Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté du 19 août 2022 par lequel le préfet de l'Aude a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2206362 du 9 février 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 avril 2023, et un mémoire, enregistré le 19 février 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, M. A..., représenté par Me Bidois, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 9 février 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 19 août 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Aude de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, subsidiairement, de réexaminer sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué a été signé par une autorité incompétente ;
- cet arrêté, qui n'a pas été précédé d'une procédure contradictoire, méconnaît les dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration et celles de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Une mise en demeure a été adressée le 16 octobre 2023, en application des dispositions de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, au préfet de l'Aude qui n'a produit aucun mémoire en défense.
Par une décision du 22 mars 2023, le bureau d'aide juridictionnelle auprès du tribunal judiciaire de Toulouse a accordé à M. A... l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Karine Beltrami.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant marocain né le 1er mai 1970, est entré en France le 6 juin 2017 muni d'un visa de court séjour. Il a sollicité le 18 janvier 2017 la délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale " en sa qualité de parent d'enfant français. Par un arrêté du 4 septembre 2018, le préfet de l'Aude a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination. La légalité de cette décision a été confirmée par un jugement du tribunal administratif de Montpellier du 28 décembre 2018, puis par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 17 septembre 2019. Le 23 décembre 2021, M. A... a demandé son admission exceptionnelle au séjour au titre de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 19 août 2022, le préfet de l'Aude a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination. Saisi d'une requête tendant notamment à l'annulation de cette décision, le tribunal administratif de Montpellier a, par un jugement du 9 février 2023 dont M. A..., relève appel, rejeté sa demande.
Sur les conclusions en annulation :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. M. A... se prévaut de sa présence en France depuis plus de dix ans. Pour en justifier, il se borne à produire des attestations peu circonstanciées d'amis ou de connaissances indiquant qu'ils connaissent l'intéressé depuis 2013. En outre, il a fait l'objet d'une mesure d'éloignement prise par le préfet de l'Aude le 4 septembre 2018. Ainsi, l'appelant ne démontre pas le caractère habituel de sa présence sur le territoire national. Par ailleurs, il est divorcé par consentement mutuel depuis le 14 juin 2016 d'une compatriote avec laquelle il a eu deux enfants nés en 2006 et 2008. Mais les liens avec ses deux enfants mineurs avec lesquels il n'a plus de relation, ne sont pas établis. Toutefois, l'appelant est père d'une enfant française, née le 27 mai 2015. S'il ne l'a reconnue que deux ans après sa naissance, le 8 août 2017, et ne conteste pas que l'autorité parentale a été confiée à sa mère, il ressort des pièces du dossier qu'il a pris en charge les trajets scolaires de sa fille à compter de son inscription en septembre 2017 en toute petite section. Postérieurement à sa séparation avec la mère de l'enfant en 2018, il a transféré par mandat postal à compter du mois d'octobre 2018 une pension alimentaire d'un montant de 100 euros à la mère de l'enfant destinée à son entretien et à son éducation accompagnée d'une lettre ou d'une carte adressée à sa fille aux termes desquelles il lui manifestait son affection et le manque ressenti par son absence. La mère de l'enfant a toutefois refusé de retirer les plis postaux envoyés par l'appelant. Cette attitude tend à accréditer le récit de l'appelant selon lequel il a tenté de maintenir les liens avec sa fille après sa séparation avec la mère de l'enfant, mais s'est heurté à l'opposition de cette dernière. En outre, il ressort du jugement en assistance éducative du 12 juillet 2022 que, compte tenu de la situation extrêmement préoccupante de l'enfant au domicile maternel, une mesure de placement auprès de l'aide sociale à l'enfance en lieu neutre a été ordonnée le 12 juin 2022 par le juge des enfants et renouvelée le 12 juillet 2022 jusqu'au 31 juillet 2023. Il ressort de ce jugement que même si l'appelant n'a pas vue sa fille depuis deux ans et que celle-ci le connaît très peu et paraît le craindre, compte tenu de la volonté de M. A... de nouer des liens avec sa fille et de l'intérêt de l'enfant d'entretenir des relations avec son père pour pouvoir se construire, ce dernier s'est vu accorder un droit de visite médiatisé mensuel en lieu neutre. Ainsi, il ressort des pièces du dossier que l'appelant manifeste sa volonté depuis 2017 de contribuer à l'éducation et à l'entretien de sa fille et de maintenir, malgré l'opposition de sa mère, un lien avec son enfant. Dans ces conditions, la décision portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale et à celui de sa fille une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit être accueilli.
4. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté préfectoral du 19 août 2022.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard au motif d'annulation retenu, que le préfet de l'Aude délivre à M. A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu de lui enjoindre d'y procéder dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
6. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Bidois de la somme de 1 200 euros.
DÉCIDE:
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : L'arrêté préfectoral du 19 août 2022 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Aude de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État versera la somme de 1 200 euros à Me Bidois, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée pour information au préfet de l'Aude.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2024 à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme Beltrami, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juillet 2024.
La rapporteure,
K. Beltrami
Le président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23TL00879