Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du 1er novembre 2022 par lequel la préfète de l'Ariège a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et d'enjoindre à la préfète de l'Ariège de réexaminer sa situation en lui délivrant une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travail dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2206397 du 29 décembre 2022, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse, après avoir admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, des pièces complémentaires, un mémoire, enregistrés respectivement le 26 janvier, 17 avril, le 13 juin 2023 et une pièce complémentaire enregistrée le 3 janvier 2024, M. B... A..., représenté par Me Kosseva-Venzal, demande à la cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler ce jugement rendu le 29 décembre 2022 ;
3°) d'annuler l'arrêté du 1er novembre 2022 par lequel la préfète de l'Ariège a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours ;
4°) d'enjoindre à la préfète de l'Ariège de procéder au réexamen de sa situation en lui délivrant une autorisation provisoire de séjour avec droit au travail dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, dans l'hypothèse où sa demande d'aide juridictionnelle serait rejetée, la même somme en application des seules dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement contesté est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur de fait ;
- il est entaché de dénaturation des pièces du dossier ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle est fondée sur le 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur de droit en ce que sa demande d'admission au séjour, déposée le 10 octobre 2022, était toujours en cours à la date de l'arrêté contesté ;
- elle méconnaît les dispositions combinées des articles 47 du code civil, celles des articles R. 431-10 et L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 1er du décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 ;
- elle est entachée d'une erreur de fait ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mai 2023, la préfète de l'Ariège conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par une ordonnance du 14 décembre 2023, la date de clôture d'instruction a été fixée au 12 janvier 2024.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 octobre 2023.
Par une lettre du 2 septembre 2024, les parties ont été informées de ce que la cour était susceptible de procéder d'office à une substitution de base légale, l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. A... trouvant son fondement légal dans le 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en lieu et place du 1° du même article.
Des observations en réponse à cette lettre d'information, présentées pour M. A..., ont été enregistrées le 9 septembre 2024 et communiquées au préfet de l'Ariège.
Il soutient que la substitution de base légale aurait pour effet de le priver d'une garantie.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Delphine Teuly-Desportes, présidente-assesseure,
- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,
- et les observations de Me Kosseva-Venzal, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen, ayant indiqué être né le 1er mars 2002, est entré en France, selon ses déclarations, en août 2018, âgé de 16 ans et 5 mois, seul et non accompagné. Le 31 août 2018, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Toulouse a ordonné son placement provisoire et, par un jugement en assistance éducative du 20 septembre 2018, le juge des enfants l'a confié à l'aide sociale à l'enfance du département de la Haute-Garonne, jusqu'à sa majorité supposée, le 1er mars 2020. Le 22 juin 2020, il a présenté une demande de titre de séjour auprès des services de la préfecture de l'Ariège. Par un arrêté du 5 février 2021, la préfète de l'Ariège a refusé de lui délivrer le titre sollicité, a prononcé à son encontre une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours assortie d'une interdiction de retour d'une durée de douze mois et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 5 mai 2022, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée à l'encontre de M. A... et a rejeté le surplus des conclusions de la requête. A la suite d'un contrôle d'identité, le 31 octobre 2022, il a fait l'objet d'une mesure de retenue administrative pour vérification de son droit au séjour. Par un arrêté du 1er novembre 2022, la préfète de l'Ariège lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné. M. A... relève appel du jugement du 29 décembre 2022 par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Par une décision du 18 octobre 2023, le bureau d'aide juridictionnelle a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. A.... Ses conclusions tendant à l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle sont ainsi devenues sans objet.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (...) / 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; (...) ".
4. Il résulte des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour et des étrangers et du droit d'asile que si la demande d'un étranger qui a régulièrement sollicité un titre de séjour ou son renouvellement a été rejetée, la décision portant obligation de quitter le territoire français susceptible d'intervenir à son encontre doit nécessairement être regardée comme fondée sur un refus de titre de séjour, donc sur la base légale prévue au 3° de cet article. Il en va ainsi tant lorsque la décision relative au séjour et la décision portant obligation de quitter le territoire interviennent de façon concomitante que, en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires prévoyant qu'une décision relative au séjour devrait être regardée comme caduque au-delà d'un certain délai après son intervention, lorsqu'une décision portant obligation de quitter le territoire intervient postérieurement à la décision relative au séjour, y compris lorsqu'une nouvelle décision portant obligation de quitter le territoire intervient à l'égard d'un étranger qui s'est maintenu sur le territoire malgré l'intervention antérieure d'un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire.
5. Si, pour prononcer à l'encontre de M. A... une obligation de quitter le territoire français, la préfète de l'Ariège s'est fondée sur le 1° de l'article L. 611-1, il est constant, ainsi qu'il a été dit au point 1, que le requérant avait sollicité, le 22 juin 2020, la délivrance d'un titre de séjour et que cette demande a été explicitement rejetée le 5 février 2021, décision dont la légalité a été confirmée par le tribunal administratif de Toulouse le 5 mai 2022. Par suite, et comme le soutient à bon droit M. A..., la décision portant obligation de quitter le territoire français contestée ne pouvait être prise sur le fondement du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Toutefois, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée.
7. En application des dispositions de l'article L. 612-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, il est statué sur les obligations de quitter le territoire français prises en application des 1°, 2° ou 4° de l'article L. 611-1 et assorties d'un délai de départ volontaire, par le magistrat désigné à cette fin par le président du tribunal parmi les membres de sa juridiction ou parmi les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à l'article L. 222-2-1 du code de justice administrative. En revanche, en application de l'article L. 614-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, la décision portant obligation de quitter le territoire français ainsi que la décision relative au séjour, la décision relative au délai de départ volontaire et l'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent, le cas échéant, peuvent être contestées devant le tribunal administratif selon la procédure prévue à l'article L. 911-1 qui relève du chapitre unique du titre Ier intitulé " Procédure collégiale spéciale ".
8. En l'espèce, l'obligation de quitter le territoire français prononcée à l'encontre de M. A... ne saurait trouver son fondement légal dans les dispositions du 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en lieu et place du 1° du même article. En effet, si à la date de l'arrêté attaqué, M. A..., eu égard au refus de titre de séjour pris à son encontre le 5 janvier 2021, se trouvait dans la situation où, en application du 3° de l'article L. 611-1, la préfète de l'Ariège pouvait l'obliger à quitter le territoire français, il résulte des dispositions citées au point précédent que le législateur a expressément prévu la compétence de la formation collégiale du tribunal administratif pour statuer sur la légalité des obligations de quitter le territoire assorties d'un délai de départ volontaire fondées sur le 3° de l'article L. 611-1 et que cette substitution de base légale aurait, par suite, ainsi qu'il le soutient, pour effet de priver l'intéressé de l'examen de sa demande par la formation collégiale. En conséquence et alors même que le préfet disposait d'un pouvoir d'appréciation identique pour appliquer l'une ou l'autre des dispositions, il ne peut y être procédé par la cour, le magistrat désigné n'ayant pas renvoyé l'affaire à la formation collégiale du tribunal.
9. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être accueilli.
10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête et sur la régularité du jugement, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement contesté, le magistrat désigné a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 1er novembre 2022 et à demander l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
11. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".
12. L'annulation, par le présent arrêt, de l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. A... implique nécessairement que sa situation soit réexaminée et que, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour lui soit délivrée. Il y a lieu, ainsi, en application précitées de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'enjoindre au préfet de l'Ariège de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de le munir sans délai d'une autorisation provisoire de séjour, sans qu'il y ait lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
13. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Kosseva-Venzal renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Kosseva-Venzal de la somme de 1 200 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur la demande de M. A... tendant à son admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Le jugement n°2206397 du 29 décembre 2022 rendu par le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Toulouse est annulé.
Article 3 : L'arrêté du 1er novembre 2022 par lequel la préfète de l'Ariège a prononcé à l'encontre de M. A... une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours est annulé.
Article 4 : Il est enjoint au préfet de l'Ariège de procéder au réexamen de la situation de M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de lui délivrer, sans délai, une autorisation provisoire de séjour.
Article 5 : L'Etat versera à Me Kosseva-Venzal la somme de 1 200 euros sous réserve de sa renonciation au bénéfice de l'indemnité d'aide juridictionnelle en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Kosseva-Venzal, au préfet de l'Ariège et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,
Mme Teuly-Desportes, présidente-assesseure,
Mme Bentolila, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 octobre 2024.
La rapporteure,
D. Teuly-Desportes
La présidente,
A. Geslan-Demaret La greffière,
M-M. Maillat
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°23TL00281 2