures, qui sont présentées à titre principal, ne sont pas recevables. Par suite, elles doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Reyniès, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme réclamée par M. C... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C..., le versement à cette commune, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE:

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : M. C... versera à la commune de Reyniès la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et à la commune de Reyniès.

Délibéré après l'audience du 2 avril 2024 à laquelle siégeaient :

M. Rey-Bèthbéder, président,

Mme Beltrami, première conseillère,

Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2024.

La rapporteure,

K. Beltrami

Le président,

É. Rey-Bèthbéder

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au préfet de Tarn-et-Garonne, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22TL21894


Synthèse
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21894
Date de la décision : 30/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

44-035 Nature et environnement.


Composition du Tribunal
Président : M. Rey-Bèthbéder
Rapporteur ?: Mme Karine Beltrami
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : DALBIN

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2024-04-30;22tl21894 ?
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