Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 11 février 2022 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 2201822 du 19 décembre 2023, le tribunal administratif de Toulouse a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à Mme D... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement et a mis à la charge de l'État une somme de 1 200 euros à verser à son conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 janvier 2024, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 19 décembre 2023 ;
2°) de rejeter la demande de Mme D... présentée devant ce tribunal tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 février 2022 par lequel il a refusé la délivrance d'un titre de séjour à Mme D....
Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont annulé son arrêté au seul motif que sa décision avait porté au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme D... une atteinte disproportionnée, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales;
Par un mémoire en défense et des pièces, enregistrés les 8 mars et 2 mai 2024, Mme D... représentée par Me Ouddiz-Nakache conclut au rejet de la requête, et à ce que soit mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Elle soutient que :
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'un défaut d'examen réel et complet de sa situation personnelle, professionnelle et médicale ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle, familiale et médicale ;
- il méconnaît l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il méconnaît les dispositions de l'ancien 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile désormais repris à l'article L. 423-23 de ce code ;
- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par des pièces et un mémoire enregistrés les 19 février et 8 mars 2024, l'Office français de l'immigration et de l'intégration a présenté ses observations.
Vu les autres pièces de ce dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rey-Bèthbéder,
- les observations de Me Ouddiz-Nakache pour Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante marocaine, née le 3 juillet 1996, est entrée en France le 29 août 2018 sous couvert d'un visa long séjour étudiant valable du 15 août 2018 au 15 août 2019, puis s'est vu délivrer un titre de séjour étudiant valable du 6 novembre 2019 au 5 novembre 2021. Le 27 septembre 2021, elle a sollicité le changement de son statut et son admission au séjour en se prévalant de son état de santé. Par un arrêté du 11 février 2022, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer le titre de séjour sollicité. Mme D... a saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Par un jugement du 19 décembre 2023, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 11 février 2022 du préfet de la Haute-Garonne, a enjoint à ce dernier de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, et a mis à la charge de l'État une somme de 1 200 euros, à verser à Me Ouddiz-Nakache, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Le préfet de la Haute-Garonne fait appel de ce jugement.
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Pour annuler l'arrêté du 11 février 2022 par lequel préfet de la Haute-Garonne a refusé à Mme D... la délivrance d'un titre de séjour, le tribunal administratif de Toulouse s'est fondé sur la circonstance que ce refus de titre de séjour était de nature à porter une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de l'intéressée, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme D..., qui a sollicité le renouvellement de son titre de séjour en sa qualité d'étranger malade, n'a pas présenté de demande de titre de séjour portant la " mention vie privée et familiale " sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En outre, il ne ressort pas des termes de l'arrêté en litige que le préfet de la Haute-Garonne aurait entendu examiner d'office sa demande au regard de ces dispositions. Par suite, alors même que l'intéressée ne pouvait se prévaloir utilement de leur méconnaissance, le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulouse a annulé son arrêté du 11 février 2022 en se fondant exclusivement sur des considérations liées à la vie privée et familiale de l'intéressée. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme D... devant le tribunal administratif et devant la cour.
En ce qui concerne les autres moyens invoqués devant le tribunal :
4. En premier lieu, l'arrêté en litige vise l'article L. 425-9 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il a été fait application. Par ailleurs, le préfet de la Haute-Garonne a indiqué que Mme D... est entrée en France le 29 août 2018, sous couvert d'un visa de long séjour " étudiant " et qu'elle a ensuite été titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention " étudiant " valable deux ans. En outre, pour refuser de lui délivrer le titre de séjour sollicité, le préfet s'est fondé notamment sur le fait qu'il ressort de l'avis émis le 6 décembre 2021 par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner, pour elle, des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont elle est originaire, elle peut y bénéficier effectivement d'un traitement appropriés et qu'elle peut y voyager sans risque. Dès lors, contrairement à ce que soutient Mme D..., une telle motivation démontre que le préfet a procédé à un examen réel et complet de sa situation personnelle en se fondant sur des circonstances précises et concrètes. Par suite, les moyens tirés du défaut de motivation de l'arrêté attaqué et de défaut d'examen doivent être écartés quand bien même le préfet qui n'est pas tenu de mentionner tous les éléments relatifs à la situation de Mme D..., n'a pas évoqué sa situation professionnelle ou son projet parental.
5. En second lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ". Aux termes de l'article R. 425-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour l'application de l'article L. 425-9, le préfet délivre la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration./ L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'office et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé./ Les orientations générales mentionnées au troisième alinéa de l'article L. 425-9 sont fixées par arrêté du ministre chargé de la santé "
6. La partie qui justifie d'un avis du collège des médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous les éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. Toutefois, en cas de doute, il lui appartient d'ordonner toute mesure d'instruction utile.
7. L'avis rendu par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le 6 décembre 2021 relève que l'état de santé de Mme D..., souffrant d'un déficit en pyruvate kinase, nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais que cette dernière peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Par ailleurs, il ressort de cet avis que son état de santé n'est pas de nature à l'empêcher de voyager sans risque vers son pays d'origine.
8. D'une part, il ressort des pièces du dossier sur lesquelles l'intéressée a accepté de lever le secret médical, que Mme D... requiert un suivi ainsi que des traitements spécifiques et que sa pathologie, responsable d'un état hémolytique chronique, peut imposer le recours à la thérapie transfusionnelle. Elle participe en outre à un essai clinique lui permettant " d'espérer à court terme l'opportunité d'un traitement oral jouant sur les deux composantes de la maladie " en suivant un traitement médicamenteux à base de mitapivat comme en atteste le certificat médical daté du 28 février 2022 établi par le Dr C.... Mme D... fait valoir qu'elle ne serait pas en mesure de bénéficier effectivement d'un traitement approprié au Maroc. Elle produit à l'appui de ses allégations deux attestations médicales, l'une non datée et l'autre établie le 2 mai 2024, du Dr B..., établi au Maroc et qui suit l'intéressée depuis août 2017, se bornant à affirmer que le mitapivat, qui permet de limiter voire arrêter les transfusions itératives, n'existe pas au Maroc et que l'arrêt de ce traitement présente un risque d'hémolyse menaçant. Toutefois, si ces éléments attestent de la gravité de la situation médicale de Mme D..., ils ne suffisent pas à remettre en cause l'avis émis par le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le 6 décembre 2021, dès lors qu'elle ne démontre pas être dans l'impossibilité de bénéficier dans son pays d'origine d'un suivi approprié qu'impose son état de santé, sans qu'il soit en tous points équivalent à celui pouvant être apporté en France, et notamment en termes de soins urgents en cas de crises d'hémolyse auxquelles elle est sujette. De surcroît, Mme D..., ne donne aucune indication sur le suivi médical dont elle a bénéficié au Maroc où elle a résidé jusqu'en août 2018, alors même que sa maladie a été découverte à la naissance de sorte qu'il n'est pas établi qu'elle ne bénéficiait d'aucune prise en charge médicale dans son pays d'origine avant son entrée en France. Par ailleurs, en se fondant sur la base de données " Medical Origin of Information (MedCOI) ", l'Office français de l'immigration et de l'intégration fait observer, dans son mémoire du 8 mars 2024, que le traitement des crises hémolytiques dont souffre Mme D... est possible au Maroc où sont couramment réalisées des transfusions sanguines notamment à l'hôpital universitaire Ibn Rochd à Casablanca ainsi qu'à l'hôpital Cheikh Zaid à Rabat. Dans ces conditions, Mme D... ne démontre pas qu'un traitement adapté ne serait pas disponible au Maroc et il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle ne pourrait y bénéficier d'un suivi médical adapté à sa maladie.
9. D'autre part, il ressort également des pièces du dossier que Mme D... souffre d'une endométriose pelvienne profonde et qu'elle est suivie pour un projet de procréation médicalement assistée par la clinique de la Croix du Sud. Toutefois, les attestations et les certificats médicaux produits par Mme D... ne permettent pas d'établir que celle-ci était atteinte de cette pathologie ni que ces éléments aient été portés à la connaissance du préfet à la date de l'arrêté en litige. En tout état de cause, si l'endométriose pelvienne profonde dont souffre Mme D... a nécessité une intervention chirurgicale le 9 mars 2023, il ne ressort pas des documents médicaux produits que l'interruption du suivi et de la prise en charge de cette pathologie, en dépit des douleurs intenses qu'elle peut provoquer, serait de nature à entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité pour l'intéressée. En outre, ils ne se prononcent pas sur une éventuelle impossibilité pour Mme D... d'accéder effectivement à un traitement approprié à sa pathologie dans son pays d'origine. Par ailleurs, si l'intéressée est engagée dans un procédé de préservation de fertilité dans le cadre d'un processus de procréation médicalement assistée en vue de se prémunir contre les conséquences de sa pathologie en terme de fertilité, cela ne peut être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme un traitement approprié au sens des dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, les moyens tirés de ce que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de la situation médicale de Mme D... et aurait ainsi méconnu l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.
10. En troisième lieu, il est constant que Mme D... a sollicité un titre de séjour en qualité d'étranger malade et il résulte des termes mêmes de la décision attaquée que le préfet de la Haute-Garonne n'a pas examiné son droit au séjour au titre de la vie privée et familiale. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance du droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 7° de l'ancien article L. 313-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile désormais repris à l'article L. 423-23 de ce code sont inopérants. Pour les mêmes motifs, Mme D... n'est pas davantage fondée à soutenir que le préfet de la Haute-Garonne aurait commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle et familiale.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 19 décembre 2023, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté du 11 février 2022 par lequel le préfet de la Haute-Garonne refusé de délivrer à Mme D... un titre de séjour en qualité d'étranger malade. Il en résulte que c'est également à tort que le premier juge a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2201822 du 19 décembre 2023 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.
Article 2 : La demande de Mme D... présentée devant le tribunal administratif de Toulouse est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme A... D... et à Me Ouddiz-Nakache.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 11 juin 2024, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président de chambre,
M. Bentolila, président-assesseur
Mme Beltrami, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 juin 2024.
Le président-assesseur,
P. Bentolila
Le président-rapporteur,
É. Rey-Bèthbéder
Le greffier,
F. Kinach
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°24TL00039 2