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17/09/2024 | FRANCE | N°22TL22622

France | France, Cour administrative d'appel de TOULOUSE, 3ème chambre, 17 septembre 2024, 22TL22622


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... Bisseuil a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision, non formalisée, lui ayant refusé l'accès au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses le 25 août 2020, réitérée par lettre du 31 août 2020 de la cheffe d'établissement du centre pénitentiaire de Seysses.



Par ordonnance n° 462171 du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat du 4 avril 2022, le jugement de l'affaire enregistrée au tribunal administ

ratif de Toulouse sous le n° 2005433 a été attribué au tribunal administratif de Montpellier.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... Bisseuil a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler la décision, non formalisée, lui ayant refusé l'accès au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses le 25 août 2020, réitérée par lettre du 31 août 2020 de la cheffe d'établissement du centre pénitentiaire de Seysses.

Par ordonnance n° 462171 du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat du 4 avril 2022, le jugement de l'affaire enregistrée au tribunal administratif de Toulouse sous le n° 2005433 a été attribué au tribunal administratif de Montpellier.

Par un jugement n° 2025433 du 25 octobre 2022, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de Mme Bisseuil.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 décembre 2022 et un mémoire, enregistré le 14 août 2024 n'ayant pas été communiqué, Mme Bisseuil, représentée par Me Ortholan, demande à la cour:

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 25 octobre 2022 ;

2°) d'annuler la décision, non formalisée, lui ayant refusé l'accès au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses le 25 août 2020, formalisée par lettre du 31 août 2020 de la cheffe d'établissement de ce centre pénitentiaire ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les faits qu'elle dénonce sont établis, notamment par le film vidéo ayant enregistré l'incident de la journée du 25 août 2020, dont elle a demandé la conservation à l'administration pénitentiaire ;

- les décisions attaquées méconnaissent les dispositions de l'article 4-3-3 de la circulaire du 20 février 2012 relative au maintien des liens extérieurs des personnes détenues qui prévoit qu'en cas de déclenchements répétés de l'alarme du portique, et avec le consentement du visiteur, le personnel doit soumettre le visiteur à un contrôle par détecteur manuel ; le retrait du vêtement à l'origine du déclenchement de l'alarme n'est pas prévu pour remédier au déclenchement répété de l'alarme ;

- ces décisions qui imposent, dans le cas du déclenchement de l'alarme du portique provoqué par un soutien-gorge à armatures métalliques, le déshabillage, méconnaissent également les principes de dignité des personnes et de non-discrimination envers les personnes de sexe féminin ; l'administration ne saurait contraindre une avocate à rendre visite à son client sans soutien-gorge dès lors que cette exigence est de nature à entraîner une situation gênante et impudique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 avril 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces de ce dossier.

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Beltrami, rapporteure,

- et les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme Bisseuil, avocate, s'est présentée le 25 août 2020 à l'entrée du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses afin de s'entretenir avec une personne détenue. Elle relève appel du jugement du 25 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 25 août 2020, non formalisée, lui ayant refusé l'accès à cet établissement pénitentiaire sans lui appliquer les mesures de contrôle prévues par une circulaire du 20 février 2012, ainsi que la lettre du 31 août 2020 de la cheffe d'établissement du centre pénitentiaire de Seysses rejetant son recours administratif du 29 août 2020.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article D. 406 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " L'accès au parloir implique les mesures de contrôle jugées nécessaires à l'égard des visiteurs, pour des motifs de sécurité. "

3. Aux termes de l'article 4-3-3 de la circulaire du garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés NOR : JUSK1140029C, du 20 février 2012, relative au maintien des liens extérieurs des personnes détenues par les visites et l'envoi ou la réception d'objets, publiée le 29 février 2012 au bulletin officiel du ministère de la justice et des libertés, et dont Mme Bisseuil peut se prévaloir en vertu de l'article L. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration, dès lors qu'elle a été publiée dans les conditions prévues aux articles R. 312-10 et D. 312-11 de ce code : " Conformément à l'article D. 406 du code de procédure pénale ainsi qu'aux notes des 31 mai 2006, 27 février et 14 avril 2009 (...) relatives au contrôle et aux mesures de sécurité applicables aux personnes accédant à un établissement pénitentiaire, tous les visiteurs doivent se soumettre au contrôle du portique de détection et du tunnel d'inspection à rayons X sauf contre-indication médicale attestée par un certificat. En cas de déclenchements répétés de l'alarme du portique, et avec le consentement du visiteur, le personnel doit soumettre le visiteur à un contrôle par détecteur manuel. Tout refus ou signal sonore persistant entraîne l'impossibilité d'entrer dans l'établissement. Par ailleurs, en cas d'impossibilité d'utiliser ces moyens traditionnels, d'inefficacité de ces moyens ou de risque particulier pour la sécurité, il peut être procédé à une palpation de sécurité, après avoir recueilli le consentement de la personne concernée. Le refus du visiteur de s'y soumettre aura pour conséquence le refus d'accès au parloir (...) ".

4. Ainsi que l'explicite la note du 31 mai 2006 de la direction des affaires pénitentiaires relative au contrôle des personnes accédant à un établissement pénitentiaire, à laquelle renvoie la circulaire précitée, en cas de déclenchements répétés de l'alarme à l'occasion du passage du visiteur, le personnel de surveillance doit soumettre la personne concernée à un contrôle par détecteur manuel afin de pouvoir distinguer entre les masses métalliques " inoffensives " que l'intéressé peut porter sur lui, telles que boucles et boutons, et un objet éventuellement dissimulé notamment à l'intérieur d'une doublure ou d'une chaussure. Le rôle du détecteur manuel est ainsi de permettre une localisation précise de l'objet provoquant le signal afin que la levée de doute ait lieu plus facilement.

5. Mme Bisseuil soutient que, le 25 août 2020, l'accès au parloir du centre pénitentiaire de Seysses-Toulouse, où elle devait rencontrer une personne détenue, lui a été refusé du fait du déclenchement répété de l'alarme du portique de sécurité, lequel a été causé par les armatures métalliques de son soutien-gorge, et qu'en l'absence de solution proposée par l'administration, telle que l'utilisation d'un détecteur manuel, elle a été contrainte de l'enlever dans son véhicule stationné à l'emplacement réservé aux avocats et surveillé, selon elle, par des caméras.

6. Il ressort des pièces du dossier qu'alors même que Mme Bisseuil avait retiré l'ensemble de ses effets personnels et chaussures, l'alarme du portique de sécurité a continué de sonner. Selon l'administration, le personnel pénitentiaire aurait effectué un contrôle par détecteur manuel, conformément à la procédure applicable, si Mme Bisseuil n'avait pas proposé spontanément de se soumettre à une fouille manuelle, puis de se rendre dans son véhicule pour retirer son soutien-gorge. Toutefois, Mme Bisseuil n'a fait, au mieux, qu'émettre une proposition de solution à l'administration qui ne saurait se substituer à la procédure de contrôle prévue dans la circulaire et la note précitées. Au demeurant, l'administration reste taisante sur les motifs qui l'aurait conduite à écarter la proposition de fouille formulée par Mme Bisseuil. Or, tandis que Mme Bisseuil a imputé le déclenchement de l'alarme au port de son soutien-gorge à armatures métalliques, l'administration, qui indique seulement avoir permis à cette dernière de se rendre dans son véhicule pour le retirer, ne produit aucun élément permettant d'estimer qu'elle aurait, conformément à la circulaire et à la note précitées, procédé à un contrôle par détecteur manuel qui lui aurait permis de vérifier que le sous-vêtement était bien à l'origine du signal. Ces éléments n'avaient pas davantage été apportés au cours de l'enquête interne diligentée par la direction interrégionale des services pénitentiaires de Toulouse à la suite de l'incident.

7. Ainsi, l'administration n'a pas laissé d'autre choix à Mme Bisseuil, si elle entendait accéder au parloir, que de se rendre dans son véhicule pour retirer son sous-vêtement. Dans ces circonstances, les faits tels qu'ils sont rapportés par l'appelante doivent être regardés comme matériellement établis.

8. Il résulte de ce qui vient d'être exposé qu'alors que le signal d'alarme du portique de sécurité s'était déclenché de manière répété, l'administration doit être regardée comme n'ayant pas soumis Mme Bisseuil à un contrôle par un détecteur manuel. En refusant à cette dernière l'accès au parloir, sans avoir mis en œuvre au préalable ce contrôle, l'administration a méconnu l'article 4- 3-3 de la circulaire précitée au point 3.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme Bisseuil est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande d'annulation des décisions attaquées. Dès lors, ce jugement doit être annulé ainsi que les décisions attaquées, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Mme Bisseuil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE:

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 25 octobre 2022 et la décision non formalisée du 25 août 2020, réitérée par la décision formelle du 31 août 2020, sont annulés.

Article 2 : l'État versera à Mme Bisseuil la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... Bisseuil et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 3 septembre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Faïck, président,

Mme Beltrami, première conseillère,

Mme B..., première conseillière,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 septembre 2024.

La rapporteure,

K. Beltrami

Le président,

F. Faïck

La greffière,

C. Lanoux

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22TL22622


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL22622
Date de la décision : 17/09/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-03 Droits civils et individuels. - Libertés publiques et libertés de la personne.


Composition du Tribunal
Président : M. Rey-Bèthbéder
Rapporteur ?: Mme Karine Beltrami
Rapporteur public ?: Mme Perrin
Avocat(s) : CANTIER ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/09/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-09-17;22tl22622 ?
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